Syndrome de Sweet révélant un carcinome bronchique épidermoïde

Syndrome de Sweet révélant un carcinome bronchique épidermoïde

Cas clinique Syndrome de Sweet révélant un carcinome bronchique épidermoïde Cancer bronchique et dermatose neutrophilique A. Van Denhove1, N. Freymo...

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Cas clinique

Syndrome de Sweet révélant un carcinome bronchique épidermoïde Cancer bronchique et dermatose neutrophilique

A. Van Denhove1, N. Freymond1, S. Isaac2, K. Marrou3, B. Balme4, F. Gormand1, B. Guibert5, Y. Pacheco1, G. Devouassoux1

Résumé Introduction Le syndrome de Sweet, appartenant aux dermatoses neutrophiliques, est le plus souvent idiopathique. Dans 10 à 20 % des cas, il est paranéoplasique, accompagnant une tumeur solide ou une hémopathie. L’association à une tumeur maligne bronchique a rarement été décrite. Observation Nous rapportons l’observation d’un patient âgé de 56 ans qui présentait un syndrome de Sweet précédant de deux mois le diagnostic de carcinome bronchique épidermoïde. L’évolution de la dermatose a été favorable sous corticoïdes. L’évolution tumorale est considérée comme favorable avec une stabilisation de la lésion après trois cures de chimiothérapie et radiothérapie locorégionale. Discussion Cette observation permet de réactualiser cette association peu fréquente et souligne l’importance de réaliser des explorations thoraciques adaptées en présence de cette dermatose. Une sécrétion paranéoplasique par les cellules tumorales bronchiques d’interleukine-8, de GM-CSF et/ou de G-CSF facilitant le recrutement des polynucléaires neutrophiles, en particulier au niveau de la peau pourrait rendre compte de sa physiopathologie. Mots-clés : Syndrome de Sweet • Carcinome bronchique épidermoïde • Dermatose neutrophilique. 1 Service 2 Service

de Pneumologie, Centre Hospitalier Lyon Sud, HCL, France. d’Anatomie Pathologique, Centre Hospitalier Lyon Sud, HCL, France. 3 Service de Dermatologie, Hôtel-Dieu, HCL, France. 4 Service d’Anatomie Pathologique, Hôtel-Dieu, HCL, France. 5 Service de Chirurgie Thoracique, Centre Hospitalier Lyon Sud, HCL, France. Correspondance : G. Devouassoux Service de Pneumologie, Bâtiment 5F, Centre Hospitalier Lyon Sud, 165 Chemin du Grand Revoyet, 69495 Pierre-Bénite Cedex. [email protected] Réception version princeps à la Revue : 22.03.2006. Demande de réponse aux auteurs : 13.05.2006. Réception de la réponse des auteurs : 18.09.2006. Acceptation définitive : 14.11.2006.

Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 77-80 Doi : 10.1019/20064210

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© 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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A. Van Denhove et coll.

Introduction Sweet’s syndrome associated with squamous cell bronchial carcinoma. Neutophilic dermatosis and non-small cell lung cancer

A. Van Denhove, N. Freymond, S. Isaac, K. Marrou, B. Balme, F. Gormand, B. Guibert, Y. Pacheco, G. Devouassoux

Summary Introduction Sweet’s syndrome, one of the neutrophilic dermatoses, is ideopathic in most cases. In 10-20% of cases it is paraneoplastic, associated with a solid tumour or haematological malignancy. An association with carcinoma of the bronchus has been only rarely described. Case report We report the case of a 56 year old man who presented with Sweet’s syndrome two months before the diagnosis of a squamous cell carcinoma of the bronchus. The dermatosis responded well to corticosteroids. The progress of the tumour was favourable, with stabilisation following 3 courses of chemotherapy and local radiotherapy. Discussion This case report updates this rare association and underlines the importance of undertaking appropriate thoracic investigations in the presence of this dermatosis. A paraneoplastic secretion of interleukin-8, GM-CSF and/or G-CSF by the bronchial tumour cells facilitating the recruitment of neutrophils, particularly in the skin, may account for the pathophysiology of this condition. Key-words: Sweet’s syndrome • Squamous cell bronchial carcinoma • Neutrophilic dermatosis.

Le syndrome de Sweet ou dermatose aiguë fébrile neutrophilique a été décrit par Sweet en 1964 [1]. Il s’agit d’une maladie systémique rare à expression cutanée prédominante, assimilée au groupe des dermatoses neutrophiliques, plus fréquente chez la femme âgée de 30 à 50 ans [2]. Il se manifeste par l’apparition brutale de plaques ou de nodules érythémateux cutanés qui prédominent sur les membres et le tronc. Cette éruption cutanée peut être associée à un infiltrat parenchymateux pulmonaire, des arthralgies symétriques, une hyperthermie, une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles et une atteinte des muqueuses buccales, parfois génitales [2]. Il peut être associé à des hémopathies (10 à 20 % des cas) [3], des tumeurs solides surtout génito-urinaires et mammaires mais aussi digestives, prostatiques et pulmonaires. Il peut également être associé à un processus infectieux ou inflammatoire, à une vaccination, à une prise médicamenteuse ou à une grossesse [3, 4]. Il est le plus souvent idiopathique, dans 75 % des cas [4]. Le traitement de choix du syndrome de Sweet repose sur la corticothérapie systémique, qui permet une résolution rapide des symptômes et des lésions cutanéo-muqueuses. La prise en charge des facteurs déclenchant ou pathologies associées est également indispensable [2]. Deux cas de syndromes de Sweet paranéoplasiques associés à des cancers bronchopulmonaires ont été rapportés. Il s’agissait d’un adénocarcinome bronchique [5] et d’un cancer bronchique à petites cellules [6]. Nous rapportons la première observation d’un syndrome de Sweet paranéoplasique précédant la découverte d’un carcinome épidermoïde bronchique.

Observation

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Monsieur P., patient caucasien âgé de 56 ans a consulté une première fois en avril 2005 pour des polyarthralgies inflammatoires bilatérales symétriques des épaules, des genoux et des interphalangiennes proximales et distales des mains. Les radiographies simples ostéoarticulaires étaient sans particularité. Le dosage du facteur rhumatoïde, les sérologies des hépatites A, B, C, la recherche d’anticorps antinucléaires étaient non informatifs. La VS était accélérée (66 mm à la première heure) et la CRP était augmentée (58 mg/l). Le patient n’était pas soulagé par les antalgiques de palier 2, ni par les antiinflammatoires non stéroïdiens. Quinze jours plus tard, apparaissait brutalement une éruption cutanée érythémateuse papulo-nodulaire non prurigineuse à la face postérieure des bras (fig. 1). La semaine suivante, les lésions prenaient un aspect de placards érythémateux infiltrés symétriques, cernés par un petit bourrelet périphérique, atteignant les régions scapulaires. Le patient était apyrétique, en bon état général (PS 0). L’examen clinique était sans particularité. Il existait une leucocytose à polynucléaires neutrophiles (11 g/l). La biopsie cutanée montrait la présence d’un œdème et d’un infiltrat cellulaire dense et irrégulier de l’épiderme et des structures glandulaires, mixte, riche en lymphocytes mais avec une nette prédominance de polynucléaires neutrophiles non altérés et sans suppuration. Il n’y avait pas d’arguments anatomopathologiques pour une vascularite associée (fig. 2). Cet aspect morphologique est compatible avec les lésions dermatologiques observées au cours du syndrome de Sweet. La radiographie thoracique permettait d’objectiver une masse pulmonaire hilaire droite de 26 mm de diamètre avec des adénopathies médiastinales

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Fig. 3.

Tomodensitométrie thoracique avec injection de produit de contraste en coupe médiastinale : masse tissulaire hilaire droite mesurant 26 mm de diamètre (flèche). Fig. 1.

Éruption érythémateuse papulo-nodulaire située sur la face postérieure des bras non prurigineuse apparue deux semaines après le début des arthralgies.

cours la corticothérapie systémique à la posologie de 10 mg/jour, le syndrome de Sweet n’a plus récidivé. Cette réponse clinique n’a pas été modifiée par la prescription de G-CSF. Au terme de trois cures de chimiothérapie, le bilan d’évaluation permettait de considérer qu’il existait une réponse partielle.

Discussion

Fig. 2.

Biopsie cutanée montrant un infiltrat cellulaire inflammatoire de l’épiderme et du derme, riche en polynucléaires neutrophiles non altérés, respectant les parois vasculaires (coloration PAS, grossissement × 40). homo- et controlatéral en tomodensitométrie thoracique (fig. 3). La médiastinoscopie confirmait leur nature néoplasique maligne, à type de carcinome épidermoïde kératinisant, sans infiltration significative par des polynucléaires neutrophiles. Le bilan d’extension était négatif, permettant finalement de classer cette tumeur en stade IIIb. Le syndrome de Sweet a régressé de manière spectaculaire sous prednisolone à posologie décroissante (0,5 mg/kg/jour pendant 2 semaines puis décroissance lente sur 1 mois et demi). Un phénomène de rebond était observé après 5 jours d’arrêt, imposant une reprise du traitement à 20 mg/jour de prednisolone. La stratégie thérapeutique oncologique a comporté trois cures de chimiothérapie associant cisplatine (80 mg/m2, J1 et J21), vinorelbine (30 mg/m2, J1, J8, J21) et radiothérapie concomitante (70 Gy en 35 séances). Le patient a présenté une neutropénie (0,95 g/l) non fébrile après sa deuxième cure de chimiothérapie motivant la prescription complémentaire de G-CSF (pelfilgrastim 6 mg en sous cutané après la troisième cure). En poursuivant au long

Le syndrome de Sweet est défini par l’association de deux critères majeurs et de deux critères mineurs. Les critères majeurs sont : 1) l’apparition brutale de plaques ou de nodules érythémateux évocateurs, éventuellement à caractère vésiculeux, bulleux ou pustuleux et 2) une infiltration dermique majoritairement neutrophilique sans vascularite leucocytoclasique. Les critères mineurs sont : 1) la présence de prodromes non spécifiques infectieux respiratoires ou gastro-intestinaux ; 2) l’association à une maladie inflammatoire, un syndrome myéloprolifératif, une tumeur maligne solide, une vaccination ou à une grossesse ; 3) une altération de l’état général avec fièvre > 38°C ; 4) des anomalies biologiques incluant une VS > 20 mm à la première heure, une élévation de la CRP, une hyperleucocytose supérieure à 8 g/l, une neutrophilie supérieure à 70 % (3 de ces critères biologiques sur 4) ; 5) une très bonne réponse à la corticothérapie per os ou à l’iodure de potassium [2]. Notre patient présentait les deux critères majeurs et trois des critères mineurs requis, permettant de retenir le diagnostic. La physiopathologie du syndrome de Sweet n’est pas connue. Il est le plus souvent idiopathique [6]. Dans la littérature, il est décrit en association avec des maladies inflammatoires (connectivites, thyroïdites, maladies inflammatoires chroniques intestinales, rhumatismes inflammatoires), infectieuses (sepsis, yersiniose, mycobactéries, HIV, CMV, toxoplasmose) [3, 4] dans 16 % des cas et médicamenteuses (antibiotiques, carbamazépine) [7]. Il est paranéoplasique dans 10 à 20 % des cas [3], accompagnant ou révélant des hémopathies malignes (42 % de leucémie myéloïde aiguë) [3], ou plus rarement des tumeurs solides : le plus souvent génito-urinaires, mammaires, © 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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digestives, ORL [3, 4]. Seuls deux cas de cancers bronchiques ont été rapportés [5, 6]. Il s’agit dans un cas d’un adénocarcinome pulmonaire. Le syndrome de Sweet était apparu après cinq cures de chimiothérapie, alors que le patient était considéré en rémission. Il précédait de deux mois la rechute tumorale [5]. L’autre cas était un carcinome bronchique à petites cellules. Le syndrome de Sweet s’était développé un an après le diagnostic tumoral, et contemporain de la rechute tumorale [6]. Il peut précéder le diagnostic tumoral ou apparaître secondairement. Il révèle la maladie néoplasique ou sa récidive dans 61 % des cas [3, 8, 9]. Enfin, des syndromes de Sweet iatrogènes secondaires à l’administration de G-CSF ont été décrits [7]. Le délai d’apparition des lésions cutanées après le début du traitement est variable, pouvant survenir dès le lendemain de l’instauration du G-CSF ou après plusieurs mois de traitement, sans effet dose réponse évident. À chaque fois, la dermatose neutrophilique a régressé à l’arrêt du traitement et n’a pas récidivé lors de la réintroduction du G-CSF. Ces constatations orientent vers de nouvelles hypothèses physiopathologiques du syndrome de Sweet, où la production de G-CSF, de GM-CSF, ou d’interleukine-8 par les cellules tumorales pulmonaires, pourrait faciliter le recrutement muqueux, bronchique, pulmonaire et cutané des polynucléaires neutrophiles [10, 11]. Son traitement habituel consiste en une corticothérapie systémique, mais il est rapporté des observations où la régression du syndrome de Sweet est obtenue avec le succès thérapeutique de la pathologie associée : tumorale, infectieuse ou inflammatoire [8]. À notre connaissance, cette observation est la première à rapporter un syndrome de Sweet révélant un cancer épidermoïde bronchique. Il n’est pas possible d’évaluer l’impact du traitement spécifique de la tumeur bronchique sur le syndrome de Sweet, le traitement par corticoïdes ayant précédé la découverte de la néoplasie. Il en est de même pour la rechute du syndrome de Sweet après l’arrêt de la prednisolone, survenue quelques jours après la première cure de chimiothérapie.

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Conclusion Cette observation est la première à rapporter un syndrome de Sweet secondaire à un carcinome épidermoïde pulmonaire. Si sa physiopathologie reste encore mal connue, le rôle déclenchant du G-CSF, rapporté par certains auteurs [7], suggère la possibilité d’une production paracrine par les cellules tumorales.

Références 1 2 3 4 5

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