Journal Européen des Urgences et de Réanimation (2012) 24, 67—71
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ARTICLE ORIGINAL
Les urgences pédiatriques en urgence ou dans l’urgence ? Paediatric emergencies in an emergency or in urgency? B. Belhadi Daouzli Clinique Edith Cavell, CHIREC, Bruxelles, Belgique Rec ¸u le 21 novembre 2011 ; accepté le 3 juillet 2012 Disponible sur Internet le 3 aoˆ ut 2012
MOTS CLÉS Pédiatrie ; Urgence ; Organisation ; Santé ; Réflexion
KEYWORDS Paediatric; Emergency; Organisation; Health; Think tank
Résumé La surcharge des services d’urgence hospitaliers, l’augmentation constante de leur fréquentation au détriment de la médecine « de ville », la promiscuité de patients gravement malades avec des patients « impatients », le manque d’effectifs médical et paramédical entraînent immanquablement une grande vulnérabilité de ces services et de leurs équipes. Un grand nombre de patients hospitalisés sont admis par les urgences, et leur opinion sur l’hôpital en sera fortement influencée. L’accueil, l’organisation et la qualité des soins qui y sont prodigués ont un impact en premier lieu sur la santé des patients, mais aussi sur l’image de l’hôpital. Les gestionnaires et les soignants doivent y rester sensibles et attentifs. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary The permanent frequentation increase and the hyperloaded of the emergency room in a generalized hospital, contrasted by the ambulatory medicine, i.e. ‘‘communitarian medicine-down-town’’, the promiscuity of severely ill-patients, as well as their impatient attitude, the lack of sufficient number of medical and paramedical staff members lead indefinitely for a huge vulnerability of those wards as well as their medical staff members. A high number of hospitalized patients are issued from the emergency room, and their proper opinion on the hospital structure will greatly be influenced by the quality of management received in this ward. The quality of reception, organisation and management received in this ward, will initially impact the health status of the patient, but also the whole hospital impression. The administrative managers as well as medical care staff members should remain sensitive and aware of this point. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
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Introduction Depuis de nombreuses années, la question des urgences en général, et pédiatriques pour ce qui nous concerne, est un sujet d’actualité, au centre de toutes les préoccupations à tous les niveaux, des instances compétentes et des institutions hospitalières concernées, aussi bien dans notre pays que chez nos voisins européens. C’est notamment un des thèmes fréquemment évoqués par les pédiatres hospitaliers, qui en débattent au cours de fréquents séminaires et colloques. S’agissant d’urgences, la problématique la plus citée fait référence de manière récurrente à l’engorgement des services, leur saturation, la surcharge de travail de tous les intervenants mais aussi leur qualification, leur performances et, en bout de piste, le degré de satisfaction du public. Dans ce contexte, le Groupement belge des pédiatres francophones (GBPF) a réalisé, en avril 2002, une enquête au moyen de questionnaires adressés aux pédiatres de l’association avant la réunion scientifique du mois de mai. Cette enquête avait pour but de dresser un état des lieux des services d’urgence dans les institutions hospitalières de la Belgique francophone [1]. Voici un aperc ¸u des résultats de cette enquête à laquelle 136 pédiatres avaient répondu : • 67 % parmi ceux qui exercent une activité hospitalière étaient insatisfaits de la qualité de leur travail notamment en raison de sa lourdeur et de ses implications juridiques ; • la plupart des patients présentés aux urgences étaient renvoyés à leur pédiatre traitant sans aucune prise en charge particulière hospitalière, démontrant par la l’intérêt du recours au pédiatre de ville en première intention ; • 77 % pensaient que passer par l’éducation des patients pouvait diminuer le recours aux urgences ; • 50 % des pédiatres souhaitaient limiter l’accès aux urgences en augmentant le prix de la consultation et en instaurant une perception systématique des honoraires dès l’admission. Je voudrais, à travers ce document, apporter ma contribution personnelle à ce débat, à la lumière d’une expérience de près de 25 années, dont une dizaine en qualité de chef de service de pédiatrie d’une grande institution hospitalière bruxelloise abritant une des plus grosses maternités de Belgique (près de 3400 naissances par an). Après une rapide présentation de ce service et à la lumière de quelques chiffres clé, je m’efforcerai d’analyser les problèmes liés à cette activité, leurs causes, leur évolution, et pousser la réflexion en rapport avec les modifications sociétales.
B. Belhadi Daouzli L’équipe du programme de soins est composée de cinq pédiatres travaillant à temps plein. Ces pédiatres assurent une permanence jusqu’à 17 heures les jours de semaine, un tour de salle le weekend, une garde de disponibilité 24 heures sur 24 à tour de rôle. La clinique Edith Cavell dispose également d’un service de néonatologie neonatal intensive care (NIC) dont l’équipe médicale est composée de cinq néonatologues, assurant aussi une permanence jusqu’à 18 heures les jours de semaine, un tour de le salle le week-end, et une garde de disponibilité 24 heures sur 24. En cas de grande prématurité (moins de 32 semaines), le néonatologue vient d’office doubler le pédiatre « de porte ». Pour les naissances difficiles ou les prématurés de plus de 32 semaines, le pédiatre de garde est en première ligne ; Il devra assurer les premiers soins au nouveau né prématuré ou en détresse, voire le réanimer en cas de plus grande difficulté en attendant l’arrivée du néonatologue. C’est donc, comme dans la plupart des services de pédiatrie des hôpitaux généraux, une lourde charge. La maternité accueille environ 3400 naissances par an. Les nouveau-nés en bonne santé, séjournant auprès de leur maman, sont pris en charge par les pédiatres accrédités de la clinique Edith Cavell participant au rôle de garde (20 pédiatres). Les urgences pédiatriques sont assurées par ces mêmes pédiatres parmi lesquels les cinq pédiatres fixes du programme de soins. Notons que, comme dans de nombreux hôpitaux belges, la pyramide des âges représente une difficulté organisationnelle. En effet, seuls cinq pédiatres sont âgés de moins de 45 ans. On sait que l’âge moyen du pédiatre belge est de 56 ans. La répartition des gardes est établie en fonction de l’âge ; les nuits sont assurées par les plus jeunes.
Chiffre relatif aux urgences pédiatriques Le service des urgences de la clinique Edith Cavell accueille aussi bien les adultes que les enfants. Une salle d’attente et des salles d’examen sont dédiées exclusivement aux enfants. Ces derniers représentent 50 % des passages ; ce qui est davantage que les chiffres usuellement cités de 25 %. Comme dans tous les services d’urgence du pays, le nombre d’enfants n’a cessé d’augmenter, avec un « delta » de 22,6 % de 2004 à 2010 (Fig. 1).
Evolution 2004-2010
12.000 10.000
Le service de pédiatrie de la clinique Edith Cavell Structure et effectifs Le service d’hospitalisation pédiatrique comprend 25 lits E, dans lesquels sont hospitalisés des enfants tant pour des pathologies médicales que chirurgicales.
8.000 6.000 4.000 2.000 0
Figure 1.
2004
2005
2006
2007
2008
Évolution d’activité aux urgences.
2009
2010
Les urgences pédiatriques en urgence ou dans l’urgence ?
2000
Pour les parents qui amènent leur enfant aux urgences la conception est tout autre : leur inquiétude contribue à justifier l’urgence, la disponibilité immédiate du médecin et parfois une agressivité difficile à gérer pour les soignants [2]. Un service d’urgence bien pensé est donc un service bien organisé, où la qualité des soins, le tri et la communication sont déterminants de la réussite.
20h00-08h00
1800
14h00-20h00
1600
69
08h00-14h00
1400 1200 1000 800 600 400 200 0
Rôle du pédiatre de garde LUNDI
Figure 2.
MARDI
MERCREDI
JEUDI
VENDREDI
SAMEDI
DIMANCHE
Fréquentation des urgences.
Les statistiques de fréquentation des urgences montrent, par ailleurs, que la charge de travail est relativement homogène d’un jour à l’autre de semaine, avec des pointes de fréquentation les après midi et le week-end (Fig. 2), moments où le pédiatre est précisément seul (soirée, nuit et après-midi du WE).
Les tâches du pédiatre de garde et les compétences qu’elles requièrent Il doit soigner tous les enfants, âgés de zéro à 16 ans qui se présentent au service des urgences, soit plus de 10 000 par an. Ces patients arrivent pour toutes les pathologies médicochirurgicales relevant de la pédiatrie. Cela va par exemple du coma aux petites plaies en passant par la méningite grave, la bronchiolite, les infections virales bénignes ou les coliques. À tout moment, pendant son activité au service des urgences, le pédiatre peut être amené, comme dit ci-dessus, à se rendre en urgence en salle d’accouchement, de césarienne, ou en unité d’hospitalisation. On conc ¸oit aisément la complexité de la tâche se diversifiant en différentes zones géographiques de l’hôpital. Lorsque le pédiatre est appelé en urgence aux étages, la garde de porte est délaissée et s’engorge. Voilà donc le pédiatre des urgences tour à tour spécialiste, urgentiste, réanimateur, qui doit aussi rassurer, apaiser et réconforter. Les compétences nécessaires pour ces soins sont donc très larges et, seul le pédiatre chevronné pourra gérer efficacement les « vraies » urgences, tout en sachant que parfois il devra faire appel aux services intensifs spécialisés pour prendre le relais.
Le recours aux urgences Notre expérience telle que décrite suscite une réflexion sur la place du pédiatre, l’organisation des urgences d’un hôpital et d’une ville, l’échelonnement des soins et la manière dont le public s’adapte aux différents modèles existants.
Le pédiatre de garde est sensé soigner tous les enfants âgés de zéro à 16 ans qui se présentent. Étant soumis aux aléas de l’urgence, il doit aussi être un bon organisateur et y être aidé par tout ce qu’une institution peut offrir dans ce sens.
Sous-effectifs pédiatriques en Belgique La fréquentation des urgences par des enfants a plus que doublé en 15 ans dans notre pays. L’âge moyen du pédiatre (56 ans) et le manque de ces praticiens (plus de 100 postes ouverts en permanence en Belgique sans être honorés) soulignent la discordance entre l’augmentation des urgences et de leur complexité par rapport à l’insuffisance du cadre médical général. Les conséquences en sont inévitables : gardes surchargées, soignants épuisés, organisation parfois malmenée, risque plus important de retarder des prises en charge urgentes.
La situation en Belgique En 2010, Le Dr Jean Evrard (chef du département de pédiatrie, CHR Namur) a réalisé une enquête auprès des chefs de service de pédiatrie des hôpitaux francophones du pays. Les questions étaient essentiellement centrées sur l’activité du pédiatre au service des urgences, l’aide apportée par des assistants ou spécialistes en médecine aiguë (BMA), sa participation à la garde NIC, à la salle d’accouchement ou unité pédiatrique, la fréquence des gardes, les rémunérations. Il en ressort que, bien que les situations hospitalières soient variées, les points communs sont le manque cruel d’effectifs compétents, les difficultés financières pour rémunérer décemment les praticiens, la variabilité extrême des coûts salariaux. Les admissions aux services des urgences n’ont cessé d’augmenter et tous les hôpitaux sont confrontés aux mêmes difficultés : Les chiffres sont édifiants, et encore aujourd’hui, pour tenter de remédier à cette situation, chaque service fait ce qu’il peut, comme il le peut. Il manque d’une stratégie globale tant à l’échelle du pays que des bassins de soins afin de contribuer à maintenir la qualité des soins tout en protégeant la qualité de vie des soignants.
Rôle des services d’urgence
Qu’est-ce qui a changé ?
Pour les soignants, l’urgence c’est de sauver des vies, prendre en charge des cas lourds et trier les passages selon la gravité des affections.
Insensiblement, les soignants, les politiques et la population n’ont pas perc ¸u dans toutes leurs dimensions des modifications essentielles de la médecine telles la complexité
70 des soins, la réduction de moitié en dix ans de la durée d’hospitalisation, la lourdeur de pathologies très complexes et des programmes de soins associés, ainsi qu’une nouvelle conception du bien-être, infiniment plus exigeante du côté du patient. Dans un monde où une technologie incontournable a modifié les comportement et où une prise en charge immédiate des cas, qu’elle qu’en soit la nature et l’importance, devient une aspiration légitime, le médecin se sent esclave du temps. Or, la médecine, sans doute davantage encore que d’autres professions, requiert une réflexion indépendante de contraintes étrangères à son objet [3]. Les « sages », c’est-à-dire les grands parents, les membres de la famille ne sont plus disponibles pour rassurer, agir avec bon sens et discernement, freiner les comportements précipités. Ainsi les contraintes des autres, étrangères à la maladie (parents des patients ou patients eux même) ne devraient pas retentir sur la démarche médicale.
Les solutions Rationnaliser l’offre de soins Comme nous l’avons évoqué l’offre de soins devrait être rationalisée en tenant compte des expériences existant dans d’autres pays et des contraintes locales ; cela ne peut se faire que dans une réflexion conjointe des institutions hospitalières et des politiques.
B. Belhadi Daouzli Enfin, les patients présentant une urgence « non vitale », mais nécessitant des soins au service des urgences, sont informés du délai d’attente. Ce tri doit être rapide, efficace, réalisé par du personnel compétent.
Consultations ouvertes de jour Elles permettent de filtrer les fausses urgences, qui restent, faut-il le répéter, les plus fréquentes en pédiatrie. Elles pourraient, à plus long terme, freiner le recours systématique par certains patients au service des urgences. Notamment ceux qui n’ont pas de pédiatre traitant, et ceux dont les parents estiment que pour l’urgence, seul le pédiatre est compétent [5].
Améliorer la nomenclature Le code actuellement utilisé par les pédiatres est le code urgentiste, situation qui doit changer en 2012. Tous les pédiatres doivent maintenir leurs exigences pour l’obtention d’une reconnaissance et d’un code d’urgence pédiatrique. Les actes techniques, pratiqués fréquemment en salle d’urgence (saturation, monitorage, etc.) pourraient améliorer la situation financière des services d’urgence et par là même renforcer les équipes.
Conclusion Augmenter les équipes de soignants, pédiatres, infirmiers Le nombre d’assistants et de pédiatres doit être augmenté. Une estimation de pédiatres et infirmières nécessaires à la dispensation des soins devrait être calculé afin de répondre au problème mentionné dans le cadre plus large par ailleurs de la rationalisation. Pour les infirmiers, le métier est difficile, mal rémunéré, les services d’urgences demandent des formations SIAMU pour 50 % du personnel. Ces infirmiers, peu nombreux, s’orientent davantage vers les services de réanimation et les « gros » services d’urgence. À la fin de la formation, les pédiatres devraient être soumis à l’obligation de travailler dans les hôpitaux durant un certain nombre d’années, relayant ainsi leurs aînés, et permettant que des équipes performantes assurent les soins de première ligne.
L’arrivée au service des urgences se fait souvent dans la détresse et l’angoisse, les patients doivent parfois y être soignés en urgence, mais cela demande aux soignants savoirfaire, calme, sérénité. Cela doit guider l’ambition des pédiatres hospitaliers. La pédiatrie est une spécialité à part, l’enfant nécessite une approche bien spécifique. Le pédiatre est un généraliste-spécialiste incontournable dans sa prise en charge au niveau des urgences. Les formations permanentes sont nécessaires pour maintenir et consolider les compétences. Ces conditions sont nécessaires pour contribuer à la promotion d’un concept de service de pointe privilégiant « le traitement de l’Urgence par rapport au traitement dans l’Urgence ».
Déclaration d’intérêts Mettre en place un triage De nombreux hôpitaux ont mis en place un système de triage qui permet d’assurer en premier lieu la sécurité des patients, en permettant la prise en charge rapide des urgences vitales [4]. Il permet en second lieu d’orienter les patients éventuellement vers une consultation sans rendez-vous dans l’enceinte de l’hôpital, afin d’assurer une fluidité dans le traitement des cas.
L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements Je remercie le professeur Georges Casimir, directeur général médical de l’HUDERF de m’avoir épaulée dans la réalisation de ce texte.
Les urgences pédiatriques en urgence ou dans l’urgence ?
Références [1] Massin M, Lepage P. Observations et réflexions sur la gestion des urgences pédiatriques. Rev Med Liege 2002;57: 591—8. [2] Thys F, Laforge V, Belche, et al. Patients ou impatients, pourquoi le service des urgences ? JEUR 2001;14:A32—5.
71 [3] Longneaux JM. Les urgences au carrefour des problèmes éthiques. Ethica Clinica. Rev Fr Ethique Soins Sante Editorial 2003;31. [4] Gillet JB. Les fausses urgences, un vrai problème ? Rev Hosp 2004;2. [5] Goareguer F, Hayez JY. La psychiatrie de l’enfant et l’urgence. Analyse et spécificités. Louvaim Med 1998;117:293—307.