Un syndrome confusionnel isolé après l’ostéosynthèse d’une fracture fémorale révélant une embolie graisseuse

Un syndrome confusionnel isolé après l’ostéosynthèse d’une fracture fémorale révélant une embolie graisseuse

Pour citer cet article : Chhor V, et al. Un syndrome confusionnel isolé après l'ostéosynthèse d'une fracture fémorale révélant une embolie graisseuse...

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Pour citer cet article : Chhor V, et al. Un syndrome confusionnel isolé après l'ostéosynthèse d'une fracture fémorale révélant une embolie graisseuse. Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2015.10.013 Anesth Reanim. 2016; //: ///

Cas clinique

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Un syndrome confusionnel isolé après l'ostéosynthèse d'une fracture fémorale révélant une embolie graisseuse Vibol Chhor, Ségolène Robin, Frank Thomas, Didier Journois

Reçu le 30 septembre 2015 Accepté le 11 octobre 2015 Disponible sur internet le :

Hôpital européen Georges-Pompidou, université Paris Descartes, département d'anesthésie-réanimation, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France

Correspondance : Vibol Chhor, hôpital européen Georges-Pompidou, université Paris Descartes, département d'anesthésie-réanimation, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France. [email protected]

Mots clés Embolie graisseuse Confusion Polytraumatisme Périopératoire Fracture fémorale

Keywords Fat embolism Delirium Trauma Perioperative complications Femur fracture

Résumé Un patient de 22 ans est admis pour un polytraumatisme sans traumatisme crânien suite à un accident de 2-roues. Il a présenté un syndrome confusionnel 24 heures après une ostéosynthèse d'une fracture de la diaphyse fémorale. L'imagerie par résonance magnétique (IRM) a retrouvé des images diffuses en pluie d'étoiles (« starfield »), caractéristiques du diagnostic d'embolie graisseuse cérébrale. Ce cas clinique a permis de mettre en évidence le rôle primordial de l'IRM pour confirmer le diagnostic et éliminer d'autres diagnostics différentiels dans un contexte posttraumatique.

Summary An isolated delirium after a femur fracture fixation revealing fat embolism A 22-year-old man, admitted after a motorcycle accident with no brain trauma, presented with an isolated delirium, one day after his femur fracture fixation. Diagnosis of cerebral fat embolism was made using magnetic resonance imaging (MRI), which displayed a typical "starfield'' pattern. This report highlights the major role of MRI to confirm this syndrome and to rule out other neurological complications in a traumatic context.

Introduction L'embolie graisseuse est une complication connue après fracture des os longs [1] avec une incidence de 0,9 % jusqu'à 11 % dans les études les plus convaincantes [2,3] et un taux de mortalité d'environ 10 % dans ces vieilles séries de patients.

Les embolies graisseuses surviennent généralement à la suite du traumatisme initial et/ou durant l'alésage médullaire de l'ostéosynthèse de ces fractures. Le tableau clinique comporte une variété de signes cutanés, respiratoires, neurologiques et hématologiques. Nous rapportons le cas clinique d'un patient

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tome xx > n8x > xx 2016 http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2015.10.013 © 2015 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

ANREA-115

Pour citer cet article : Chhor V, et al. Un syndrome confusionnel isolé après l'ostéosynthèse d'une fracture fémorale révélant une embolie graisseuse. Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2015.10.013

Cas clinique

V. Chhor, S. Robin, F. Thomas, D. Journois

polytraumatisé de 22 ans avec une présentation neurologique isolée après une embolie graisseuse.

Cas clinique Un patient de 22 ans était hospitalisé pour un accident de 2-roues sans traumatisme crânien ni perte de connaissance. Son score de Glasgow était à 15 et son bilan lésionnel retrouvait une luxation de l'épaule gauche, une fracture de la vertèbre lombaire L1 sans déficit neurologique et une fracture diaphysaire fermée droite du fémur traitée par un enclouage centromédullaire au premier jour. Le jour suivant, le patient était agité et confus avec un score de Glasgow à 13 mais aucun signe cutané ou respiratoire. Le patient était apyrétique, avec une fréquence cardiaque de 90 b/min, une pression artérielle à 115/75 mmHg et n'était pas hypoxémique. Le bilan biologique retrouvait une thrombopénie à 125000/mm3, une anémie à 7,8 g/dL et une créatinine sérique à 59 mmol/L avec une diurèse conservée. Un scanner corps entier fait le même jour n'objectivait pas d'anomalies aux étages cérébral et thoracique. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale au 3e jour ne retrouvait aucun signe de dissection ou de thrombose ni anomalie sur la séquence T2 en écho de gradient, éliminant une hémorragie. Cependant, il existait plusieurs signaux hyperintenses en séquence de diffusion (DWI) et en séquence T2, dans la substance blanche et grise, compatible avec un aspect en pluie d'étoiles (« starfield pattern ») et conduisant au diagnostic d'embolie graisseuse cérébrale

(figures 1 et 2). Une échocardiographie transthoracique avec injection de microbulles a exclu la présence d'un foramen ovale perméable. Le patient a finalement récupéré spontanément sans séquelles avec une disparition des symptômes neurologiques au 4e jour.

Discussion L'intervalle entre le traumatisme, l'ostéosynthèse de la fracture et les symptômes cliniques est compatible avec une embolie graisseuse qui est une complication fréquente après une fracture de la diaphyse fémorale [1]. Cependant, le tableau clinique associe fréquemment des signes cutanés et/ou respiratoires et seuls de rares cas se retrouvent avec des signes neurologiques isolés [4–6]. Un syndrome confusionnel isolé à la suite d'un traumatisme peut soulever des préoccupations au sujet de lésions cérébrales post-traumatiques retardées même si le scanner cérébral à l'admission était normal [7]. En outre, une tomodensitométrie cérébrale normale peut faussement rassurer les cliniciens alors que l'IRM, si elle était faite en même temps, pourrait retrouver des lésions [8]. Chez notre patient, le scanner cérébral a permis d'exclure des lésions hémorragiques, mais cet examen n'est pas capable d'apporter des preuves pour le diagnostic d'embolie graisseuse. Aussi, l'IRM est indispensable pour éliminer un diagnostic différentiel tel que des lésions axonales diffuses ou des micro-infarctus surtout quand l'histoire clinique n'est pas typique. L'IRM permet de conclure au diagnostic d'embolie

Figure 1

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Séquences axiales IRM pondérées en T2 (A) et IRM de diffusion (B) 2 jours après ostéosynthèse du fémur. L'IRM retrouve de multiples signaux punctiformes hyperintenses en T2 (A) ou en restriction de diffusion (B) dans la substance blanche et grise des 2 hémisphères cérébraux (« starfield pattern »)

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Pour citer cet article : Chhor V, et al. Un syndrome confusionnel isolé après l'ostéosynthèse d'une fracture fémorale révélant une embolie graisseuse. Anesth Reanim. (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2015.10.013

Cas clinique

Un syndrome confusionnel isolé après l'ostéosynthèse d'une fracture fémorale révélant une embolie graisseuse

Figure 2 Séquences coronales pondérées en T2-FLAIR 2 jours après ostéosynthèse du fémur. L'IRM retrouve de multiples signaux punctiformes hyperintenses en T2-FLAIR dans la substance blanche et grise des 2 hémisphères cérébraux

graisseuse en retrouvant des modifications précoces en séquences T2 et de diffusion. Plusieurs présentations IRM ont été décrites [9] : la présentation en pluie d'étoiles (« starfield pattern ») sur l'IRM de diffusion est la plus décrite dans la littérature avec des images diffuses non confluentes et en restriction de diffusion, en particulier dans les zones cérébrales jonctionnelles et dans les noyaux gris centraux [10]. Ces anomalies, bien que non spécifiques, précèdent les mêmes lésions en hypersignal sur les séquences pondérées en T2 et permettent donc de confirmer le diagnostic plus précocement [11]. En outre, l'importance des lésions observées à l'IRM est liée à la gravité clinique neurologique [12]. Dans les jours suivants, les lésions IRM peuvent évoluer d'un œdème confluent cytotoxique à des lésions d'œdème vasogénique ou à des pétéchies hémorragiques de la substance blanche [9]. La physiopathologie de l'embolie graisseuse est encore sujette à controverses et plusieurs théories s'opposent pour tenter d'expliquer l'atteinte neurologique. Un foramen ovale perméable est rarement observée à la suite d'une embolie graisseuse et les études expérimentales ont retrouvé que la graisse peut traverser le système vasculaire pulmonaire sans shunt

cardiaque [13], cela pouvant expliquer l'absence de symptomatologie pulmonaire et la présentation neurologique isolée dans notre observation. Il n'existe actuellement aucun traitement spécifique. Toutefois, les mesures prophylactiques telles que la réduction et l'ostéosynthèse précoce des fractures des os longs ou des méthodes pour diminuer la pression intramédullaire lors de l'alésage peut réduire l'incidence de cette complication [14].

Conclusion Des symptômes neurologiques isolés suite à un traumatisme impliquant des fractures des os longs doit amener à s'interroger sur le diagnostic d'embolie graisseuse. En complément des éléments cliniques, l'IRM est indispensable dans ce contexte pour confirmer le diagnostic, en mettant en évidence des lésions en pluie d'étoiles (« starfield ») en séquence de diffusion, et permettre d'éliminer des diagnostics différentiels. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.

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Cas clinique

V. Chhor, S. Robin, F. Thomas, D. Journois

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