Journal des Maladies Vasculaires 32 (2007) 225–228
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Thromboses veineuses profondes distales des membres inférieurs : to treat or not to treat? Épidémiologie, prise en charge et problématique Calf vein thrombosis: to treat or not to treat? Epidemiology, management and problematics J.-P. Galanaud*, A. Khau Van Kien, C. Boubakri, G. Böge, J.-P. Laroche, I. Quéré Service de médecine interne et maladies vasculaires, hôpital Saint-Éloi, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 05, France Reçu le 26 juin 2007 ; accepté le 26 juillet 2007 Disponible sur internet le 18 septembre 2007
MOTS CLÉS Thrombose veineuse profonde ; Thrombose veineuse distale ; Maladie veineuse thromboembolique ; Anticoagulation ; Épidémiologie
Résumé Les thromboses veineuses profondes distales des membres inférieurs représentent environ 50 % des thromboses veineuses profondes et présentent globalement les mêmes facteurs de risque que les thromboses veineuses proximales. Leur taux de complication n’est pas connu avec précision, et leur prise en charge n’est pas consensuelle. Les études récentes laissent supposer qu’elles exposeraient dans 1 à 5 % des cas à une extension proximale et dans 3 % des cas à la survenue d’une maladie postphlébitique. En France, il est d’usage de traiter les thromboses veineuses profondes distales par compression élastique associée à six semaines à trois mois d’anticoagulation curative en cas de facteur déclenchant transitoire, et plus longtemps dans le cas contraire. Cependant, le bénéfice d’un tel traitement, au vu du risque hémorragique auquel il expose, n’est pas certain. L’essai clinique randomisé CACTUS (compression élastique versus compression élastique + anticoagulant, pendant six semaines) qui débutera en septembre 2007 devrait permettre d’apporter des éléments de réponse à la question suivante : faut-il ou non traiter les thromboses veineuses distales avec des anticoagulants à dose curative ?
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS Calf vein thrombosis;
Abstract Calf vein thrombosis corresponds to infrapopliteal deep vein thrombosis which accounts for roughly 50% of all cases of deep vein thrombosis and shares the same risk factors as proximal deep vein thrombosis. The complication rate and proper management remain
* Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-P. Galanaud).
0398-0499/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jmv.2007.07.004
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Deep vein thrombosis; Venous thromboembolic disease; Anticoagulant therapy; Epidemiology
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debated. Recent studies suggest that the risk of proximal extension of calf vein thrombosis is 1 to 5% and that the risk of postthrombotic syndrome is 3%. In France, calf vein thrombosis is usually treated with compression stockings associated with a six week to three month regimen of anticoagulation therapy in patients presenting a transient triggering factor or longer otherwise. However, the benefit of such treatment, in terms of the hemorragic risk incurred, remains uncertain. The randomized double blind trial CACTUS (compression stocking + placebo versus compression stocking + heparin, for six weeks) that will start in September 2007, should provide answers the following question: should calf vein thrombosis be treated with anticoagulants?
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Les thromboses veineuses profondes distales (TVD) sont des thromboses infrapoplitées, intéressant les veines musculaires (jumelles et soléaires) ou jambières (tibiales antérieures et postérieures et péronières).
Épidémiologie Si l’incidence des thromboses veineuses profondes proximales (TVPP) est estimée à environ 1 cas/1000 habitants par an, augmentant avec l’âge, celle des TVD est moins connue [1–3]. La proportion des TVD au sein des TVP varie selon le recrutement : 20 % en milieu hospitalier, 60 % en ambulatoire, 90 % en cas de dépistage en gériatrie [4–7]. L’absence de données épidémiologiques plus précises tient en grande partie au fait que, d’une part, le diagnostic de cette pathologie est devenu plus fréquent grâce aux progrès de l’imagerie médicale, et d’autre part, que ces thromboses ne sont pas systématiquement recherchées, notamment aux États-Unis, principal pays investigateur en recherche épidémiologique. Les TVD partageraient les mêmes facteurs de risque que les TVPP, et le cancer actif serait plus fréquemment associé aux TVPP [8]. Ces résultats sont concordants avec ceux de l’étude OPTIMEV, coordonnée par JeanLuc Bosson, qui a retrouvé les mêmes principaux facteurs de risques pour les TVPP et les TVD. Cela confirme qu’il s’agit de deux entités d’une même maladie : la maladie veineuse thromboembolique (MVTE) [9].
Pathogénie Les TVD exposent à deux types de complications dont l’intensité ou la réalité restent débattues : le potentiel thromboembolique et la maladie postphlébitique.
Potentiel thromboembolique Le taux d’extension des TVD est très variable d’une étude à l’autre avec des chiffres variant de 0 à 44 % [10]. Les études les plus récentes retrouvent quant à elles des taux d’extension proximale à deux semaines de 3 % en cas de TVD asymptomatique ou de TVD musculaire avec plus de 90 % des extensions survenant dans les deux premières semaines [11,12]. Ces chiffres sont proches de ceux estimés par Marc Righini : entre 1 et 5,7 %.
Maladie postphlébitique Du fait des délais entre sa survenue et celle de la thrombose, au moins deux ans, peu d’études se sont intéressées spécifiquement à ce phénomène en cas de TVD, et leurs résultats sont contradictoires [10]. Dans la cohorte de 223 patients suivis sur 13 ans de Eischlesberger, la fréquence et la gravité de la maladie postphlébitique étaient directement liées au degré de proximalité du thrombus : 3,7 % des cas, en cas de TVD contre 55 % en cas de TVP pelvienne [14]. Ainsi, si la survenue d’une maladie postphlébitique en cas de TVD est possible, dans tous les cas, elle serait moins sévère qu’en cas de TVPP.
Stratégie diagnostique La détection et la prise en charge des TVD varient d’un pays à l’autre. Il existe deux principaux types de stratégies diagnostiques permettant, ou de mettre en évidence la TVD (écho-doppler complet du membre inférieur), ou son extension (réalisation à une semaine d’intervalle de deux échodoppler proximaux, i.e. excluant les veines surales, en cas de négativité du premier examen). Ces deux techniques présentent des taux d’événements thromboemboliques à trois mois comparables de l’ordre de 0,4 à 0,6 % environ (Tableaux 1 et 2) [10]. La technique habituellement utilisée en France est celle de l’écho-doppler complet des membres inférieurs. Elle permet d’éviter d’avoir à réaliser d’autres examens complémentaires. Cependant, elle présente plusieurs inconvénients : ● technique : l’exploration des veines du mollet est plus difficile que celle des veines proximales et nécessite des opérateurs entraînés. Dans la plupart des études publiées, la sensitivité de l’examen est comprise entre 50 et 75 %, et la spécificité de 90 à 95 % contre plus de 95 % de sensitivité et de spécificité en cas d’échodoppler proximal [10] ; ● risque de faux-positif, avec pour conséquence des mises en route de traitements anticoagulants inutiles et potentiellement dangereux ; ● mise en route de traitement anticoagulant pour traiter des TVD qui ne se seraient pas étendues en proximalité. Ainsi, si l’on considère qu’en cas de suspicion de TVP, la prévalence des thromboses est de 20 %, également
Thromboses veineuses profondes distales des membres inférieurs : to treat or not to treat?
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Tableau 1 Risque thromboembolique à trois mois en cas de suspicion de TVP avec la technique du doppler proximal (Righini [10]) Table 1 Thromboembolic risk at three months in patients with suspected calf vein thrombosis with the proximal Doppler technique (Righini [10]) Étude
Patients
Stratégie diagnostique
Prévalence TVP
TVPP non confirmée
Birdwell 1998 Cogo 1998 Bernardi 1998
405 1702 946
16 24 28
335 1290 598
Kraaijen-hagen 02
1756
22
828
0,6 [0,1–1,8]
Wells 1997
593
16
501
0,6 [0,1–1,8]
Perrier 1999 Total
474 5471
Deux dopplers proximaux Deux dopplers proximaux Doppler proximal + d-dimères ± deuxième doppler proximal Doppler proximal + d-dimères ± deuxième doppler proximal Doppler proximal + test de probabilité clinique ± phlébographie ou deuxième doppler proximal d-dimères ± doppler proximal
Incidence thromboembolique à trois mois [IC 95 %] 0,6 [0,1–2,1] 0,7 [0,3–1,2] 0,4 [0–0,9]
24
286
2,6 [0,2–4,9] Incidence 0,67 [0,41–0,93]
Tableau 2 Risque thromboembolique à trois mois en cas de suspicion de TVP avec la technique du doppler complet (Righini [10]) Table 2 Thromboembolic risk at three months in patients with suspected calf vein thrombosis with the complete Doppler technique (Righini [10]) Étude
Nombre de patients
Elias, 03 Schellong, 03 Stevens, 04 Subramaniam, 05 Total
623 1646 445 526 3240
Prévalence TVP TVP proximales TVP distales n n 112 92 121 154 42 19 49 64
réparties entre TVPP et TVD, et que le taux d’extension en proximalité des TVD est de 5,7 % (borne supérieure de l’intervalle de confiance estimé de 1 à 5,7 %) [10], pour 100 patients : ○ 11 patients seront traités en cas de stratégie d’exclusion des TVD par dopplers proximaux (dix TVPP et moins d’une extension à j7 des dix TVD) ; ○ 20 patients seront traités en cas de doppler complet (dix TVPP et dix TVD), soit près du double qu’avec la stratégie des dopplers proximaux, avec un même résultat en termes d’efficacité antithrombotique. En pratique, en cas de suspicion de thrombose veineuse profonde, les stratégies diagnostiques, utilisant le doppler proximal, associées ou non au dosage des d-dimères, ou des tests de probabilité cliniques, présentent la même efficacité en termes de risque thromboembolique que la réalisation d’un écho-doppler complet.
Prise en charge thérapeutique Lorsqu’elles sont dépistées, la septième conférence de consensus de l’ACCP préconise de traiter les TVD par anticoagulation curative avec une même durée de traitement que les TVPP : trois mois en cas de facteur déclenchant transitoire retrouvé et six mois ou plus dans le cas contraire [15]. Bien qu’il s’agisse d’une recommandation de grade
TVP non confirmée
Risque thromboembolique à M3 % (IC 95 %)
401 1023 375 413
0,5 [0,1–1,8] 0,3 [0,1–0,8] 0,8 [0,2–2,3] 0,2 [0,01–1,3] Incidence 0,34 [0,10–0,58]
1A, c’est-à-dire basée sur des preuves scientifiques fortes, celle-ci est sujette à caution. En effet, les études ayant conduit à cette recommandation, soit ne différenciaient pas les TVPP des TVD, soit avaient inclus une forte proportion de patients avec des antécédents de maladie veineuse thromboembolique (donc à plus haut risque de récidive et devant bénéficier d’une anticoagulation plus longue). La pratique française s’appuie davantage sur les résultats de l’étude de Pinéde et al. qui ont démontré qu’en cas de premier épisode de TVD idiopathique ou avec facteur favorisant transitoire, six semaines de traitement anticoagulant étaient aussi efficaces que trois mois [13]. En présence d’un facteur favorisant permanent— cancer, syndrome myéloprolifératif, thrombophilie — ou de récidive, une anticoagulation plus longue s’impose… Enfin, les études ayant conduit aux recommandations nord-américaines et l’étude DOTVAK concernaient les TVD symptomatiques. Or, dans la pratique quotidienne, de nombreux examens écho-doppler sont réalisés à titre systématique, notamment en postopératoire de chirurgie. Même si leur potentiel thromboembolique n’est sans doute pas nul, 3 % à deux semaines dans l’étude de Sachdev et al., la prise en charge de ces TVD asymptomatiques n’a été validée par aucun essai clinique [11]. S’il semble difficile de définir une attitude thérapeutique univoque en l’absence de données plus précises sur leur potentiel thromboembolique réel, il semble, cependant, indispensable de ne pas les détecter
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systématiquement. L’étude PROTHEGE devrait permettre de répondre à la question de l’utilité de traiter ou non par anticoagulation curative les TVD asymptomatiques.
Problématique de la prise en charge anticoagulante La mise en place d’un traitement anticoagulant est censée prévenir la survenue d’une extension proximale qui surviendrait dans environ 1 à 5 % des cas, avec un taux de mortalité de 25 % en cas d’embolie pulmonaire non traitée, en supposant que le risque hémorragique inhérent au traitement serait inférieur. Or, dans l’étude DOTVAK, le taux d’hémorragies graves à un an était élevé : 2,8 % en cas d’anticoagulation pendant trois mois. De plus la spécificité du doppler n’étant que de 90 à 95 % environ, pour 100 patients traités, cinq à dix le sont à tort et exposés de ce fait à un risque hémorragique inutile et non négligeable [10]. À ce jour, il n’y a pas d’essai randomisé qui ait comparé une prise en charge par compression élastique et antiinflammatoires locaux seuls au traitement par anticoagulation et compression élastique afin de pouvoir conclure de façon formelle au bénéfice ou non de l’anticoagulation dans cette localisation thrombotique. Telle est l’ambition de l’essai CACTUS qui débutera en septembre 2007 (Annexe A).
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de savoir s’il faut ou non traiter par anticoagulation curative les TVD.
Références [1]
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Conclusion Les TVD constituent une part importante des TVP, mais les connaissances actuelles en termes d’épidémiologie et de potentiel thromboembolique sont limitées ou contradictoires. Cela est responsable d’une absence de consensus en ce qui concerne la nécessité de les détecter et leur prise en charge thérapeutique.
Annexe A. Étude CACTUS L’étude CACTUS est un essai clinique randomisé, multicentrique, franco-suisse en double insu, coordonné par le Pr Isabelle Quéré. Son objectif est de comparer l’efficacité de la compression élastique (+ placébo injectable) à celle de l’association compression élastique + anticoagulation efficace par Fraxodi®, chez des patients majeurs présentant un premier épisode de TVD symptomatique isolée. Conformément aux résultats de l’étude DOTVAK, la durée du traitement est de six semaines. Il est prévu d’inclure 600 patients, à partir de septembre 2007. Les critères d’exclusion sont les suivants : âge inférieur à 18 ans, poids inférieur à 40 kg ou supérieur à 100 kg, antécédent de TVP documentée, TVP ou embolie pulmonaire associée, grossesse, thrombopénie inférieure à 100 000/mm3, insuffisance rénale (créatininémie supérieure à 180 microM), allergie à l’héparine, saignement actif ou lésion susceptible de saigner. Le diagnostic positif sera effectué par écho-doppler : diamètre veineux, sous compression, supérieur à 5 mm. Le suivi, outre clinique, comprendra des dopplers à j3–j7 et à six semaines. En cas d’événements thromboemboliques, élevés dans le groupe non anticoagulé, l’essai sera interrompu. Cet essai répondra à la question
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