Annales de chirurgie 131 (2006) 48–50 http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/
Fait clinique
Une complication rare des hernies diaphragmatiques traumatiques : la pleurésie stercorale Tension faecopneumothorax as the rare presenting feature of a traumatic diaphragmatic hernia J. Jarry *, T. Razafindratsira, D. Lepront, G. Pallas, P. Eggenspieler, F. Durand Dastes Service de chirurgie viscérale, HIA Robert-Piqué, 351, route de Toulouse, 33140 Villenave d’Ornon, France Reçu le 10 mars 2005 ; accepté le 6 juillet 2005 Disponible sur internet le 15 août 2005
Résumé La survenue d’une hernie diaphragmatique traumatique est une complication classique des traumatismes abdominaux. Leur prévalence est d’environ 3 % dans les traumatismes abdominaux avec un ratio de 2/1 pour les traumatismes pénétrants. Méconnu dans près de la moitié des cas lors du traumatisme initial, le diagnostic peut être parfois retardé de quelques jours à quelques années, la hernie se révélant alors généralement par une complication. C’est notamment le cas de notre patient qui a présenté une pleurésie stercorale par perforation intrapleurale du côlon étranglé dans une hernie diaphragmatique ancienne. C’est une complication très rare avec seulement 11 cas rapportés dans la littérature. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A traumatic diaphragmatic hernia is a well-known complication following abdominal trauma. It occurs in approximately 3% of abdominal injuries with a 2/1 ratio of penetrating trauma. These injuries remain undiagnosed in nearly half of the patients in the acute phase. Hence, delayed presentation, days or even years after the onset of the initial trauma, are not uncommon. Indead, they are often revealed by a complication. It’s exactly what happened with our patient who presented with an acute tension fecopneumothorax, resulting from diaphragmatic herniation and perforation of the colon in the pleural cavity. This presentation is rarely reported. In a search of the literature, only 11 cases could be found. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Pleurésie stercorale ; Hernie diaphragmatique ; Traumatisme abdominal Keywords: Faecopneumothorax; Diaphragmatic hernia; Abdominal trauma
1. Introduction La pleurésie stercorale par perforation d’une hernie diaphragmatique dans la cavité pleurale est une complication rare mais particulièrement grave des hernies diaphragmatiques traumatiques. Nous rapportons une observation de hernie diaphragmatique traumatique ancienne étranglée, respon* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J. Jarry). 0003-3944/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anchir.2005.07.003
sable de la survenue d’une pleurésie stercorale. Notre objectif est de montrer les particularités diagnostiques, thérapeutiques et évolutives de cette complication exceptionnelle. 2. Observation Un patient de 75 ans est admis aux urgences dans un contexte d’occlusion colique évoluant depuis trois jours avec arrêt des matières et des gaz et vomissements fécaloïdes associé à un tableau de détresse respiratoire aiguë.
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On relève dans ses antécédents une notion de traumatisme abdominal fermé au cours d’une chute d’un toit ayant justifié une hospitalisation. L’examen clinique à l’entrée retrouve une polypnée à 30 par minute, une abolition des bruits hydroaériques et du murmure vésiculaire gauche à l’auscultation et un météorisme abdominal de type tympanique. Le bilan biologique révèle un syndrome infectieux avec une élévation franche de la CRP à 369 mg/L. Les gaz du sang confirment l’existence d’une hypoxie majeure avec PO2 à 57,6 mmHg. Le bilan radiographique de première intention avec clichés de l’abdomen sans préparation et radiopulmonaire permet de mettre en évidence l’existence d’un hydropneumothorax gauche compressif entraînant une déviation médiastinale à droite associé avec une hernie diaphragmatique gauche avec issue intrathoracique de l’angle colique gauche (Figs. 1 et 1bis). Ce bilan est alors complété par un lavement aux hydrosolubles qui retrouve une sténose infranchissable du côlon en regard de l’ombre diaphragmatique se terminant par un aspect en bec de flûte et par un scanner thoracoabdominal qui permet de confirmer le diagnostic de hernie diaphragmatique gauche contenant du côlon distendu avec hydropneumothorax gauche massif. Par ailleurs, ce scanner permet aussi de révéler la présence d’un tassement cunéiforme du corps vertébral de L1 d’allure ancienne en relation probable avec l’antécédent de chute (Fig. 2). Au total, face à ce tableau, une intervention chirurgicale est décidée en urgence. La voie d’abord choisie est une laparotomie bi-sous-costale. On retrouve alors une incarcération de l’angle colique gauche et de l’épiploon dans un collet diaphragmatique antérieur. La réduction de la hernie est difficile et nécessite une phrénotomie radiaire. Elle permet de libérer un segment colique nécrosé et perforé avec issue de son contenu fécal dans la cavité pleurale gauche justifiant une résection colique segmentaire. Après lavage abondant de la cavité pleurale, débridement du collet diaphragmatique et mise en place de deux drains thoraciques dans la cavité pleurale, la brèche est réparée par raphie renforcée par une prothèse résorbable de type Vicryl. Puis, après lavage péritonéal abondant une colostomie de type terminale est réalisée et la cavité péritonéale est largement drainée. Les suites postopératoires sont longues, entrecoupées de complications graves (hémorragie digestive haute par ulcère gastrique, choc septique par infection d’une collection intrapéritonéale ayant nécessité une reprise chirurgicale pour lavage drainage). Cependant, à trois mois de l’intervention, l’évolution clinique est jugée satisfaisante : la dynamique respiratoire, en particulier de la coupole diaphragmatique gauche, est bonne. Le patient est alors transféré en rééducation pour réautonomisation et retour à domicile. 3. Discussion Les hernies diaphragmatiques sont une complication classique des traumatismes abdominaux pénétrants et fermés.
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Figs. 1 et 1bis. Radiographies pulmonaires mettant en évidence un hydropneumothorax gauche compressif avec issue intrathoracique de l’angle colique gauche.
Elles furent décrites pour la première fois par Sennertus en 1541 [2]. Elles surviennent dans environ 3 % des traumatismes abdominaux avec un ratio de 2/1 pour les traumatismes pénétrants [1]. Elles siègent majoritairement au niveau de la coupole diaphragmatique gauche (dans 70 à 90 % des cas) compte tenu du rôle protecteur du foie à droite [3]. Enfin, les organes les plus fréquemment retrouvés dans ces hernies sont par ordre décroissant de fréquence : l’estomac (31,8 %), le côlon (27,2 %), l’épiploon (15,9 %), l’intestin grêle (13,6 %), la rate (6,8 %), et le foie (4,5 %) [3]. Dans près de la moitié des cas, ces hernies restent ignorées lors du traumatisme initial [3]. C’était justement le cas de ce patient qui avait été victime 16 années auparavant d’un traumatisme abdominal au cours d’une chute. Leur diagnostic est alors retardé de quelques jours à quelques années compte tenu de l’absence de symptomatologie spécifique. Elles peuvent alors se révéler à l’occasion d’une complication comme ce fut précisément le cas chez ce patient. Toutefois, la survenue d’une pleurésie
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Fig. 2. Coupe scanographique mettant en évidence la présence de côlon distendu en position intrathoracique gauche avec hydropneumothorax massif.
stercorale reste une complication particulièrement rare comme l’atteste la revue de la littérature puisque seulement 11 cas ont été décrits jusqu’à présent [1]. D’un point de vue physiopathologique, cette forme particulière de pleurésie est due à la perforation du côlon nécrosé dans la cavité pleurale. Cette nécrose est d’origine ischémique par strangulation du segment colique au niveau de l’orifice herniaire diaphragmatique. D’un point de vue clinique, la présentation de cette complication peut associer un syndrome occlusif aigu avec arrêt des matières et des gaz, des douleurs thoraciques et/ou abdominales et une détresse respiratoire aiguë. Le diagnostic positif repose sur les examens paracliniques en particuliers les examens morphologiques avec en première intention la radiographie pulmonaire qui retrouve un hydropneumothorax avec une image d’anse digestive intrathoracique [4] mais surtout le scanner thoracoabdominal qui permet de mettre en évidence le côlon dans la cavité thoracique. La réalisation d’un lavement aux hydrosolubles peut se révéler intéressante lorsqu’elle permet de visualiser comme ce fut le cas ici une sténose colique complète en regard de l’ombre diaphragmatique. Sur le plan thérapeutique, ces complications sont de véritables urgences chirurgicales [5–7]. La laparotomie est la voie d’abord la plus fréquemment employée : elle permet la réduction de la hernie, la résection du segment colique nécrosé et le lavage pleural transdiaphragmatique. La thoracotomie peut parfois être choisie comme voie d’abord initiale : elle offre l’avantage d’une meilleure exposition pour disséquer un sac herniaire très adhérent à la plèvre et pour réaliser le lavage de la cavité pleurale. Mais elle doit être complétée par une laparotomie pour réaliser le temps abdominal de la chirurgie [7]. Enfin, les voies d’abord laparoscopique et thoracoscopique n’ont jamais été décrites pour cette complication. Après résection segmentaire du côlon nécrosé et lavage abondant des cavités pleurales et péritonéales, l’orifice
diaphragmatique peut être réparé. Compte tenu du caractère septique de l’intervention, la technique par raphie est privilégiée par les auteurs. Toutefois, en cas de défect important de la coupole diaphragmatique, le recours à des plasties prothétiques peut s’avérer utile pour renforcer la raphie. Or, les prothèses non résorbables étant contre-indiquées dans un contexte septique, il est préférable d’utiliser des prothèses résorbables. Enfin, après résection segmentaire du côlon nécrosé, deux options chirurgicales sont proposées par les auteurs avec la réalisation soit d’une anastomose idéale, soit d’une colostomie. Cette dernière est cependant plus sûre dans ce contexte septique. La complication postopératoire la plus fréquente est l’apparition d’un empyème pouvant nécessiter secondairement d’une décortication [1]. Malgré une prise en charge chirurgicale immédiate, ces complications gardent une mortalité élevée comprise entre 25 et 66 % [6].
4. Conclusion En regard de notre expérience et de la revue de la littérature, l’apparition d’une pleurésie stercorale est une complication rare mais redoutable des hernies diaphragmatiques traumatiques anciennes. Cette hypothèse doit être systématiquement évoquée chez tout patient aux antécédents de traumatisme abdominal présentant un tableau associant occlusion digestive aiguë et/ou détresse respiratoire aiguë. Le diagnostic positif sera confirmé par la radiographie pulmonaire et par un scanner thoracoabdominal. La prise en charge thérapeutique repose alors sur le traitement chirurgical en urgence, mené habituellement par voie abdominale qui permet de régler à la fois le traitement de la hernie diaphragmatique et de sa complication aux prix d’une morbimortalité non négligeable. C’est dire l’importance du dépistage de ces hernies diaphragmatiques après un traumatisme abdominal.
Références [1] [2] [3] [4]
[5] [6] [7]
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