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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 181–188
Synthèse
Tabagisme passif et responsabilité de l’employeur Chems-eddine Hafiz (Avocat) 122, avenue des Champs-Elysées, 75008 Paris, France Disponible sur Internet le 28 juin 2013
Résumé Les autorités administratives ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, et à ce titre, elles commettent une faute de service si elles négligent la législation antitabac. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Les autorités administratives ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, et à ce titre, elles commettent une faute de service si elles négligent la législation antitabac. Dès lors, l’agent public qui fait valoir que l’exposition au tabagisme passif sur son lieu de travail serait à l’origine de ses problèmes de santé peut rechercher la responsabilité de sa collectivité en excipant de la méconnaissance fautive par cette dernière de ses obligations. Dans une affaire jugée le 18 décembre 2012, la Cour administrative de Bordeaux (no 11BX0121) fait application des règles dégagées par l’arrêt rendu par le Conseil d’État le 30 décembre 2011 (no 330959)1 . Il s’agit de faits qui datent du début des années 2000, où les textes prévoyaient des lieux publics réservés aux fumeurs. Avec la loi dite Evin du 10 janvier 1991 et le décret d’application du 29 mai 1992, il était interdit de fumer « dans tous les lieux fermés et couverts affectés à un usage collectif ou qui constituent des lieux de travail » sauf dans les emplacements réservés expressément aux fumeurs. Le décret no 2006-1386 du 15 novembre 2006 a modifié le Code de la santé publique et renforce cette interdiction. Aussi, depuis le 1er février 2007, l’interdiction de fumer concerne tous les lieux fermés et couverts des établissements. Il n’est plus possible de prévoir un emplacement réservé aux fumeurs à l’intérieur des locaux de l’établissement mais il n’est pas interdit de fumer dans les espaces découverts. En effet, l’article R. 3511-2 précise que des emplacements mis à la disposition des fumeurs dans les lieux précités « ne peuvent être aménagés au sein des établissements d’enseignement publics et privés, des
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centres de formation des apprentis, des établissements destinés à ou régulièrement utilisés pour l’accueil, la formation, l’hébergement ou la pratique sportive des mineurs et des établissements de santé »2 . 1. Faits Une femme a été soignée pour un cancer des poumons, diagnostiqué au cours de l’année 2000. Cette femme, enseignante à l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse de 1968 à 2003, impute la survenance de cancer à un tabagisme passif subi au sein de cet établissement, et elle demande la réparation des préjudices qui en ont résulté. Elle fait état de plusieurs faits, argumentés à partir de la documentation interne et de témoignages, et soutient que la législation sur l’interdiction du tabac dans les espaces publics n’était pas respectée. L’École contestait la matérialité des faits, soulignant que l’enseignante n’effectuait qu’un service partiel, et que la preuve de l’imputabilité de l’atteinte cancéreuse n’était pas rapportée. 2. Tribunal administratif de Toulouse (4 mai et 17 mars 2011) L’enseignante a donc saisi le tribunal administratif de Toulouse d’une demande tendant à la condamnation de l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse. Par jugement du 23 décembre 2009, le tribunal a reconnu l’existence d’une faute de cet établissement dans l’application des dispositifs législatifs et réglementaires antitabac. La faute étant établie, restait la discussion sur le lien de causalité entre la faute et la pathologie de cette enseignante, et sur l’évaluation des préjudices. Aussi, le tribunal, par un jugement avantdire-droit, a ordonné une expertise médicale. Le rapport d’expertise a été remis aux premiers juges le 4 mai 2010. Par jugement du 17 mars 2011, le tribunal a retenu la responsabilité de l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse et a condamné cet établissement à raison d’une perte de chance, pour l’enseignante, d’éviter un cancer, à lui payer la somme de 3524 euros en réparation des préjudices en lien direct avec cette perte de chance, préjudices que le tribunal a évalué à 10 % du dommage corporel subi. Estimant de cette évaluation de la perte de chance trop restrictive, elle a interjeté appel. 3. Cour administrative d’appel (18 décembre 2012) 3.1. La faute 3.1.1. En droit 3.1.1.1. Les textes. Aux termes de l’article 16 de la loi no 76-616 du 9 juillet 1976, dans sa rédaction issue de la loi no 91-32 du 10 janvier 1991 (CSP, art. L. 3511-7) : « Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs »
2 Circulaire du 4 décembre 2006 concernant la réglementation relative à la lutte contre le tabagisme, JO 5 décembre 2006, NOR : MENS0603026C.
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Aux termes de l’article R. 3511-1 du CSP : « L’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif prévue par l’article 16 de la loi du 9 juillet 1976 susvisée s’applique dans tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent un lieu de travail ». Aux termes de l’article R. 3511-2 du CSP : « L’interdiction de fumer ne s’applique pas dans les emplacements qui, sauf impossibilité, sont mis à la disposition des fumeurs, au sein des lieux visés à l’article R. 355-28-1. Ces emplacements sont déterminés par la personne ou l’organisme, privé ou public, sous l’autorité duquel sont placés ces lieux » Aux termes de l’article R. 355-28-4 : « Il est interdit de fumer dans les locaux clos et couverts affectés à l’ensemble des salariés, tels que les locaux d’accueil et de réception, les locaux affectés à la restauration collective, les salles de réunion et de formation. . . ». Aux termes de l’article R. 355-28-5 : « La décision de mettre des emplacements à la disposition des fumeurs est soumise à la consultation, lorsqu’elles existent, des instances représentatives du personnel compétentes en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail. . . ». 3.1.2. Analyse en droit En application de ces textes : • les autorités compétentes ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des agents et du public fréquentant les lieux dont elles sont responsables ; • il leur appartient d’assurer la bonne exécution de ces dispositions législatives et réglementaires et, notamment, de veiller au respect de l’interdiction de fumer dans les lieux non destinés aux fumeurs. L’abstention à appliquer ces règles constitue une faute de service3 . 3.1.3. Analyse en fait Selon le compte rendu de la réunion du comité technique paritaire local de l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse tenue le 16 novembre 1992, étaient désignés comme espaces pour les fumeurs au sein de l’établissement le hall de l’ancienne entrée, la cafétéria et le patio principal ainsi que la partie élargie de la circulation à l’étage devant les ateliers 13 et 14. Or, il ressort du dossier que :
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En droit du travail, le raisonnement est fondé sur l’article L. 4121-1 du Code du travail, aux termes duquel l’employeur doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » a été très largement consacrée. Jurisprudence: Cass. soc., 28 févr. 2002, Bull. civ. 2002, V, no 81 ; JCP G 2002, II, 10053, concl. A. Benmakhlouf ; D. 2002, p. 2696, note X. PRETOT. L’employeur est tenu, à l’égard de son personnel d’une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs » : Cass. soc., 5 mars 2008, no 06-45.888 : ; JCP E 2008, 1834, M. Babin ; Cass. soc., 30 sept. 2005, no 04-40.625, Bull. civ. 2005, V, no 278 ; JCP G 2006, II, 10012, note S. Molla ; Dr. soc. 2006, p. 102, obs. J. Savatier.
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• les locaux de l’école présentaient un aspect de malpropreté en raison, notamment, de mégots jetés en nombre sur le sol ; • le tabagisme déclenchait souvent et de manière intempestive l’alarme incendie ; • la salle à manger était excessivement enfumée par la consommation de tabac. Ces éléments étaient prouvés par des témoignages individuels, circonstanciés, mais aussi par la production du compte rendu de la séance du comité technique paritaire du 19 juin 1998, confirmant la méconnaissance de l’interdiction de fumer hors des espaces où les fumeurs étaient admis. Il est ainsi établi que l’école n’a pas assuré, pendant la période de 1992 à 1999, le respect du dispositif législatif et réglementaire antitabac. Il suit de là qu’elle a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité. Sur ce plan, la démonstration est parfaite. Elle l’est moins sur la question du préjudice imputable. 3.2. Le préjudice 3.2.1. Imputabilité La première donnée est ici médicale, et la cour analyse donc le rapport d’expertise. Selon ce rapport, le tabagisme passif auquel l’enseignante a été soumise au sein de l’École nationale supérieure d’architecture de Toulouse pendant la période de 1968 à 2000 est à l’origine du cancer bronchique primitif qui est apparu au cours de l’année 2000. La circonstance qu’elle n’ait été exposée que de manière discontinue au tabac dans les locaux de l’école, puisqu’elle n’assurait que 320 heures de cours par an, n’est pas de nature à remettre en cause l’imputation déterminante à ce tabagisme passif de l’affection dont l’intéressée a souffert. L’un des points forts du dossier est qu’atteinte de la maladie d’asthme depuis l’âge de 37 ans, l’enseignante était convaincante en affirmant qu’elle n’avait pas vécu, en dehors de l’école, dans un environnement tabagique. 3.2.2. Perte de chances Il convient ici de lire ce qu’a précisément jugé la Cour : « Toutefois, le préjudice résultant directement de la faute que l’école a commise à partir de 1992 en s’abstenant alors de faire respecter le dispositif antitabac n’est pas le dommage corporel issu du cancer survenu du fait de l’exposition au tabac depuis 1968, mais la perte de chance d’éviter ce dommage du fait de la continuité de l’exposition après 1992 ». « La réparation qui incombe à l’école doit, en conséquence, être évaluée à une fraction du dommage corporel, déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue ». Dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation de la perte de chance subie par l’enseignante d’éviter un cancer bronchique en l’évaluant à 60 %. Sur ce plan, il est plus difficile d’être convaincu. L’expertise apportait peut-être des éléments encourageant à cette prise en compte partielle, mais ces données médicales ne ressortent pas de la motivation de l’arrêt. La Cour a jugé que selon le rapport d’expertise, le tabagisme passif « est à l’origine du cancer bronchique primitif » qui est apparu au cours de l’année 2000. La notion de perte de chance revient souvent dans affaires de responsabilité médicale concertant le cancer, car le schéma est celui d’un cancer préexistant, dont le diagnostic a été tardif ou dont la prise en charge a été défectueuse. On est alors dans l’hypothèse d’une prise en charge de la maladie rendue plus complexe, et la perte de chances est effectivement la référence.
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Là, la question est différente, car le rapport d’expertise – et la rédaction de l’arrêt – retient comme « cause déterminante » du cancer le tabagisme passif, sans évoquer une autre cause. De plus, on sait que la question avait été débattue, car l’École avait soulevé le temps limité de l’exposition au tabagisme. Il peut également arriver qu’on ne sache dire qu’elle est la cause d’un cancer, et nombre de non-fumeurs sont atteints sans que l’on ne parvienne à déterminer la cause. Mais ici les experts avaient qualifié cette exposition de déterminante, soulignant l’hygiène de vie d’une personne atteinte d’asthme. 3.2.3. Montant Le déficit fonctionnel temporaire subi par Mme X du fait de son cancer a été de 100 % pendant la période du 18 décembre 2000 au 31 mars 2001, de 50 % pendant les mois d’avril et de mai 2001, puis de 25 % jusqu’au mois d’octobre 2002. Les souffrances endurées ont été estimées par l’expert à un degré de 3 sur une échelle de 7. Isera fait une juste indemnisation des préjudices résultant de ces périodes de déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées en les évaluant à la somme de 6500 euros. La requérante demeure atteinte, à la suite de son cancer, d’un déficit fonctionnel permanent de 20 %, et pour a réparation due au titre des troubles résultant d’un tel déficit, les premiers juges n’ont pas fait une estimation insuffisante. En fixant à la somme de 28 000 euros 7/ L’expert a évalué le préjudice esthétique dont Mme X demeurait atteinte du fait de sa pathologie à un degré de 1 sur une échelle de 7, et la réparation doit être fixée à 2700 euros. Il résulte de ce qui précède que les préjudices à caractère personnel subis doivent être évalués à la somme de 37 200 euros. La perte de chance de subir ces préjudices étant fixée à 60 %, les préjudices indemnisables s’élèvent à la somme de 22 320 euros. 4. Références générales • Loi no 91-32, 10 janv. 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, JO 12 janv., p. 615 ; D. no 92-478, 29 mai 1992 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif et modifiant le code de la santé publique, JO 30 mai, p. 7263. Ces dispositions sont intégrées dans le Code de la santé publique aux articles L. 35117 et R. 3511-1 et s. • Cons. const., 8 janv. 1991, no 90-283 DC, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, validant l’interdiction de réaliser de la publicité compte tenu des impératifs constitutionnels de protection de la santé. • CEDH : Exposer un détenu au tabagisme passif constitue un traitement dégradant de nature à lui ouvrir un droit à indemnité (CEDH, 14 sept. 2010, aff. 37186/03, Florea c/Roumanie, P. MOURON, RDSS 2011, p. 86. B. PASTRE-BELDA), « Le tabagisme passif d’un détenu est contraire à la Convention » La Semaine Juridique Édition Générale no 39, 27 Septembre 2010, 952. même note. • CE, 30 décembre 2011, no 330959, N.G.-R., Jurisprudence Sociale Lamy – 2012, 316, Tabagisme passif de l’agent public et responsabilité de l’employeur ; CE, 10 juin 2009, no 318066, Société l’oasis du désert, synd. union des professionnels du narguilé, Rec. CE tables 2009, p. 610 ; CE, 17 juin 2009, no 318821, France Telecom ; CAA Nancy, 23 septembre 2010,
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no 09NC01717, Mandelli ; CAA Paris, 19 juin 2007, no 06PA02987 et 06PA03562, Szabo ; CAA Paris, 7 février 2006, no 01PA00338, Rezak. • Cour de cassation : Cass. Soc., 29 juin 2005, no 03-44412, Bull. civ. V, no 219, D. 2005, p. 2565, note A. BUGADA ; Cass. Soc., 6 octobre 2010, no 09-65103, Bull. civ. V, no 215, RDT 2011, p. 322, note M. VERICEL.
5. Jurisprudence de référence du Conseil d’État 5.1. Conseil d’État, 30 décembre 2011, no 330959, Tables Considérant qu’il résulte des dispositions combinées de l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984, de l’article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite et de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale que peut être reconnue d’origine professionnelle, pour un agent de la fonction publique territoriale, « une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles « lorsqu’il est établi, notamment, qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime ; Considérant qu’il ressort des énonciations non contestées du jugement attaqué que l’affection cancéreuse dont souffre M. A n’était pas au nombre des maladies désignées dans un des tableaux de maladies professionnelles mentionnés par les dispositions de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale et annexés à ce code ; que, par suite, cette pathologie ne pouvait être regardée d’origine professionnelle que s’il était établi qu’elle avait été essentiellement et directement causée par son travail habituel au sein des services du département du Nord ; Considérant qu’en jugeant que l’intéressé n’établissait pas avoir effectivement fait l’objet d’une surexposition au tabagisme en lien avec sa pathologie sur l’ensemble de la période au cours de laquelle il avait été affecté dans les services du département, alors qu’il avait par ailleurs relevé que la forte probabilité d’un lien de causalité entre sa maladie et une surexposition à la fumée du tabac de longue durée avait été reconnue par plusieurs avis médicaux, le tribunal administratif de Lille, qui a notamment indiqué que l’intéressé reconnaissait avoir été exposé durant de nombreuses années à la fumée du tabac dans le cadre de ses activités professionnelles antérieures, n’a pas entaché son jugement d’une contradiction de motifs ; Considérant que, pour juger qu’il n’était pas établi que la pathologie de M. A était essentiellement et directement causée par son travail habituel, le tribunal a estimé qu’il ne résultait pas de l’instruction que l’intéressé avait été exposé de fac¸on continue à la fumée du tabac au sein des services du département du Nord sur l’ensemble de la période en cause, en lien avec sa pathologie, et que l’hypothèse d’une telle exposition, y compris extra professionnelle, au cours de la période précédente ne pouvait être écartée ; que, ce faisant, le tribunal a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine qui, dès lors qu’elle est exempte de dénaturation, ne saurait être discutée devant le juge de cassation et n’a pas entaché son jugement d’une erreur de droit ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A n’est pas fondé à demander l’annulation du jugement qu’il attaque, en tant qu’il a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 7 septembre 2006 du président du conseil général du Nord refusant de reconnaître comme maladie professionnelle son affection cancéreuse ; Sur le jugement attaqué, en tant qu’il statue sur les conclusions indemnitaires de M. A : Considérant que les autorités administratives ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents ; qu’il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d’assurer la bonne exécution des dis-
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positions législatives et réglementaires qui ont cet objet, ainsi que le précise l’article 2-1 introduit par le décret du 16 juin 2000 dans le décret du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive de la fonction publique territoriale ; qu’à ce titre, il leur incombe notamment de veiller au respect des dispositions de l’article 1er du décret du 29 mai 1992 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, reprises à l’article R. 355-28-1 puis à l’article R. 3511-1 du code de la santé publique ; que l’agent qui fait valoir que l’exposition au tabagisme passif sur son lieu de travail serait à l’origine de ses problèmes de santé, mais dont l‘affection ne peut être prise en charge au titre de la législation sur les maladies professionnelles dès lors qu’il n’est pas établi qu’elle serait essentiellement et directement causée par le travail habituel de l’intéressé, peut néanmoins rechercher la responsabilité de sa collectivité en excipant de la méconnaissance fautive par cette dernière de ses obligations rappelées ci-dessus ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant, après avoir rejeté les conclusions de M. A tendant à la reconnaissance de son affection cancéreuse au titre de la législation sur les maladies professionnelles, que l’intéressé ne pouvait par suite établir l’existence d’aucun préjudice résultant d’une faute qu’aurait commise le département du Nord en ne faisant pas respecter dans ses services l’interdiction de fumer, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que M. A est fondé, pour ce motif, à demander l’annulation du jugement qu’il attaque, en tant qu’il a statué sur ses conclusions indemnitaires (. . .). 5.2. Conseil d’État, 10 juin 2009, no 318066, L’Oasis du désert, tables Considérant que les requêtes de la Société L’Oasis du Désert et dy Syndicat Union des professionnels du Narguilé sont dirigées contre les refus opposés à leurs demandes d’abrogation du décret du 15 novembre 2006, pris sur le fondement de l’article L. 3511-7 du code de la santé publique, aux termes duquel : « Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs. /Un décret en Conseil d’EÉtat fixe les conditions d’application de l’alinéa précédent ». Considérant que l’article R. 3511-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret du 15 novembre 2006, dispose que : « L’interdiction de fumer ne s’applique pas dans les emplacements mis à la disposition des fumeurs (. . .) et créés, le cas échéant, par la personne ou l’organisme responsable des lieux. » ; que l’article R. 3511-3, dans sa rédaction issue du même décret, définit les emplacements réservés comme des salles closes, affectées à la consommation de tabac et dans lesquelles aucune prestation de service n’est délivrée, et y interdit l’exécution de tâche d’entretien et de maintenance sans que l’air ait été renouvelé, en l’absence de tout occupant, pendant au moins une heure ; Considérant que le régime d’interdiction de fumer dans des lieux affectés à un usage collectif mis en place, dans un objectif de protection de la santé publique, par le législateur, réserve uniquement la possibilité de fumer dans des emplacements expressément réservés aux fumeurs ; qu’en précisant, en vue de protéger les tiers et en particulier des salariés contre le risque de tabagisme passif, que ces emplacements ne peuvent correspondre à des locaux dans lesquels sont délivrées des prestations de service, le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu la portée des dispositions législatives mentionnées ci-dessus ; que, compte tenu tant des impératifs de santé publique, que de la portée des contraintes qu’il a posées, il n’a méconnu ni le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ni le principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre, alors même que certaines entreprises, tels que les salons à narguilé, ont traditionnellement pour objet
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même de délivrer des prestations à leurs clients fumeurs et que de nombreux salons pourraient cesser leur activité ; que les requérants ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle, en l’état actuel du droit, est dépourvue de la force juridique qui s’attache à un traité introduit dans l’ordre juridique interne ; que le décret du 15 novembre 2006 ne prive pas les associations ayant un objet en lien avec le tabac du droit de réunir leurs membres ; qu’ainsi, il ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée ni la liberté de réunion garantis par les articles 8 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (. . .). 5.3. En droit du travail, violer l’interdiction de fumer est une faute grave Cass. soc., 1er juill. 2008, no 06-46.42 « Mais attendu que la cour d’appel a constaté que le salarié, employé d’une cartonnerie, avait fumé une cigarette dans un local au sein de l’entreprise affecté aux pauses en violation d’une interdiction générale de fumer justifiée par la sécurité des personnes et des biens, imposée en raison du risque d’incendie par l’arrêté préfectoral d’autorisation d’installation classée et figurant au règlement intérieur, portée à sa connaissance tant par l’affichage de ce règlement que par les nombreux panneaux disposés dans l’entreprise, ainsi que par une note interne de rappel mentionnant les sanctions encourues ; que par ces seuls motifs, elle a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que le comportement de l’intéressé rendait impossible son maintien dans l’entreprise et constituait une faute grave »4 . Sur l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur. Lire : D. Corrignan-Corsin, « La violation par un salarié de l’interdiction de fumer dans l’entreprise constitue une faute grave La Semaine Juridique Édition Générale no 36, 3 septembre 2008, II 10144.
4 Sur l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur : aux termes de l’article L. 4121-1 du Code du travail, l’employeur doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » a été très largement consacrée. Dès 2002, la Cour de cassation a reconnu qu’à côté de cette obligation légale existait une obligation contractuelle de sécurité de résultat (Cass. soc., 28 févr. 2002, Bull. civ. 2002, V, no 81 ; JCP G 2002, II, 10053, concl. A. Benmakhlouf ; D. 2002, p. 2696, note X. Prétot). « L’employeur est tenu, à l’égard de son personnel d’une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs » (V. Cass. soc., 5 mars 2008, no 06-45.888 : ; JCP E 2008, 1834, M. Babin ; Cass. soc., 30 sept. 2005, no 04-40.625, Bull. civ. 2005, V, no 278 ; JCP G 2006, II, 10012, note S. Molla ; Dr. soc. 2006, p. 102, obs. J. Savatier.