( ~ Masson, Paris. Ann Fr Anesth Reanim,
CAS CLINIQUE
12:434-436, 1993
Tdtrapl gie au d cours d'une colonoscopie : syndrome de sevrage aux benzodiaz pines induit par le flumaz( nil ? Tetraplegia after colonoscopy" benzodiazepine withdrawal syndrome due to flumazenil ? J.C. SLETH *, O. DUHAMEL** * D6partement d'Anesth~sie-R6animation ** Service d'H~pato-Gastroent6rologie, CHG de B6ziers, 2, boulevard Perreal, 34525 B6ziers Cedex
RI~SUM#: L'observation rapporte le cas d'une patiente de 68 ans, utilisatrice m6connue de lorazdpam depuis 15 ans, chez qui est r6alis6e une anesth6sie g6n6rale par midazolam et 6tomidate pour colonoscopie. En fin de proc6dure, l'injection de 0,2 mg de flumaz6nil induit un tableau neurologique atypique o~ pr6domine une tdtrapl6gie rdversible en deux heures sans s6quelles. L'hypoth6se d'un syndrome de sevrage aux benzodiazdpines parait la plus vraisemblable. Mots-cl6s : A N E S T H E , S1E : ambulatoire ; A N T A G O N I S T E S : flumazOnil ; B E N Z O D 1 A Z E P 1 N E S : lorazOpam ; C O M P L I C A T I O N S : sevrage, tOtraplOgie ; D1GEST1F ( A P P A R E I L ) : colonoscopie ; S Y S T t ~ M E N E R V E U X C E N T R A L : t~trapl~gie.
Le syndrome de sevrage aux benzodiaz6pines, bien connu des psychiatres, a fait l'objet de quelques publications en anesth6siologie [5, 13]. Le flumaz6nil, antagoniste sp6cifique des benzodiaz6pines, peut induire un sevrage aigu chez des patients utilisateurs chroniques de benzodiaz6pines. C'est dans ce cadre qu'est rapport6e une observation dont ia symptomatologie neurologique est atypique.
OBSERVATION
M a d a m e R., figde de 68 ans et pesant 48 kg, est adress6e en hospitalisation de jour pour une colonoscopie sous anesth6sie g6n6rale. La consultation pr6anesth6sique est rdalis6e le jour m6me. Cette patie,nte souffrant de colopathie est trait6e par 2 0 0 m g de viloxazine et divers antispasmodiques. Dans ses ant6cddents, on note une encdphalite virale h l'fige de 20 ans qui n'a pas entrain6 de s6quelles neurologiques. Le bilan biologique est sans particularit6. L ' e x a m e n est rdalis6 en position lat6rale, en ventilation spontan6e avec apport d'oxyg6ne par voie n a s a l e ; le monitorage est Re~u le 7 octobre 1992, accept6 apr6s r6vision le 15 mars 1993.
assur6 par un oxym6tre de pouls et la prise manuelle de la pression art6rielle. L'anesthdsie associe 3 mg de midazolam h 20 mg d'6tomidate administr6s h doses tildes. L ' e x a m e n pratiqu6 jusqu'au c~ecum sans biopsie dure 15 min, sans variation significative de la pression art6rielle ou de la Spo2. Afin de hfiter le r6veil, une dose de 0,2 mg de flumaz6nil est inject6e ; la patiente se r6veille imm6diatement et signale un malaise, une angoisse et des prdcordialgies. Tr6s rapidement, surviennent des myocionies gdn6ralisdes, assocides ~ des paresth6sies des extr6mitds, auxquelles fait rapidement suite un 6tat tdtrapl6gique sans trouble de la conscience. L ' e x a m e n neurologique met en 6vidence une hyperesth6sie cutan6e diffuse, une hypotonie massive des m e m b r e s et une ar6flexie ost6otendineuse. Aucune anomalie h6modynamique ou r y t h mique n'est not6e (le cardioscope est branch6 en salle de rdveil), et la fonction ventilatoire est normale. La reprise de l'interrogatoire rdv61e une prise vesp6rale de 2,5 mg de lorazdpam depuis 15 a n s ! L'injection de 5 mg de midazolam ne modifie pas la symptomatologie. L'6volution est spontan6ment favorable en deux heures avec r6apparition d'une Tir6s a part : J.C. Sleth.
SYNDROME DE SEVRAGE ET FLUMAZ¢:NIL
motricit6 distale puis proximale. La valeur des CPK et de la kali6mie ainsi que les r6sultats de I'ECG sont normaux. A sa demande, la patiente sort le jour m6me, apr6s un examen neurologique dont le r6sultat est normal ; un suivi t616phonique r6v~le des myalgies de type syndrome grippal ainsi que des paresth6sies distales, qui persistent pendant une semaine malgr6 la reprise du loraz6pam. Un contr61e biologique (CPK, kali6mie) n'apporte aucun 616ment suppl6mentaire. Aucun bilan neurologique sp6cialis6 n'est r6alis6 ~ distance; son mddecin traitant ne signale aucune complication ult6rieure avec un recul de six mois.
DISCUSSION /
Cette observation tire son originalit6 de la survenue d'une t6trapl6gie r6versible apparaissant imm6diatement apr~s l'injection de 0,2 mg de flumaz6nil chez une utilisatrice chronique de benzodiaz6pines. La dur6e du ph6nom6ne paralytique est ~ rapprocher de la dur6e d'action pharmacologique du flumaz6nil (environ 2 h) et de sa demivie d'61imination (environ 50 min). Les sympt6mes qui l'ont pr6c6d6 (myoclonies...) ainsi que ceux qui l'ont suivi (myalgies, paresth6sies) sont compatibles avec un syndrome de sevrage aux benzodiaz6pines. Depuis l'observation princeps de HOLLISTER et coll. [10], ce syndrome a fait l'objet de nombreuses publications et mises au point [3, 7, 9, 11]. I1 se manifeste dans les formes mineures par un rebond de l'anxi6t6 ou de l'insomnie initiale, associ6 h des signes fonctionnels ou physiques plus ou moins sp6cifiques dans les formes mod6r6es pouvant persister de quelques jours quelques semaines. Parmi une soixantaine de sympt6mes r6pertori6s, on trouve des tremblements, divers troubles digestifs, des alt6rations visuelles et auditives, des anomalies de la perception du mouvement, une sensation d'irr6alit6, des paresth6sies, des hyperesth6sies, des douleurs musculaires, des myoclonies... ; des 6pisodes d6ficitaires n'y figurent pas. Les formes graves auxquelles correspondent des tableaux psychiatriques aigus ou des 6tats convulsifs sont rares et estim6es ~t 2 % des cas de sevrage. La r6introduction d'une benzodiaz6pine entra/ne l'arr6t des troubles, mais ces derniers disparaissent d'autant mieux et rapidement que la dose est massive et que la benzodiaz6pine utilis6e est celle impliqu6e dans le sevrage [5]. En utilisant la m6thode d'imputabilit6 des effets ind6sirables recommand6e par les centres de pharmacovigilance fran~ais [1], cet incident obtiendrait un score d'imputabilit6 intrins6que 61ev6 : C3 (imputabilit6 chronologique) et $2 (imputabilit6 s6miologique) permettant de mettre en cause le flumaz6nil. L'imputabilit6 bibliographique serait de type Bo correspondant h u n fait ~ jamais publi6 ~.
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Ce cas clinique semble constituer la premi6re observation d'une forme t6trapl6gique d'un syndrome de sevrage induit par le flumaz6nil. Cette nouvelle forme clinique soul6ve un probl~me physiopathologique : s'agit-il d'une myalgie extreme ? Mais la patiente affirme avoir v6cu en pleine conscience un 6pisode t6trapl6gique progressivement r6versible ; ou bien s'agit-il d'une action myoreiaxante paradoxale du flumaz6nil ? Mais cela ne correspond pas ~ la pharmacologie connue de la mol6cule. Dans le cadre de l'anesth6siologie, ces accidents de sevrage sont exceptionnellement rapport6s et se limitent le plus souvent ~ des 6pisodes d'anxi6t6 ou d'agitation sans cons6quences [4] ; ils sont toujours lids /l l'utilisation de benzodiaz6pines ant6rieurement /L l'anesth6sie. Ces observations sont ~ opposer ~ la parfaite tol6rance du flumaz6nil dans l'antagonisme des effets centraux des benzodiaz6pines lors de diazanalg6sie [14] ou de s6dation prolong6e en r6animation. Exp6rimentalement le syndrome de sevrage chimio-induit est facilement obtenu ; CUMIN et coll. [6] en provoquent chez l'animal rendu d6pendant aux benzodiaz6pines (diaz6pam, loraz6pam, triazolam) par l'injection de 10 m g . kg -~ de flumaz6nil. BERNIK et GORENSTEIN [2] obtiennent les m6mes r6sultats lors d'une 6tude contre placebo chez des patients utilisateurs chroniques de diaz6pam apr6s injection de 1 mg de flumaz6nil. Ces r6sultats sont ~ opposer ceux rapport6s en toxicologie clinique, o4 les syndromes de sevrage, tant majeurs que mineurs, semblent rares lors de l'emploi d'antagoniste. LHEUREUX et ASKENASI [12] ne signalent qu'un cas de crise grand mal sur une soixantaine d'intoxications trait6es par le flumaz6nil, alors qu'il s'agit le plus souvent d'utilisateurs chroniques. La cause du syndrome de sevrage est donc sans nul doute l'existence d'une d6pendance. Des facteurs de risque de sevrage ont 6t6 d6crits, qui d6termineraient la fr6quence et l'intensit6 des sympt6mes [9], parmi lesquels ne figure pas une dose excessive. La brutalit6 de i'arr6t en est un, l'utilisation d'antagoniste pourrait en constituer la forme la plus intense. Les benzodiaz6pines h demi-vie courte (triazolam, loraz6pam...) sont incrimin6es plus souvent que celles ~ demi-vie longue [8]. Mais le param6tre pour lequel semble se d6gager un consensus est la dur6e du traitement : en de~h de trois mois, le risque est quasiment n u l ; de trois mois h u n an, le risque de voir apparaitre un syndrome de sevrage mineur ou mod6r6 est de 10 20 %, et au delft d'un an d'utilisation r6guli6re, le risque passe de 25 h 50 %. Le risque de survenue d'une forme grave est une 6ventualit6 rare, estim6e ~t 1 pour 50 millions de patient-mois [11]. La recherche d'une autre cause m6dicamenteuse est infructueuse, mais on ne peut exclure le r61e aggravant de l'6tomidate dans la survenue des myoclonies. Une 6ventualit6 diagnostique dans cette observation serait une paralysie dyskali6mi-
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J.C. SLETH, O. DUHAMEL
que par transfert ( m a l a d i e de W e s t p h a l , a d y n a m i e 6pisodique hdrdditaire) : mais les valeurs n o r m a l e s de la kali6mie et de I ' E C G , l ' a b s e n c e d ' a n t 6 c 6 d e n t p e r s o n n e l ou familial et de facteur d 6 c l e n c h a n t r e n d e n t cette hypoth6se p e u plausible. La rapidit6 d ' i n s t a l l a t i o n et la bri~vet6 de la paralysie 61imin e n t les diagnostics de scl6rose en p l a q u e s , de crise de p o r p h y r i e et d ' i n f e c t i o n ~ 6chovirus. U n accident de c o n v e r s i o n hyst6rique ne parait pas e n v i s a g e a b l e , malgr6 le caract~re p r o t 6 i f o r m e des s y m p t 6 m e s car s u r v e n a n t chez u n e f e m m e de 68 ans, sans a n t 6 c 6 d e n t p s y c h i a t r i q u e , de t e m p d r a m e n t h y p o c h o n d r i a q u e et a y a n t u n e a t t i t u d e trbs critique par r a p p o r t & ses s y m p t 6 m e s .
CONCLUSION
2. BERNIK MA, GORENSTEIN C. Flumazenil precipitated withdrawal in chronic users of low doses of diazepam. Biol Psychiatry, 29 (suppl 11): 465, 1991. 3. BISSUEL Y, MARIE-CARDINE M. Ddpendance et syndrome de sevrage aux benzodiaz6pines : aspects cliniques et th6rapeutiques. Mdd Hyg, 48: 1666-1670, 1990. 4. BLANCH1 G, STENIER P. A clinical double-blind study of flumazenil, antagonist of benzodiazepines, in loco-regional anesthesia. Acta Anesthesiol Belg, 41 : 51, 1990. 5. CHAPILLON M, FOSSE A, GRISON P, N1CAISE C, DELHUMEAU A. Convulsions it6ratives apr6s sevrage brutal en benzodiaz6pines. Ann Fr Anesth R~anim, 6 : 525-527, 1987. 6. CUMIN R, BONNETFIEP, SCHERSCHLICHTR, HAEFELYWE. Use of the specific benzodiazepines antagonist, Ro 15-1788, in studies of physiological dependence of benzodiazepines. Experientia, 38: 833-834, 1982. 7. EDWARDS JG, CANTOPHER T, OLIVER1 S. Benzodiazepine dependance and the problems of withdrawal. Postgrad Med J, 66: 27-35, 1990. 8. FONTAINE R,
Cette o b s e r v a t i o n , d o n t la clinique est a t y p i q u e et i n e x p l i q u 6 e , rappelle la possibilit6 de s u r v e n u e e n anesth6siologie d ' a c c i d e n t i a t r o g 6 n e induit p a r le flumaz6nil chez des p a t i e n t s utilisateurs c h r o n i ques de b e n z o d i a z 6 p i n e s . Sa p r 6 v e n t i o n passe p a r la n6cessit6, n o n s e u l e m e n t de r e c h e r c h e r attentiv e m e n t la prise d ' u n e b e n z o d i a z 6 p i n e et de l ' i d e n tifier car elle est s o u v e n t oubli6e par le p a t i e n t , mais aussi d ' e n pr6ciser la durde afin de j u g e r de l ' o p p o r t u n i t 6 de l ' u t i l i s a t i o n du flumaz6nil.
9. 10.
11. 12. 13.
BIBLIOGRAPHIE
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ABSTRACT: A case is reported of a 68-year-old female patient who developed a flaccid tetraplegia on
recovering from a colonoscopy, carried out under general anaesthesia (3 mg of midazolam, 20 mg of etomidate). During the preanaesthetic visit, she omitted to report a 15-year-addiction to lorazepam 2.5 mg every night. At the end of the procedure; 0.2 mg of flumazenil were injected. Recovery was immediate but followed by neurogical signs associating general weakness, paraesthesia and tetraplegia. These symptoms discontinued spontaneoulsy two hours later. She was discharged the same day but complained of myalgia and paraesthesia for a week. The physiopathology of this accident is unknown. The differential diagnosis and the influence of flumazenil on benzodiazepine withdrawal are discussed.