Image et diagnostic
Une découverte fortuite aux lourdes conséquences A. Kheir1, J. Champigneulle2, J. Derelle3, F. Chabot1
Fig. 1.
Radiographie thoracique (face et profil gauche).Volumineuse opacité ovalaire para cardiaque droite postérieure. Fig. 2.
Coupe tomodensitométrique thoracique en fenêtre médiastinale montrant l’opacité para cardiaque droite, bien limitée, contenant des calcifications.
Observation
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Service des Maladies Respiratoires et Réanimation Respiratoire, CHU de Brabois lès Nancy. F 54511, Vandoeuvre lès Nancy, France. 2 Service d’anatomie et cytologie pathologiques, CHU de Brabois-lès-Nancy, Vandoeuvre-lès-Nancy, France. 3 Service de Médecine Infantile 1, CHU de Brabois-lès-Nancy, Vandoeuvre lès Nancy, France. Correspondance : A. Kheir Service des Maladies Respiratoires et Réanimation Respiratoire, CHU de Brabois lès Nancy. F 54511 Vandoeuvre lès Nancy.
[email protected]. Réception version princeps à la Revue : 07.05.2004. Retour aux auteurs pour révision : 22.06.2004. Réception 1ère version revisée : 09.08.2004. Réception 2e version revisée : 19.08.2004. Acceptation définitive : 07.09.2004.
Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 151-3
Une opacité intrathoracique est découverte chez une adolescente de 13 ans, sur une radiographie du rachis, effectuée pour attitude scoliotique. Cette jeune fille, en excellent état général, n’a pas d’antécédent particulier, ni de signe fonctionnel respiratoire. L’examen clinique et le bilan biologique standard sont sans particularité. La radiographie thoracique (fig. 1) montre une volumineuse opacité ovalaire paracardiaque droite postérieure, de densité tissulaire à la tomodensitométrie (TDM) (fig. 2), bien limitée, contenant des plages de calcifications. Il n’y a pas d’adénomégalie médiastinale ou hilaire. Différentes étiologies sont évoquées : infectieuse (tuberculome, abcès…), lésion malformative (kyste bronchogénique…), inflammatoire (maladie de Wegener…), tumorale métastatique ou primitive : bénigne (pseudotumeur inflammatoire, hamartome…) ou maligne (adénome bronchique…). La thoracotomie exploratrice met en évidence une masse tumorale située en arrière du hile, développée essentiellement aux dépens du segment postérieur du lobe inférieur droit, s’étendant au lobe moyen et partiellement au lobe supérieur, avec accolement des scissures, imposant une pneumonectomie droite.
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A. Kheir et coll.
Il s’agit d’une pseudotumeur inflammatoire. Macroscopiquement, la masse tumorale mesure 10,5 u 7,5 u 6,5 cm, est d’aspect multinodulaire, bien limitée, très ferme, de couleur blanchâtre et calcifiée au centre. À l’étude histologique, la tumeur est constituée d’une prolifération de cellules myofibroblastiques organisées en faisceaux enchevêtrés, associées à un infiltrat inflammatoire composé essentiellement de plasmocytes et entourées d’un stroma collagène parfois abondant (fig. 3a). L’activité mitotique est nulle, les atypies cytonucléaires sont inexistantes. La tumeur n’infiltre pas le hile ni les ganglions hilaires. L’exérèse chirurgicale est complète. Le caractère myofibroblastique est confirmé par l’étude immunohistochimique, avec mise en évidence de l’expression intracytoplasmique des anticorps dirigés contre la vimentine et l’D actine musculaire lisse (fig. 3b). L’immunomarquage de la protéine ALK (anaplastic lymphoma kinase) est négatif.
Discussion Les tumeurs broncho-pulmonaires de l’enfant sont rares, plus souvent métastatiques que primitives [1]. Les pseudotumeurs inflammatoires (PTI) ou tumeurs myofibroblastiques inflammatoires représentent au moins 20 % des tumeurs de l’enfant [1]. Elles touchent pratiquement tous les organes mais ont une prédilection pour le tractus respiratoire. Ces tumeurs sont les plus fréquentes des tumeurs bénignes de l’enfant. Elles sont asymptomatiques dans près de la moitié des cas, découvertes à l’occasion d’un cliché thoracique « systématique » [1]. Sur la radiographie thoracique, l’aspect le plus caractéristique est celui d’une masse arrondie ou ovalaire, parfois calcifiée dont la taille peut dépasser 15 centimètres. À la TDM, la densité est tissulaire, les limites bien définies sans coque, avec dans certains cas un rehaussement périphérique donnant un aspect en anneau. Il n’y a pas de modification après injection de produit de contraste. Les aspects sont plus rarement infiltratifs mal limités, spiculés, invasifs, ou cavitaires nécrotiques, voire multi nodulaires [1]. Le diagnostic est anatomo-pathologique. La cytologie après ponction n’est que rarement informative. Macroscopiquement, la PTI est une masse grossièrement arrondie, bien limitée, ferme grisâtre avec parfois des remaniements hémorragiques ou nécrotiques, des calcifications, voire une véritable métaplasie osseuse. La tumeur peut envahir la paroi et la lumière des bronches, le médiastin, la plèvre, le péricarde ou le diaphragme. La PTI est constituée en proportions variables de myofibroblastes et de cellules inflammatoires où prédominent les plasmocytes. Le stroma peut être plus ou moins fibreux, oedémateux, hémorragique ou calcifié. La frontière entre bénignité et malignité n’est pas clairement définie. La présence d’atypies cytonucléaires, de nombreuses mitoses et le caractère agressif localement ne permettent pas d’affirmer la malignité [2]. L’évolution spontanée est relativement lente, avec une progression de 1 à 2 cm par an. Dans la majorité des cas, la 152
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Fig. 3.
Biopsie pulmonaire (grossissement u 400). a) Coloration H.E.S : prolifération de myofibroblastes dépourvus d’atypies associées à des plasmocytes et des lymphocytes. b) En immunohistochimie : les myofibroblastes présentent une positivité cytoplasmique pour l’anticorps anti D Actine Muscle Lisse.
chirurgie permet à la fois le diagnostic et le traitement. La résection doit être aussi complète que possible. Les récidives locales sont alors rares et concernent moins de 5 % des PTI intra thoraciques. La récidive peut survenir dix ans après le diagnostic initial, reproduit la tumeur initiale ou démontre une transformation maligne sarcomateuse. Les métastases, cérébrales notamment, surviennent dans un délai variable de quelques mois à 11 ans et sont plus fréquentes en cas d’exérèse incomplète ou de signe histologique de malignité [1]. La mise en évidence de l’expression de la protéine ALK (récepteur transmembranaire de la tyrosine kinase et témoin d’une anomalie chromosomique de la bande chromosomique 2p23 située sur le chromosome 2), suggère une nature néoplasique plutôt que réactionnelle des PTI. L’immunomarquage avec des anticorps anti-ALK est positif dans un peu
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plus de la moitié des cas de PTI étudiés. Sa négativité, qui dépend de la technique n’exclut pas ce diagnostic. Dans notre cas, cette recherche n’a pu être réalisée par RT-PCR (reverse transcriptase-polymerase chaine reaction), technique de biologie moléculaire plus sensible [3]. La mise en évidence de l’expression de la protéine ALK a concerné un trop petit nombre de tumeurs pour établir une corrélation entre l’expression de cette protéine et l’aspect morphologique, le tableau clinique et/ou le pronostic. L’identification dans ces tumeurs d’un mécanisme oncogénique impliquant l’activation d’un récepteur tyrosine kinase, laisse entrevoir la possibilité de l’utilisation de nouveaux traitements inhibiteurs de tyrosine kinase, dans les PTI inopérables et/ou métastatiques [3].
Remerciements Les auteurs remercient le Dr G. de Miscault (Service de Chirurgie Infantile-CHU de Nancy) qui a effectué l’intervention chirurgicale.
Références 1 2
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Reix PH, Bellon G : Tumeurs et pseudotumeurs inflammatoires. In: De Blic J. Pneumologie Pédiatrique. Doin Editeurs 2002 : 277-87. Weiss SW, Goldblum JR : Fibrous tumors of infancy and childhood. In: Enzinger and Weiss’ Soft tissue tumors. 4th Edition. Mosby, St.Louis 2001 : 383-8. Sirvent N, Coindre JM, Pedeutour F : Tumeurs myofibroblastiques inflammatoires. Ann Pathol 2002 ; 22 : 453-60.
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