© Masson, Paris. Ann Fr Anesth R~anim, 7 : 418-421, 1988
CAS CLINIQUE
Embolie graisseuse c r brale post-traumatique Post-traumatic cerebral fat embolism M. THICOi'PE, M. ANDRe:, P. MAURE'I-FE, P. LASSIE, J.P. CLAVERIE Service de R6animation Traumatologique et Post-Chirurgicale, HOpital Pellegrin, Place Am61ie-Raba-L6on, F 33076 Bordeaux Cedex
RESUME: Un jeune homme de 17 ans est victime d'un accident de la voie publique. II souffre d'un traumatisme du b a s s i n e t du membre inf6rieur droit, dont une fracture de la diaphyse f6morale trait6e d'abord par mise en traction, puis par ost6osynth6se le 23e jour. Six heures aprbs l'admission apparait un coma 6valu6 ~ 7 ~ l'6chelle de Glasgow, puis ~ 4, ce qui n6cessite une assistance ventilatoire. I1 existe alors quelques p6t6cbies de la muqueuse conjonctivate et de la face ant6rieure du thorax. La tomodensitom6trie c6r6brale montre un oed~me diffus. Le diagnostic d'embolie graisseuse ~ forme c6r6brale pure est retenu. L'6volution, marqu6e par des pouss6es d'hypertension intracr~nienne, est favorable, avec des s6quelles r6gressives. L'imagerie par r6sonance magndtique, r6alis6e au dixi~me mois, confirme l'existence d'une discr6te dilatation ventriculaire en rapport avec une atrophic sous-corticale. Elle montre ~galement des 16sions s6quellaires isch6miques et d6my61inisantes au niveau du centre ovale droit et du lobe temporal droit. Cette observation pr6sente un double int6r6t : celui de pr6senter une forme c6r6brale pure d'embolie graisseuse, eelui surtout de montrer des images de r6sonance magn6tique qui vont l'encontre des donn6es cliniques de r6versibilit6 de raffection. Mots el6s : S Y S T I ~ M E N E R V E U X : cerveau, embolie graisseuse ; A C C I D E N T S : embolie graisseuse.
L'embolie graisseuse est une complication redoutable de la pathologic fracturaire des os longs et des fractures multiples [6]. La forme compl6te comprend plusieurs syndromes majeurs : pulmonaire, neurologique et cutan6o-muqueux. Les manifestations pulmonaires sont souvent r6v6latrices et retrouv6es dans pros de 90 % des cas. Une symptomatologie neurologique est tr6s fr6quemment associ6e [9]. A l'inverse, un syndrome c6r6bral grave isol6, en l'absence d'atteinte respiratoire, est exceptionnel. L'observation pr6sent6e rapporte le cas d'une embolie graisseuse c6r6brale grave apr6s traumatisme : les aspects tomodensitom6triques sont d6crits et corr616s aux signes cliniq u e s ; l'imagerie par r6sonance magn6tique est confront6e ~ !'6volution h long terme.
Un jeune homme de 17 ans est victime d'un accident de la voie publique ; le bilan 16sionnel r6v~le un traumatisme du membre inf6rieur droit, avec fracture ferm6e et d6plac6e de la diaphyse f6morale et fracture de la mall6ole interne; il
existe 6galement une fracture de la branche ischiopubienne droite et de l'aileron sacr6. A l'admission, le bless6 est conscient, avec une hypotension art6rielle (Pasy, : 70 mmHg) et une tachycardie (fc : 120 b • min-1). Apr~s expansion vol6mique, Pasys se stabilise autour de 110 mmHg et fc diminue, passant h 90 b . min -1. La mise en place d'une traction transtibiale droite est r6alis6e. Six heures apr6s l'admission, apparaissent des troubles neurov6g6tatifs: sueurs, hypertension art6rielle, tachycardie, hyperthermie ; le patient devient comateux, sans ouverture des yeux, ni r6ponse verbale, mais avec une r6ponse motrice en flexion orient6e h la douleur (score 7 sur l'6chelle de Glasgow). Un 61ectroenc6phalogramme montre alors une souffrance c6r6brale diffuse intense. L'alt6ration neurologique se poursuit, avec des mouvements hypertoniques bilat6raux en extension la stimulation douloureuse (score de Glasgow 4) h la 24 e h. Une intubation nasotrach6ale est alors effectu6e, associ6e ~ une ventilation assist6e. Une neuros6dation ~ base de gamma hydroxybutyrate de sodium et de fentanyl est alors instaur6e. L'6tat h6modynamique est stable; l'h6matose est satisfaisante (Pao2 : 120 mmHg, sous Fio2 0,4) ; le
Re~u le 14 mars 1988 ; accept6 apr6s r6vision le 10 juin 1986.
Tir6s ~ part : M. Thicoipe,
OBSERVATION
EMBOLIE GRAISSEUSE CI~RC:BRALE
clich6 radiographique montre une transparence pulmonaire normale. La tomodensitom6trie c6r6brale pratiqu6e ~t la 48eh r6v61e un gonflement enc6phalique diffus et des hypodensit6s au niveau des noyaux gris centraux et de la capsule interne. I1 existe quelques p6t6chies au niveau de la muqueuse sous-conjonctivale et de la face ant6rieure du thorax; en outre, la biologie note une thrombop6nie (70 000 par mm 3) et une an6mie ; le bilan lipidique et le fond d'oeil sont normaux. Le traitement comporte la poursuite de la neuros6dation, des phospholipides par voie intraveineuse et l'adjonction de clonaz6pam (3 m g . 24 h-l). Au quatri6me jour, l'6tat neurologique est identique et la tomodensitom6trie de contr61e retrouve un ~ed6me c6r6bral majeur, associ6 aux 16sions hypodenses observ6es pr6c6demment au niveau des zones capsulo-thalamiques et des centres ovales (fig. 1). A partir du cinqui6me jour, des signes cliniques d'hypertension intracrfinienne s6v6re apparaissent : bradycardie, hypertension art6rielle, dilatation pupillaire. L'hyperventilation et l'administration de mannitol font r6gresser ces signes. Des convulsions g6n6ralis6es surviennent et un 6tat de mal comitial s'installe. Un traitement barbiturique h d6bit continu (thiopental 250 m g . h -1) remplace le gamma hydroxybutyrate de sodium: une tomodensitom6trie confirme un 0ed6me c6r6bral diffus important, avec disparition totale des citernes de la base et pr6sence de petits ventricules. De nouvelles pouss6es d'hypertension intracrhnienne vont survenir jusqu'au neuvi6me jour, o3 le traitement barbiturique est diminu6 (3 g . 24 h-l). Au onzi6me jour, la tomodensitom6trie montre une r6gression partielle de l'oed6me c6r6bral; le traitement barbiturique est alors arr~t6. Au quatorzi6me jour, le patient reste comateux, avec une r6ponse motrice h la douleur en extension au niveau des quatre membres. Au vingt-troisi6me jour, l'ost6osynth6se du f6mur est pratiqu6e ; ~ cette date, il existe une ouverture spontan6e des yeux avec orientation du regard, un d6ficit moteur droit et des mouvements spontan6s adapt6s h l'h6micorps gauche. Au quarante-cinqui6me jour, apparaissent les premi6res r6ponses aux ordres simples ; le d6ficit moteur droit persiste. La tomodensitom6trie montre une dilatation ventriculaire mod6r6e et une hypodensit6 temporale gauche (fig. 2). L'6volution va se poursuivre tr6s progressivement, tant sur le plan de la r6cup6ration de la conscience et de la vie de relation que sur celui de la r6organisation d'une motricit6 adapt6e. Au quatre-vingti6me jour, en service de r66ducation fonctionnelle, le patient est conscient et parle, mais pr6sente des troubles de la lecture et de l'expression 6crite ; le d6ficit moteur droit a r6gress6. Le malade rentre ~ son domicile cinq mois apr6s l'accident ; il ne persiste alors que quelques trou-
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Fig. 1. -- Tomodensitom6trie c6r6brale quatre jours apr6s le traumatisme.
Fig. 2. -- Tomodensitom6triec6r6brale 45 jours apr6s le traumatisme. bles de la m6moire et de l'6criture. Au dixi6me mois, une imagerie par r6sonance magn6tique est r6alis6e : elle confirme l'existence d'une discr&e dilatation ventriculaire anormale, en rapport avec une atrophie sous-corticale. Par ailleurs, des aspects de 16sions s6quellaires isch6miques et d6my61inisantes sont retrouv6s au niveau du centre ovale droit et du lobe temporal droit. DISCUSSION
La fr6quence des embolies graisseuses post-traumatiques varie de 5 h 15 % [2, 6]. Cette complication survient principalement lors de fractures de la diaphyse f6morale [1]. La r6alisation d'une ost6o-
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synth6se pr6coce permettrait de pr6venir la survenue d'une embolie graisseuse s6v6re ; RISKA et MYLLYNEN [7] retrouvent 22 % d'embolies graisseuses dans le groupe trait6 sans ostdosynth6se et seulement 4,5 % dans celui ayant b6n6fici6 d'ostdosynth~ses pr6coces. L'embolie graisseuse c6r6brale est rarement isolde [2]. L'observation rapport6e pr6sente plusieurs particularit6s: tout d'abord l'intervalle libre, habituellement compris entre 18 et 48 h, est ici de 6 h ; cela est considdr6 comme un facteur de gravit6 et de pronostic d6favorable [9]. De plus, il n'existe pas d'atteinte pulmonaire ; les manifestations neurologiques en l'absence d'atteinte pulmonaire sont rares (10 % des cas) [7]; SAULNIER et coll. [9] font 6tat de quatre cas ne pr6sentant pas de troubles respiratoires sur 44 embolies graisseuses. La symptomatologic neurologique est particuli~rement grave, avec la survenue de signes de souffrance majeure du tronc c6r6bral ; la r6alisation de nombreuses tomodensitom6tries a permis d'appr6cier l'6volution des aspects anatomiques. II existe un gonflement c6r6bral diffus et des hypodensit6s pouvant correspondre h des zones d'infarcissement ; un aspect de piquet6 p6riph6rique est constat6. Ces images r6gressent en deux semaines et une atrophic souscorticale appara~t, avec persistance d'une hypodensit6 temporale g a u c h e ; il s'ensuit une dilatation ventriculaire mod6r6e. Un 0ed6me c6r6bral diffus est signal6 de fa~on pr6coce dans plusieurs observations d'embolie graisseuse [3, 5] ; il ne pr6sente n6anmoins pas de spdcificit6. Les hypodensit6s centrales sont fr6quemment retrouv6es et localis6es dans la substance blanche. SAKAMOTO et coll. [8] rapportent plusieurs examens tomodensitom6triques lors d'un cas d'embolie graisseuse chez un polytraumatis6 ; au huiti6me jour, ils constatent des plages d'hypodensit6s multiples, pr6dominant en r6gion front a l e ; la tomodensitom6trie ~ un mois montre la r6gression des hypodensit6s et l'existence d'une atrophie corticale. JACOBSON et coll. [4] notent 6galement au huiti6me jour d'une embolie graisseuse des ldsions multifocales hypodenses, principalement en zones frontale et pari6tale. Ces 16sions de nature isch6mique seraient provoqu6es par l'embolisation. L'aspect de piquet6, en mosaique irr6guli6re, s'explique par des zones punctiformes de densit6 tr~s diffdrente ; il pr6domine dans la rdgion corticale p6riphdrique et accentue le contraste avec la r6gion centrale hypodense ; il disparatt dans les deux semaines. Ces aspects tomodensitom6triques peuvent 6tre rattach6s aux constatations anatomopathologiques. VON HOCHSTErrER et FRIEDE [10] rapportent la n6cropsie d'une embolie graisseuse massive. Ils constatent des 16sions de d6my61inisation de la substance blanche et des aspects diffus de n6crose en mosaique ; il existe aussi une atrophie corticale
M. THICOiPE ET COLL.
et sous-corticale, avec dilatation ventriculaire. KAMENAR et BURGER [5] notent de multiples p6t6chies c6r6brales, localis6es darts la substance blanche, h l'autopsie d'un patient d6c6d6 d'une embolie graisseuse grave. Aucun cas d'imagerie par r6sonance magn6tique n'est rapport6 dans la litt6rature jusqu'h ce jour. Cet examen dans notre observation montre la persistance d'aspects s6quellaires isch6miques et d6my61inisants, ainsi que d'une atrophie sous-corticale. Ces constatations contrastent avec l'6volution favorable et la r6cup6ration neurologique totale, classiquement admises [6] au-delh de la phase aigu~. Exceptionnellement, des s6quelles motrices ou psychiatriques s0nt signal6es [4]. L'embolie graisseuse c6r6brale dolt 6tre 6voqu6e devant l'apparition de troubles neurologiques polymorphes chez un traumatis6 pr6sentant une fracture d u f6mur ou des fractures multiples. Cette symptomatologie est le plus souvent b6nigne ; elle comprend des troubles de la conscience et du comportement, qui vont r6gresser spontan6ment en quelques jours. Parfois la souffrance c6r6brale est s6v6re ; il est alors important de r6aliser des tomodensitom6tries c6r6brales r6p6t6es ; un ced6me c6r6bral, des hypodensit6s de localisation caract6ristique ou un piquet6 p6riph6rique seront 6vocateurs. L'6volution sera alors trbs longue, mais le pronostic reste favorable apr~s la phase aigu6. La pratique d'une imagerie par r6sonance magn6tique permettrait une 6valuation pr6cise des s6quelles.
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EMBOLIE GRAISSEUSE CI~RI~BRALE ABSTRACT : A seventeen year old boy sustained pelvic, femoral shaft and malleolar fractures in a road traffic accident. Six hours after admission, the patient became comatose (Glasgow coma score = 7) ; the coma worsened such that, 24 h later, the coma score was 4. Petechiae were present on the conjunctiva and anterior chest wall. Computed tomography revealed diffuse brain swelling. The diagnosis of cerebral fat embolism was made. There were multiple episodes of severe intracranial hypertension. After 23 days of traction, the femoral fracture was internally fixed. T h e . p a t i e n t returned home after five months of hospital, with just a few memory and writing problems. Ten months after the accident, magnetic resonance imaging showed a small ventricular dilatation due to subcortical atrophy. Residual ischaemic lesions and demyelination could be seen in the right centrum ovale and temporal lobe. The cerebral lesions contrast with the reversibility of the clinical state.
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