Médecine du sommeil (2016) 13, 91—99
Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com
MISE AU POINT
Addiction et troubles du sommeil : craving, rythmes circadiens. Une mise au point Addiction and Sleep disorders: Craving and circadian rhythms. An overview M. Auriacombe a,b,c,∗,e, R. Debrabant a,b,c, C. Kervran a,b,c, F. Serre a,b,c, J. Taillard a,b,d, P. Philip a,b,d, C. Denis a,b,e, M. Fatséas a,b,c a
Université de Bordeaux, 33076 Bordeaux, France SANPSY CNRS USR 3413, 33076 Bordeaux, France c Pôle addictologie, centre hospitalier Charles-Perrens, CHU de Bordeaux, 121, rue de la Béchade, CS 81285, 33076 Bordeaux cedex, France d Clinique du sommeil, pôle neurosciences cliniques, CHU de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France e Perelman School of Medecine, université de Pennsylvanie, Philadelphie, États-Unis b
Rec ¸u le 8 octobre 2015 ; accepté le 19 avril 2016 Disponible sur Internet le 24 juin 2016
MOTS CLÉS Addiction ; Troubles de l’usage de substances ; Sommeil ; Orexine ; Hypocrétine
∗
Résumé L’addiction et les troubles du sommeil sont souvent comorbides. Il existe un lien bidirectionnel entre ces pathologies : les individus se présentant avec des plaintes concernant leur sommeil présentent plus souvent une addiction que la population générale, et les troubles du sommeil sont très fréquents chez des personnes dépendantes (trouble de l’usage). Il est donc important de repérer et prendre en charge ces deux pathologies, car chacune peut augmenter la sévérité de l’autre : des individus avec des troubles du sommeil sont plus exposés au risque de développer une addiction, notamment par des comportements d’automédication, et l’usage de substances psychoactives est presque systématiquement associé à des modifications du sommeil et/ou des capacités d’éveil. Si les effets directs de l’usage de substances sur le sommeil sont bien connus, les conséquences au long terme et la nature du lien entre addiction et troubles du sommeil le sont beaucoup moins. Cet article propose une revue non exhaustive des connaissances actuelles concernant l’association entre troubles du sommeil, usage de substances et addiction, et notamment sur les hypothèses concernant la nature de cette association. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Auriacombe).
http://dx.doi.org/10.1016/j.msom.2016.04.004 1769-4493/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
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M. Auriacombe et al.
KEYWORDS Addiction; Substance use disorders; Sleep; Orexin; Hypocretin
Summary Addiction is often associated with disordered sleep, and this link appears to be bi-directionnal. Thus it is important to detect both and to be able to treat them, in order to avoid a possible vicious circle, as bad sleep increases the risk for substance use, and most if not all psychoactive substances affect sleep. However, if the direct effects of psychoactive drugs are usually known, less is known about the effects of long-term use and possible neurobiological modification from addiction disorders. If such long-term effects exist, they might be observed long after the patient stopped using and independently of the type of addiction (including behavioural addictions). In this article, we aimed at summarizing (non exhaustively) the present knowledge and the existing hypotheses as well as what remains to be studied on the nature of the association between sleep and addiction. We also highlight the need for further studies of sleep quality in behavioural addictions. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction L’addiction se définit par la perte de contrôle de l’usage d’une substance ou d’un comportement, qui était à l’origine une source de gratification [1]. Elle est notamment caractérisée par la persistance de ce comportement/cette consommation malgré une accumulation de dommages qui y sont liés (et dont la personne est consciente) et de multiples tentatives d’arrêt infructueuses [2]. Un des symptômes de l’addiction, désormais intégré aux critères diagnostiques du DSM-5 (5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié par l’American Psychiatric Association) [3], est le craving [4,5]. Le craving est défini comme l’envie irrépressible de consommer et/ou la survenue de pensées obsédantes centrées sur l’objet d’usage. Il a un rôle central dans la persistance de l’usage et la rechute chez les sujets présentant une addiction et qui souhaitent être abstinents [6—8]. Les troubles du sommeil sont définis dans le DSM-5 [3] par une insatisfaction relative à la qualité, l’horaire et la quantité de sommeil avec pour conséquence une détresse et une altération du fonctionnement quotidien. Il existe plusieurs catégories de troubles du sommeil : • insomnie ; • hypersomnolence ; • narcolepsie ; • troubles du sommeil liés à la respiration (apnée du sommeil) ; • les troubles du rythme circadien de sommeil-éveil ; • les troubles d’éveil pendant le sommeil non paradoxal ; • le syndrome des jambes sans repos ; • le trouble du sommeil induit par une substance ou un médicament. Les troubles du sommeil sont des plaintes fréquentes et concernent de 16 à 28 % des individus en population générale [9,10]. Ces plaintes sont encore plus fréquentes chez les individus faisant usage de substances [11,12]. Cet article ne se veut pas être une revue systématique de la littérature. Son objectif est de synthétiser les données actuelles de l’association entre troubles du sommeil et addiction, et les hypothèses pour expliquer le lien entre ces deux troubles.
Méthodes Au 30 juin 2015, nous avons effectué une recherche PubMed en utilisant les termes suivants : ‘‘Sleep Disorders’’[Mesh] AND ‘‘Sleep Disorders, Circadian Rhythm’’[Mesh] AND ‘‘Dyssomnias’’[Mesh] AND (‘‘Substance-Related Disorders’’[Mesh] OR ‘‘Gambling/diagnosis’’[Majr] OR ‘‘Video Games’’[Majr] OR ‘‘Eating Disorders’’[Mesh] OR ‘‘Behavior, Addictive’’[Majr]). Nous avons limité notre recherche aux publications des dix dernières années, en langue franc ¸aise ou anglaise. Au total, 166 références ont été retrouvées. Nous avons complété cette recherche par les références citées dans les articles sélectionnés. La majorité des études concernaient l’usage de substances (139 sur 166) et principalement l’alcool, le cannabis, et les opiacés. Peu d’études s’étaient intéressées aux troubles du sommeil dans les addictions sans substances (trouble du jeu, jeu vidéo, troubles du comportement alimentaire). De plus, ces études se limitaient à certains troubles du sommeil à savoir l’insomnie, le syndrome de retard de phase du sommeil et les troubles du rythme circadien. Ainsi, nous nous sommes limités à ces troubles du sommeil pour cet article.
Résultats Troubles du sommeil pendant l’usage de substances et/ou comportement pouvant donner lieu à addiction L’usage de substances altère la balance homéostatique du système des neurotransmetteurs (acetylcholine, GABA, dopamine, noradrenaline, orexine/hypocrétine). Or, tous ces neurotransmetteurs sont impliqués dans la régulation du système veille/sommeil [12]. Ainsi, les troubles du sommeil peuvent être la conséquence directe de l’usage de substances. Cependant, il est important de distinguer les effets aigus des effets à long terme sur le sommeil. En ce qui concerne les effets aigus de la consommation, les troubles du sommeil varient en fonction du type de substance consommée. Les stimulants (cocaïne, amphétamine, methamphétamine) entraînent un sommeil léger, agité,
Addiction et troubles du sommeil : craving, rythmes circadiens. Une mise au point perturbé [13]. Les benzodiazépines, l’alcool, le cannabis et les opiacés induisent des effets sédatifs incluant une augmentation de la somnolence diurne et une réduction de la latence d’endormissement, mais également des perturbations du sommeil plus tard dans la nuit (éveils nocturnes), dus principalement aux symptômes de sevrage [13—16]. L’architecture du sommeil est aussi perturbée avec une diminution du sommeil paradoxal (sommeil à mouvements oculaires rapides ou Rapid Eye Movement [REM]). Les effets au long cours de l’usage de substances sont similaires quelle que soit la substance. Ils entraînent des modifications de la qualité et de la quantité de sommeil, à savoir une augmentation de la latence de sommeil, une réduction du temps total de sommeil, plus de réveils nocturnes et une diminution des sommeil à ondes lentes ainsi que du sommeil paradoxal [12]. Plusieurs études ont mis en évidence que les sujets présentant une addiction aux opiacés [17], à l’alcool [18], au cannabis [13], à la cocaïne [19] et à la nicotine [20] rapportaient souvent des troubles du sommeil, avec notamment des troubles de vigilance et une somnolence diurne [21,22]. Une étude ayant mesuré la qualité du sommeil par actimétrie pendant 7 j consécutifs chez des sujets présentant au moins une addiction à une substance ou un comportement (jeu d’argent et de hasard) avait mis en évidence une qualité du sommeil altérée pour 67 % d’entre eux avec une efficacité du sommeil de 82,5 % (ET = 6,8), une latence de sommeil moyenne de 16,9 min (ET = 13,6), un temps total de réveils nocturnes de 59,6 min en moyenne (ET = 27,5) et un temps total de sommeil de 6 h 48 min (ET = 60 min 12 s) [22]. Peu d’études se sont intéressées aux troubles du sommeil chez les sujets présentant une addiction comportementale. Une étude en population générale américaine estimait que plus d’un tiers des sujets présentant un diagnostic de trouble lié au jeu d’argent et de hasard rapportaient au moins une plainte liée au sommeil (difficulté à initier le sommeil, difficulté à maintenir le sommeil, réveil tôt le matin) [23,24]. Ces joueurs avaient 3 fois plus de risque de présenter au minimum une difficulté de sommeil que les joueurs non problématiques [23]. Concernant les jeux sur Internet, une étude a mis en évidence qu’un usage problématique d’Internet chez les étudiants pouvait avoir un impact direct sur la santé psychologique et physique, mais également un effet indirect via une privation de sommeil [25]. Une autre étude a montré qu’une addiction à Internet était associée à des troubles du sommeil et notamment une insomnie et une faible qualité du sommeil [26]. Même si les liens entre sommeil, rythmes circadiens et troubles du métabolisme a été mis en évidence [27,28], peu d’études ont examiné les troubles du sommeil chez les sujets présentant un trouble du comportement alimentaire. Une étude rapportait de rares plaintes du sommeil chez des sujets présentant un diagnostic d’anorexie ou de boulimie [29]. Cependant, des études polysomnographiques montraient des troubles du maintien du sommeil (baisse d’efficacité de sommeil, augmentation du temps des éveils nocturnes) et une augmentation de la première phase de sommeil lent léger chez ces sujets anorexiques et boulimiques [29]. Une méta-analyse a rapporté une altération de la continuité du sommeil chez des patientes anorexiques, et un délai d’apparition du sommeil paradoxal après endormissement abaissé chez les boulimiques, comparés à
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des individus témoins [30]. Les femmes souffrant de boulimie auraient également tendance à présenter des décalages des périodes de sommeil (d’environ 1 h), qui seraient corrélés à des épisodes de frénésie alimentaire/purge en fin de soirée et début de nuit [31].
Troubles du sommeil en période d’abstinence L’arrêt de consommation de substances (période de sevrage), ainsi que la période d’installation et de maintien de l’abstinence, impactent le sommeil [15]. Les troubles du sommeil peuvent être transitoires (essentiellement l’insomnie) et refléter des symptômes de sevrage de nombreuses substances psychoactives (alcool, tabac, opiacés, benzodiazépines et hypnotiques) [3,21]. Une revue de littérature rapportait que l’insomnie était présente chez 36 à 72 % des sujets en sevrage d’une addiction à l’alcool [32] et qu’elle était susceptible de durer quelques semaines, voire plusieurs mois après le début de l’abstinence [33]. Chez les sujets présentant une addiction à la cocaïne, il était observé une diminution du temps de sommeil, du sommeil paradoxal, de l’efficacité de sommeil, ainsi qu’une augmentation de la latence d’endormissement et une augmentation du sommeil à ondes lentes en période d’abstinence [34]. Cependant, ces paramètres s’amélioraient au cours du temps en période de maintien de l’abstinence [34]. Plusieurs études transversales avaient mis en évidence l’altération du sommeil chez des sujets présentant une addiction aux opiacés en traitement par méthadone [35—37] et montré que ces troubles du sommeil étaient corrélés à l’état psychologique, la perception de la douleur et l’usage de benzodiazépines mais pas à la durée du traitement méthadone ni sa posologie [38,39]. Les études longitudinales chez des sujets présentant une addiction aux opiacés en traitement par méthadone et buprénorphine montraient une qualité subjective du sommeil altérée au début et améliorée en cours de traitement mais qui restait moindre qu’en population générale [40—42]. L’amélioration de la qualité du sommeil était indépendante de la durée du traitement méthadone, de sa posologie [40,41,43] et de l’usage de substances au cours du traitement [40,41] mais était corrélé à l’état psychologique des sujets [40,41]. Une étude chez des sujets pris en charge pour une polyaddiction avait mis en évidence que les troubles du sommeil étaient très prévalents et que ces troubles étaient plus associés aux comorbidités psychiatriques qu’aux substances consommées [44]. De plus, les troubles du sommeil impactaient la qualité de vie des sujets pris en charge, or, la perception d’une amélioration de la qualité de vie moindre était liée à une moins bonne adhérence à la prise en charge et donc à un risque plus élevé de rechute [44]. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’autres études qui ont examiné l’évolution des troubles du sommeil au cours de prise en charge pour d’autres addictions avec ou sans substances (jeu d’argent et de hasard, jeu vidéo, troubles du comportement alimentaire).
Impact des troubles du sommeil dans l’usage de substances, l’addiction et la rechute Si plusieurs études ont mis en évidence un lien entre addiction avec ou sans substances et troubles du sommeil, peu d’études prospectives sont disponibles pour clarifier
94 la direction du lien entre les deux troubles. Les études semblent cependant indiquer un lien bidirectionnel entre les deux troubles, c’est-à-dire que l’addiction entraînerait des troubles du sommeil mais qu’également les troubles du sommeil favoriseraient la consommation de substances à travers une automédication (notamment des substances sédatives) pour y remédier [14,35,45,46] et seraient également un facteur de risque de rechute de l’addiction [12,15]. Les études qui soutiennent ce lien bidirectionnel sont toutes des études longitudinales chez des adolescents. Elles ont toutes mis en évidence que les adolescents exprimant des plaintes liées au sommeil étaient plus souvent usagers d’alcool, de tabac et de cannabis après 1 ou 2 ans de suivi [12,47—49]. Des études chez des sujets présentant une addiction à l’alcool ont rapporté une corrélation entre la reprise des consommations d’alcool et les plaintes subjectives et mesures objectives de troubles du sommeil [45,50]. Une étude a montré qu’une mauvaise qualité de sommeil était un facteur de risque de rechute chez des sujets pris en charge pour un trouble de l’usage de cannabis [51]. D’autres études ont mis en évidence qu’une longue latence d’endormissement, une efficacité de sommeil et un temps de sommeil total diminués, et une diminution du sommeil à ondes lentes étaient également corrélés à la rechute [32]. Enfin, d’autres études ont montré un impact des troubles du sommeil sur la compliance au traitement qui pouvaient ainsi représenter un facteur de risque de rechute [18,32,52,53].
Hypothèses pour expliquer le lien entre troubles du sommeil et addiction L’hypothèse du système orexine/hypocrétine Une hypothèse permettant d’expliquer le lien entre les troubles addictifs et les troubles du sommeil est l’existence de circuits neurobiologiques communs. Un de ces circuits est le système orexine/hypocrétine. En effet, l’orexine A/hypocrétine 1 et l’orexine B/hypocrétine 2, neuropeptides hypothalamiques sont impliqués dans le système de régulation veille/sommeil et dans la régulation de l’appétit [54,55]. Des études récentes ont mis en évidence que le système orexine/hypocrétine jouait un rôle dans les propriétés addictives de certaines substances (alcool, opiacés, nicotine), notamment par les zones cérébrales communes des neurones hypocrétines et des structures cérébrales impliquées dans le système de récompense [56—59]. Les neuropeptides orexines/hypocrétines sont également impliqués dans les mécanismes neurobiologiques de la rechute induits par les stimuli environnementaux et le stress [59]. Les modèles animaux suggèrent que l’orexine/hypocrétine joue le plus souvent un rôle d’augmentation des comportements de recherches de substances, indépendamment de la substance, et surtout lors de l’exposition à des stimuli extérieurs, des stimuli liés à la prise de substance (signaux spécifiquement associés à des consommations antérieures), le contexte, et les stresseurs [60]. Chez l’animal, il a été montré que l’administration d’orexin-A induisait une reprise des comportements de recherche de cocaïne, d’alcool, ou de nicotine [61]. Ce phénomène semblait médié par les récepteurs OX1 et
M. Auriacombe et al. l’administration d’antagonistes des récepteurs OX1 inhibaient la rechute induite par des stimuli liés à la cocaïne chez le rat [58,62]. Cependant, le rôle de l’orexine semble varier selon les substances. En effet, l’orexine ne semble pas impliquée dans les propriétés renforc ¸antes ni dans l’amorc ¸age des consommations de cocaïne [60]. Pour la nicotine, elle régulerait les effets stimulants sur le circuit de la récompense et serait impliquée dans le renforcement et dans le sevrage, mais pas dans la sensibilisation à la reprise des consommations induite par les stresseurs [63]. L’orexine modulerait également les effets renforc ¸ants des opiacés, et aurait un rôle de modulation des symptômes de sevrage aux opiacés, via des actions sur plusieurs structures cérébrales (aire tegmentale ventrale, noyau accumbens, cortex préfrontal) [60]. Pour l’alcool, elle jouerait un rôle de modulation des comportements d’auto-administration [60]. Enfin concernant la prise de nourriture, l’orexine serait impliquée dans la recherche de nourriture et la consommation par une médiation des comportements de recherche de récompense à la nourriture (reward-based feeding), mais seulement dans le cas des aliments hyperpalatables [60].
Les rythmes circadiens Le sommeil et les rythmes circadiens ont un lien bidirectionnel clairement établi et leurs mécanismes neurobiologiques sous-jacents se recoupent [64]. Peu d’études ont examiné le lien entre rythmes circadiens, sommeil et addiction et exploré l’hypothèse d’un décalage neurobiologique des rythmes circadiens, préexistant ou conséquence à long terme de l’addiction [15]. Les quelques études existantes chez l’homme ne concernent que des sujets présentant une addiction à l’alcool ou au cannabis [15].
Le chronotype Le chronotype correspond aux caractéristiques du cycle veille/sommeil et la fluctuation du niveau d’attention (au cours de la journée) propre à chaque individu. Une hypothèse avancée est que les individus présentant une addiction auraient plus souvent un chronotype du soir, et se retrouveraient dans des situations de décalage de phase par rapport aux exigences de la société ou de leur environnement (social jetlag) correspondant plus à un chronotype du matin [65]. Ils seraient alors plus enclins à faire usage de substances pour y pallier (substances stimulantes la journée, sédatives le soir) [66]. Une étude a montré chez 333 sujets présentant une addiction avec (alcool, opiacés, cannabis, cocaïne, tabac) ou sans substances (jeu d’argent et de hasard), que le chronotype dit « du soir » était le plus représenté (48 % des sujets) et supérieur à la population générale [67]. Ces sujets avaient plus souvent un diagnostic de polyaddiction, un diagnostic d’addiction sans substances (notamment trouble lié au jeu d’argent et de hasard), et un diagnostic de trouble de l’humeur que les sujets dits « du matin » [68]. D’autres études ont également trouvé une association entre le chronotype « du soir », les consommations de substances et les addictions (incluant l’alcool, le cannabis, la cocaïne, l’ecstasy, le tabac et la caféine) [66,69—73]. Les comportements alimentaires sembleraient également associés au chronotype avec des individus dits « du soir » souffrant plus souvent de troubles alimentaires et d’obésité
Addiction et troubles du sommeil : craving, rythmes circadiens. Une mise au point [74]. Enfin, les sujets ayant une utilisation compulsive d’Internet seraient plus souvent des individus avec un chronotype « du soir » [75]. Ainsi, les individus présentant un chronotype du soir ont un décalage chronique entre leur système circadien et le rythme veille/sommeil imposé par la société. Ce décalage impacte alors l’ensemble des systèmes neurobiologiques sous régulation circadienne et notamment le contrôle cognitif et le système de récompense et donc l’addiction [15]. L’adolescence est une période où le décalage entre système circadien et rythme du sommeil est particulièrement observé, or c’est également la période de début d’expérimentation des substances. Ainsi, cette dérégulation du système de récompense pourrait contribuer à une augmentation et une persistance de la prise de substances et donc un développement de l’addiction [47].
Régulation du rythme circadien Plus récemment, des études ont identifié des gènes liés aux rythmes circadiens qui joueraient un rôle dans l’addiction, notamment le gène Clock, qui régule directement l’activité dopaminergique dans le système de récompense, le gène Per1 qui a également montré un rôle dans le système de récompense, ainsi que Per2 qui aurait un rôle essentiel dans l’inhibition de la sensibilisation et des effets renforc ¸ant des substances [76]. L’usage de substances entraîne une perturbation du rythme circadien en modifiant l’expression des gènes de l’horloge circadienne [77]. Or, ces gènes régulent la réponse comportementale aux substances (prise de substances, système de récompense) par leur implication dans la régulation du système de récompense dopaminergique et notamment au niveau de l’aire tegmentale ventrale, région cérébrale impliquée dans la vulnérabilité aux substances et donc à l’addiction [78]. Ainsi, la prise chronique de substances induirait une modification chronique de l’expression des gènes de l’horloge circadienne qui, en modifiant le système de récompense dopaminergique, contribuerait au développement de l’addiction et la rechute [77].
Les troubles du sommeil impactent le craving et donc la rechute Certaines études formulent l’hypothèse que les troubles du sommeil seraient déclencheurs de craving et précipiteraient la rechute chez les patients abstinents [6—8]. Les gènes de l’horloge circadienne (gènes Clock) contrôlent l’axe corticotrope (axe hypothalamo-hypophysosurrénalien [HPA]) [79]. Or, l’usage chronique de substances entraîne une dérégulation de l’axe HPA [7,80] conduisant à un stress chronique qui, à son tour, va impacter l’expression des gènes de l’horloge circadienne [79]. Ainsi, cette dérégulation conduit à un état de stress qui va générer du craving et donc précipiter la rechute [7]. Une étude récente en vie quotidienne a montré que l’insomnie (qualifiée par au moins l’un des troubles suivants : difficultés à s’endormir, éveils nocturne, réveil précoce) entraînait une intensité de craving plus élevée le jour suivant. Corrélativement, une intensité de craving plus élevée entraînait des troubles du sommeil la nuit suivante, suggérant un lien bidirectionnel entre le craving et les troubles du sommeil [81].
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Impact des traitements Impact des traitements de l’addiction sur les troubles du sommeil Peu d’études se sont intéressées à l’impact de la prise en charge de l’addiction sur les troubles du sommeil. Une étude ayant évalué l’évolution de la qualité objective du sommeil mesurée par actimétrie chez des sujets présentant une addiction à une substance ou un comportement (jeu d’argent et de hasard) avait mis en évidence une amélioration du sommeil (moyenne de la latence d’endormissement à T0 = 15 min et à T12 = 11 min, temps total d‘éveil nocturne moyen était de 60 min à T0 et 51 min à T12) après 12 mois de prise en charge [22]. Les résultats de cette étude d’actimétrie sur des sujets pris en charge pour une addiction montraient ainsi que 44 % des sujets présentait un sommeil altéré au début et seulement 33 % après 12 mois de prise en charge [22]. D’autres études ont montré que les sujets présentant une addiction aux opiacés traités par méthadone ou buprénorphine rapportaient une amélioration de la qualité de leur sommeil au cours de la prise en charge [40,42].
Les effets des traitements des troubles du sommeil sur l’addiction Quelques études se sont intéressées à l’impact de la prise en charge des troubles du sommeil chez des individus présentant une addiction. Les troubles du sommeil qui perdurent à distance de la période de sevrage et les troubles addictifs doivent être considérés comme des troubles comorbides à prendre en charge concomitamment [16]. Une revue de la littérature rapporte les différentes approches du traitement des troubles du sommeil (i.e. insomnie) chez les sujets présentant un trouble addictif [82]. Ces prises en charge peuvent se diviser en une approche éducationnelle (éducation sur l’hygiène du sommeil), une approche cognitivo-comportementale de l’insomnie, et une approche pharmacologique. Pour l’approche pharmacologique, différentes molécules ont fait l’objet d’essais cliniques : les agonistes de la mélatonine (mélatonine, ramelteon, agomélatine), les antidépresseurs sédatifs (trazodone, doxepin, mirtazapin), les antipsychotiques sédatifs (quetiapine), les anticonvulsivants sédatifs (gabapentine, topiramate). Quel que soit le traitement choisi pour diminuer les troubles du sommeil, l’abstinence de l’objet d’addiction reste le traitement de première ligne. En effet, la poursuite de la consommation de l’objet d’addiction compromettra les autres thérapies pour les troubles du sommeil [82].
Conclusion L’ensemble des données met en évidence une association bidirectionnelle entre les troubles du sommeil et les troubles addictifs (Fig. 1). L’hypothèse première pour expliquer le lien entre ces deux pathologie implique les rythmes circadiens, et plus précisément un décalage entre les rythmes veille/sommeil et le rythme circadien. Il existe de manière établie un lien bidirectionnel entre rythme veille/sommeil et le rythme circadien, ainsi qu’un lien bidirectionnel entre
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Figure 1.
M. Auriacombe et al.
Récapitulatif des liens entre troubles du sommeil et addiction et des hypothèses des liens.
usage de substances et rythme veille/sommeil. L’usage de substances agit sur le rythme circadien, notamment en modifiant la régulation des gènes de l’horloge circadienne. Le décalage entre rythme circadien et rythme du sommeil entraînerait une modification de la régulation de l’horloge circadienne qui aboutirait à une consommation de substance à cause d’une modification du système de récompense médiée par une modification de l’activité dopaminergique et une action sur l’axe HPA (réponse aux stresseurs, aux stimuli environnementaux, aux stimuli lié à l’usage, craving). D’autres études sont nécessaires pour examiner ces dernières hypothèses. Des études prospectives sont également nécessaires pour déterminer si le décalage du rythme circadien tend à augmenter l’usage de substances ou le développement d’un trouble addictif, s’il joue sur l’initiation de l’usage de substance ou l’initiation d’un comportement pouvant donner lieu à addiction, et enfin si ce décalage est lié au risque de rechute.
Les troubles du sommeil persistants chez les sujets présentant une addiction doivent être pris en charge comme toute autre pathologie comorbide. Plusieurs traitements ont été testés mais leur impact à long terme a été peu examiné. De plus, peu de prises en charge ayant une action sur la modification du rythme circadien ont été développées. Or, des interventions ciblées sur le rythme circadien pourraient avoir un bénéfice pour la prise en charge de l’addiction. Chez les sujets dépendants, un lien bidirectionnel a été mis en évidence entre le craving et les troubles du sommeil, une intensité de craving plus élevée entraînant des troubles du sommeil la nuit suivante et inversement [81]. Sachant que le craving est prédictif de la rechute [83], il est une cible principale dans le traitement de l’addiction [2]. De fait, en agissant sur le craving, une amélioration des troubles du sommeil devrait être observée et ainsi améliorer la qualité de vie des sujets dépendants [81].
Addiction et troubles du sommeil : craving, rythmes circadiens. Une mise au point D’autres études sont nécessaires pour comprendre les liens biologiques et comportementaux entre les troubles addictifs (avec ou sans substance) et les troubles du sommeil.
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Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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