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Communication brève
Trois observations de rhumatisme de Jaccoud au cours de la sclérodermie systémique Three cases of Jaccoud’s arthropathy during systemic sclerosis A. Najm a , B. Le Goff a , A. Achille b , O. Espitia b , C. Durant b , F. Perrin b , C. Agard b,∗,c a
Service de rhumatologie, pôle hospitalo-universitaire 4, hôpital Hôtel-Dieu, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France Service de médecine interne, pôle hospitalo-universitaire 3, centre de compétences maladies systémiques et auto-immunes rares, hôpital Hôtel-Dieu, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France c Inserm UMR1087, CNRS UMR6291, unité de recherche de l’Institut du thorax, équipe 2 « Signalisation et hypertension artérielle », IRS université de Nantes, 8, quai Moncousu, BP 70721, 44007 Nantes cedex 1, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Sclérodermie systémique Rhumatisme de Jaccoud
r é s u m é Introduction. – Le rhumatisme de Jaccoud est une arthropathie chronique, déformante, mais non érosive, classiquement associée au lupus systémique. Sa survenue au cours de la sclérodermie systémique est rare et cette association est peu étudiée. Observations. – Nous rapportons les observations de 3 patientes (âge moyen : 79,3 ans) ayant présenté un rhumatisme de Jaccoud dans un contexte de sclérodermie systémique limitée (n = 1) ou cutanée limitée (n = 2). L’ancienneté de la sclérodermie systémique était respectivement de 19, 1 et 21 ans. Une patiente avait un antécédent ancien de lupus discoïde. Dans 1 cas, le rhumatisme de Jaccoud apparaissait sans signes d’évolutivité de la sclérodermie. Dans 2 cas, la sclérodermie était considérée comme évolutive, avec développement concomitant d’une hypertension pulmonaire. Les déformations des doigts et des mains (pouces en Z, coup de vent ulnaire) s’aggravaient progressivement sur plusieurs mois, occasionnant un handicap fonctionnel important. L’évolution semblait peu influencée sous prednisone seule (n = 2) ou prednisone plus méthotrexate (n = 1). Conclusion. – Nous avons observé un rhumatisme de Jaccoud chez 3 patients au sein de notre cohorte de 296 patients sclérodermiques (1 %). Cette arthropathie aggrave le handicap fonctionnel des mains. Sa physiopathologie est inconnue et sa prise en charge thérapeutique optimale reste à définir. © 2016 Publie´ par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI).
a b s t r a c t Keywords: Systemic sclerosis Jaccoud’s arthropathy
Introduction. – Jaccoud’s arthropathy (JA) is a chronic and non-erosive deforming arthropathy, usually affecting the hands. JA pathophysiology is poorly known but involves periarticular structures such as tendons and the joint capsule. JA is associated with various conditions including the connective tissue disease, especially systemic lupus erythematosis. JA has been rarely described and studied in systemic sclerosis. Case reports. – We report the clinical histories of 3 patients with systemic sclerosis (ScS) who developed JA. One patient had a systemic limited disease and the 2 others a cutaneous limited disease ; mean age of the patients was 79.3 years. Systemic sclerosis was diagnosed respectively 19, 1 and 21 years prior to the development of JA. One of the 3 patients had a past clinical history of discoid lupus. For 1 out of the 3 patients, JA appeared whereas the ScS was completely stable. The disease was still active in the 2 remaining patients, with concurrent pulmonary hypertension diagnosis. Deformities increased during years (Z thumbs, ulnar deviation), leading to mild to severe disability. No benefit from either prednisone (n = 2) or a combination of prednisone and methotrexate (n = 1) was obtained.
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Agard). http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.01.007 0248-8663/© 2016 Publie´ par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI).
Pour citer cet article : Najm A, et al. Trois observations de rhumatisme de Jaccoud au cours de la sclérodermie systémique. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.01.007
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Conclusion. – We described 3 cases of Jaccoud’s arthropathy among our scleroderma cohort of 296 patients (1%). This arthropathy worsens hand functional disability. Its pathophysiology is unknown and optimal therapeutic approach remains to establish. © 2016 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Société nationale française de médecine interne (SNFMI).
1. Introduction Le rhumatisme de Jaccoud (RJ) est une arthropathie chronique non érosive, qui touche de fac¸on préférentielle les mains, les pieds et plus rarement les poignets et les genoux [1], à l’origine de déformations réductibles et indolores responsables d’un handicap fonctionnel parfois majeur [2]. Les atteintes des mains concernent essentiellement les articulations métacarpo-phalangiennes (MCP) avec une déviation en coup de vent ulnaire, les articulations interphalangiennes proximales (IPP) et distales (IPD) avec une déviation en col de cygne et des inter-phalangiennes des pouces avec une déformation en Z. Ces aspects peuvent faire évoquer à tort une polyarthrite rhumatoïde (PR) mais dans ce cas, les facteurs rhumatoïdes (FR) et les anticorps (AC) anti-peptides citrullinés (CCP) sont positifs et il existe des érosions osseuses conduisant à une destruction articulaire avec des déformations fixées. Le rhumatisme de Jaccoud est fréquemment associé aux connectivites, principalement le lupus systémique (LS), avec une prévalence évaluée à 6,1 % [3]. Quelques rares cas de rhumatisme de Jaccoud associés à une sclérodermie systémique (ScS) ont été rapportés dans la littérature [4,5], mais cette association reste peu étudiée. L’objectif de notre travail est de décrire les principales caractéristiques cliniques, biologiques, radiographiques et évolutives de 3 nouveaux patients recensés au sein de notre cohorte monocentrique de patients suivis pour une ScS.
7,5 puis 12,5 mg/semaine et prednisone 5 puis 15 mg/j était initié, associé à un traitement antalgique (palier 1) et au port d’orthèses manuelles. Ce traitement, toujours en cours, s’est avéré peu efficace et l’évolution s’est faite vers l’aggravation du handicap fonctionnel des mains (Fig. 1b). 2.2. Observation 2 Une patiente de 85 ans était hospitalisée en 2012 pour suspicion de ScS. Ses antécédents comportaient une lobectomie supérieure droite en 2001 pour carcinome bronchiolo-alvéolaire, une bronchopathie obstructive, une cardiopathie ischémique et une hernie hiatale. Son traitement était le suivant : furosémide 60 mg/j, aspirine 160 mg/j, tiotropium 1/j, venlafaxine 37,5 mg/j, ésoméprazole 20 mg/j. Elle présentait un phénomène de Raynaud depuis 2009 (3 points), puis une acrocyanose, et depuis 4 mois, un syndrome sec, et des arthromyalgies inflammatoires (mains, pieds, chevilles, épaules) sans synovite, et un amaigrissement de 3 kg (Tableau 1).
2. Observations 2.1. Observation 1 Une patiente d’origine africaine de 79 ans était suivie pour une ScS cutanée limitée diagnostiquée à l’âge de 60 ans. Le tableau comportait un phénomène de Raynaud (3 points), des télangiectasies (2 points), une sclérodactylie (4 points), un score de Rodnan modifié à 2 et un reflux gastro-œsophagien, associés à des anticorps anti-centromères (3 points) (Tableau 1). Avec un score ≥ 9 points, elle validait les critères diagnostiques ACR/EULAR 2013 pour la ScS [6]. Comme autre antécédent, on notait une hypothyroïdie, une dégénérescence maculaire liée à l’âge et une ostéoporose. Son traitement était le suivant : lévothyroxine 75 g/j, oméprazole 20 mg/j, clopidogrel 75 mg/j, risédronate 35 mg/semaine. En 2008, elle se plaignait d’arthralgies inflammatoires des doigts depuis 6 mois. L’examen retrouvait des synovites bilatérales, et une déformation progressive et réductible des MCP, évoquant une arthropathie débutante de Jaccoud. L’état général était conservé, et il n’y avait aucun argument pour un rhumatisme articulaire aigu ou une arthropathie microcristalline. Il n’y avait aucun signe en faveur d’un LS ou d’une autre connectivite. Les facteurs antinucléaires (FAN) étaient positifs de spécificité anti-centromères, sans anti-SSA, -SSB, -RNP, -Sm, ni anti-ADN natifs. Les FR et les anticorps anti-CCP étaient négatifs. Le complément était normal. La protéine C réactive (CRP) était à 10 mg/L. Les radiographies des mains ne montraient pas d’érosion ni de chondrolyse mais une déviation en coup de vent ulnaire (Fig. 1a). Tant sur le plan clinique que para-clinique (tests fonctionnels respiratoires, échocardiographie, scanner thoracique, capillaroscopie), il n’y avait aucun signe d’évolutivité de sa ScS. Un traitement associant méthotrexate
Fig. 1. Aspect radiographique du rhumatisme de Jaccoud de l’observation 1. a : au diagnostic, déviation des articulations métacarpo-phalangiennes en coup de vent ulnaire, plus prononcée à droite ; b : après 2 ans d’évolution, aggravation de la déviation des articulations métacarpo-phalangiennes en coup de vent ulnaire. Apparition d’une déformation du pouce gauche en Z.
Pour citer cet article : Najm A, et al. Trois observations de rhumatisme de Jaccoud au cours de la sclérodermie systémique. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.01.007
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Tableau 1 Caractéristiques cliniques, biologiques, radiologiques de nos 3 cas (A) et des autres cas publiés (B) ayant développé un rhumatisme de Jaccoud (RJ) au cours d’une sclérodermie systémique (ScS). Ancienneté de la ScS
ScS (type)
Phénotype clinique
Biologie
Caractéristiques du RJ
19 ans
Cutanée limitée
Raynaud, télangiectasies, sclérodactylie, Rodnan = 2, RGO
FAN 1/2560e , AC anti-centromères 181 U/mL, FR-, anti-CCP-, anti-ADNnatif-, anti-Sm-, SSA-, SSB-, IgM anti-2GP1 32 UI/L, IgG monoclonale
Évolution sur 7 ans Déformation : coup de vent ulnaire Traitement : méthotrexate 7,5–12,5 mg/semaine, prednisone 5–15 mg/j
No 2 F, 85 ans
1 an
Limitée
21 ans
Cutanée limitée (antécédent de lupus systémique)
FAN 1/2560e , AC anti-ARN pol III 201 U/mL, FR-, Ac anti-CCP-, AC anti-ADN natif-, anti-Sm-, anti-SSA-, SSB-, anti-thyroglobuline+ FAN 1/1280e , AC anti-centromères 183 U/mL, AC anti-ADN natifs 32 U/mL, AC anti-SSA et-SSB+, anti-Sm-, AC anti-CCP- et FR-, hypocomplémentémie, IgM ACL 13 U/mL
Évolution sur 1 an Déformation : pouces en Z Traitement : prednisone 15 mg/j
No 3 F, 74 ans
Raynaud, arthromyalgies, RGO, hypertension pulmonaire, crise rénale ? Raynaud, télangiectasies, ulcérations digitales, sclérodactylie, calcinose, RGO, HTAP
ND
Cutanée diffuse
FR-, FAN-
Évolution ND Déformation : 2 doigts en col de cygne Traitement : prednisone 40 mg/j, D-pénicillamine
No 2 H, 21 ans
0
Cutanée limitée
Raynaud, arthromyalgies, sclérodactylie, RGO, pneumopathie interstitielle, hypertension pulmonaire Raynaud, sclérodactylie, HTAP
FR-, FAN-
Évolution sur 10 ans Déformation : coup de vent ulnaire, doigts en boutonnière et en col de cygne Traitement : ND
Spina et al., 2008 F, 42 ans
2 ans
Cutanée limitée
Raynaud, sclérodactylie, ulcérations digitales, RGO, arthromyalgies
FR-, AC anti-centromères+
Évolution sur 13 ans Déformation : coup de vent ulnaire Traitement : méthotrexate, sulfasalazine
SifuentesGiraldo et al., 2014 F, 80 ans
0
Cutanée limitée (syndrome de Reynolds)
Raynaud, sclérodactylie, télangiectasies, arthromyalgies
FR-, AC anti-CCP-, FAN 1/320e , AC anti-centromères+, AC anti-mitochondries+
Évolution ND Déformations : coup de vent ulnaire, doigts en col de cygne, pouces en Z Traitement : prednisone 5 mg/j
A. Cas personnels No 1 F, 79 ans
B. Cas publiés Bradley et Pinals, 1984 No 1 F, 58 ans
Évolution sur 4 ans Déformation : pouces en Z, coup de vent ulnaire Traitement : prednisone 15 mg/j
F : femme ; H : homme ; RGO : reflux gastro-œsophagien ; HTAP : hypertension artérielle pulmonaire ; FAN : facteurs anti-nucléaires ; AC : anticorps ; FR : facteurs rhumatoïdes ; ND : non disponible.
L’examen clinique ne retrouvait pas de calcinose ni de télangiectasies, mais des doigts boudinés (2 points) et une déformation des pouces en Z (Fig. 2a), d’aggravation rapide sur 12 mois, confirmée radiologiquement (Fig. 2b). Devant ces déformations indolores et réductibles, le diagnostic de RJ était retenu. Il n’y avait pas d’arguments pour une maladie lupique. La capillaroscopie montrait de nombreux méga-capillaires sans diminution du nombre des anses (2 points). Les FAN étaient positifs à 1/2560, de fluorescence mouchetée et nucléolaire. La recherche d’anticorps anti-ARN polymérase III était positive à 201 U/mL (3 points). Les anticorps anti-DNA natifs, antiSm, anti-CCP et les FR étaient négatifs. Le complément était normal. La CRP était à 32 mg/L. Un traitement par prednisone 15 mg/j était initié. Avec un total de 10 points, la patiente validait les critères diagnostiques 2013 de la ScS et le diagnostic de ScS limitée était retenu [6].
L’évolution était marquée par l’apparition concomitante d’une dyspnée d’effort d’aggravation progressive puis de signes droits. L’échographie cardiaque évaluait la pression artérielle pulmonaire systolique à 54 mmHg, la fonction ventriculaire gauche était conservée, et le cathétérisme cardiaque droit concluait à une hypertension pulmonaire post-capillaire, avec une pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) à 41 mmHg et une pression capillaire pulmonaire (Pcap) à 21 mmHg, sans élévation des résistances pulmonaires et avec un débit cardiaque conservé. Sur le scanner thoracique, il était noté plusieurs adénopathies médiastinales (< 2 cm) dont une hypermétabolique au TEP, faisant suspecter une néoplasie sous-jacente. La patiente développait alors une insuffisance rénale d’aggravation rapide. La biopsie rénale concluait à des lésions de néphro-angiosclérose associées à quelques lésions de néphrite interstitielle chronique. La patiente refusait la dialyse et décédait 5 mois après le diagnostic de ScS.
Pour citer cet article : Najm A, et al. Trois observations de rhumatisme de Jaccoud au cours de la sclérodermie systémique. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.01.007
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Fig. 2. Aspects du rhumatisme de Jaccoud de l’observation 2. a : au diagnostic, déviation des pouces en Z, plus prononcée à droite ; b : radiographie des mains, déviation des pouces en Z, plus prononcée à droite.
2.3. Observation 3 Une patiente de 74 ans était suivie depuis 21 ans pour une ScS cutanée limitée (Tableau 1), avec un phénomène de Raynaud (3 points), des anomalies capillaroscopiques (2 points), des télangiectasies (2 points), des cicatrices déprimées des doigts (3 points), et des anticorps anti-centromères (3 points), validant ainsi (score ≥ 9) les critères diagnostiques 2013 de la ScS [6]. Dans ses antécédents, on notait une glomérulonéphrite extra-membraneuse en 1999, traitée par prednisone et ciclosporine, un lupus discoïde en 2000 traité par hydroxychloroquine et dermocorticoïde, une artériopathie oblitérante des membres inférieurs de stade IV, une nécrose astragalienne. Son traitement était le suivant : nifédipine 30 mg/j, ésoméprazole 40 mg/j, prednisone 15 mg/j, atorvastatine 10 mg/j. Elle était vue en 2011 en raison de la survenue sur 12 mois d’une déformation des doigts en coup de vent ulnaire, réductible, évoquant un RJ (Fig. 3a). Les radiographies des mains ne montraient pas d’érosions mais une acro-ostéolyse bilatérale des phalanges 2, 3 et 5 s’intégrant dans le tableau de ScS. On notait également une déviation en coup de vent ulnaire bilatéral prédominant à droite (Fig. 3b). L’apparition du RJ était contemporaine de la survenue d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) pré-capillaire (PAPm : 38 mmHg, Pcap : 6 mmHg, RVP : 6,1 unités Wood, IC : 2,72 L/min/m2 ), et en l’absence de tout signe clinique de poussée évolutive de lupus. La CRP était à 14 mg/L. Les fractions C3 et C4 étaient respectivement abaissées à 0,74 et 0,07 g/L, et le CH50 était discrètement diminué à 63 %. Les anticorps anti-ADN natifs étaient positifs à 32 U/mL (Elisa), les anticorps anti-SSA et -SSB étaient positifs, les anticorps anti-Sm, les FR et les anticorps anti-CCP étaient négatifs.
Fig. 3. Aspects du rhumatisme de Jaccoud de l’observation 3. a : au diagnostic, déviation des métacarpo-phalangiennes en coup de vent ulnaire, plus prononcée à droite ; b : radiographies des mains ; après 2 ans d’évolution, aggravation de la déviation des articulations métacarpo-phalangiennes en coup de vent ulnaire. Noter l’absence d’érosions ou de chondrolyse évocatrice de polyarthrite rhumatoïde et la présence d’acro-ostéolyse des articulations phalanges distales 2, 3 et 5 de fac¸on bilatérale ; c : après 4 ans d’évolution, aggravation de la déviation en coup de vent ulnaire et apparition d’un pouce en Z à gauche et de déformation de la 3e inter-phalangienne proximale droite en col de cygne.
Le traitement par prednisone 15 mg/jour était maintenu, le RJ s’aggravait progressivement, occasionnant un handicap fonctionnel important des mains au bout de 4 ans d’évolution (Fig. 3c). 3. Discussion Dans cet article, nous décrivons 3 cas de RJ survenant au cours d’une ScS, ce qui est assez inhabituel. Ces 3 cas ont été recensés au sein d’une cohorte monocentrique de 296 patients identifiés depuis 2000, soit 1 % de nos patients. Le rhumatisme de Jaccoud (RJ) a été décrit pour la première fois en 1869 par FS Jaccoud [7] chez un patient de 29 ans présentant un tableau de rhumatisme articulaire aigu (RAA) dans un contexte d’endocardite infectieuse, avec la survenue progressive
Pour citer cet article : Najm A, et al. Trois observations de rhumatisme de Jaccoud au cours de la sclérodermie systémique. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.01.007
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d’une déformation des MCP en coup de vent ulnaire. En 1950, Bywaters étudiait avec précision 3 autres observations de RJ associées à un RAA, soulignant le risque de confusion avec une PR [8], et décrivant l’origine péri-articulaire tendineuse et capsulaire des déformations. Son article comportait également une analyse histologique de biopsies de mains de patients souffrant de RJ, montrant une rétraction avec fibrose capsulaire sans atteinte de la membrane synoviale [8]. Dans le contexte particulier de la ScS, on peut émettre l’hypothèse que cette fibrose capsulaire s’intègre dans un processus plus large de fibrogénèse (dermique, pulmonaire). Le RJ, parfois très invalidant, est désormais bien connu des cliniciens internistes et rhumatologues, mais son mécanisme physiopathologique reste obscur et peu étudié, et sa prise en charge thérapeutique n’est pas codifiée. Il faut préciser qu’il n’y a pas de critères diagnostiques validés pour le RJ. Par contre, le RJ peut être plus ou moins sévère et différents scores de sévérité ont été proposés [2,3,9–11]. Le plus communément retenu est l’index d’arthropathie de Jaccoud, utilisé par Spronk et al. [9], qui tient compte du nombre de doigts atteints et du type de déformations visualisées : déviation ulnaire > 20◦ (la plus fréquente), déformation en col de cygne, limitation de l’extension des MCP, déformation en boutonnière, déformation en Z. De très rares cas de RJ, souvent isolés, ont été décrits en association avec les pathologies suivantes : infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) [12], sarcoïdose [13], vascularite hypocomplémentémique [14], acrodermatite chronique atrophiante [15], périartérite noueuse [16]. Rarement, un RJ peut également survenir au cours d’un rhumatisme psoriasique [17,18], d’une arthropathie microcristalline, notamment une chondrocalcinose articulaire [19]. Un cas associé à un cancer a également été rapporté [20]. Cependant, les pathologies les plus fréquemment associées au RJ sont les connectivites, principalement le lupus systémique (LS) avec une prévalence allant jusqu’à 10 à 35 % [9], plus rarement le syndrome de Sjögren avec une prévalence rapportée de 2 % [21], le syndrome de Reynolds [22], et les syndromes de chevauchement avec une prévalence allant jusqu’à 21,7 % [23]. Plusieurs études ont mis en évidence des facteurs cliniques et sérologiques corrélés au RJ chez les patients lupiques. Dans la cohorte de 308 patients lupiques de Skare et al. [11], 19 patients présentaient un RJ, soit une prévalence de 6,1 %. Leur étude n’a pas montré de différence selon l’âge, le sexe des patients, ou l’activité de la maladie. L’ancienneté du LS à la survenue du RJ était de 84 mois en moyenne. Le délai de survenue du RJ chez les patients lupiques est en fait très variable. Une étude a montré que le RJ survenait significativement au cours des lupus de plus longue durée d’évolution [24]. En revanche, le travail de Van Vugt et al. [3], qui a étudié les caractéristiques de 17 patients lupiques avec RJ au sein d’une cohorte de 176 patients, retrouvait que les symptômes articulaires précédaient habituellement le diagnostic de LS de 13 mois en moyenne. Dans l’étude d’Alarcón-Segovia et al. [2], portant sur 41 patients porteurs de RJ au sein d’une cohorte de 858 patients lupiques, le RJ survenait majoritairement au cours de lupus récents. La présence d’arthrites chez les patients lupiques, en particulier des mains et des poignets a été décrite comme significativement associée à la survenue d’un RJ (OR : 10) [9,25]. En revanche, la présence d’une néphropathie lupique semble négativement corrélée au RJ [3]. Sur le plan biologique, les patients lupiques présentant un RJ semblent avoir une CRP plus élevée, et être plus fréquemment porteurs d’anticorps anti-ADN natifs (OR : 2,93) [11], ou d’anticorps anti-phospholipides (p = 0,028) [3]. Peu de données sont disponibles dans la littérature concernant le RJ au cours de la ScS. Dans les 3 cas que nous rapportons, il s’agit à chaque fois d’une femme avec un diagnostic de RJ à un âge relativement avancé de 79,3 ans en moyenne, dans un contexte de ScS limitée (1 cas) ou cutanée limitée (2 cas). Les 3 patientes
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validaient les nouveaux critères ACR/EULAR 2013 pour la ScS [6]. L’observation 2 amène à évoquer l’hypothèse d’une ScS à anticorps anti-ARN polymérase III accompagnant une néoplasie, bien que celle-ci n’ait pas pu être formellement identifiée. Il faut souligner que la littérature ne fait pas état de RJ paranéoplasique. Dans l’observation 3, qui correspond à une forme de chevauchement lupus/ScS, il est possible d’interpréter le RJ comme une complication de la maladie lupique. Cependant, la patiente n’avait plus aucun signe clinique de lupus depuis plusieurs années alors que la ScS était au premier plan. Une des patientes a présenté un RJ 19 ans après le diagnostic de Scs alors que sa maladie était non évolutive. La seconde patiente a présenté un RJ un an après le diagnostic de ScS alors que la maladie était évolutive et notre troisième patiente a présenté un RJ de fac¸on concomitante à l’apparition d’une HTAP. À notre connaissance, seuls 4 cas de RJ associés à une ScS ont été décrits dans la littérature anglophone [4,5]. Trois patients présentaient une ScS cutanée limitée et une patiente une ScS cutanée diffuse (Tableau 1). Le cas de Spina et al. [4] est une femme de 42 ans qui a présenté un RJ plusieurs années après le diagnostic de ScS avec déviation en coup de vent ulnaire typique. Comme 2 de nos patientes, elle présentait des arthralgies inflammatoires qui ont précédé les déformations. La survenue du RJ était isolée et la maladie était par ailleurs stable, comme une de nos patientes. Elle a été traitée par différents anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui ont soulagé partiellement les douleurs, et 2 disease modifying anti-rheumatic drugs (DMARDs) sans succès (sulfasalazine et méthotrexate). Concernant les cas décrits par Bradley et Pinals [5], il s’agissait d’une femme de 58 ans qui a également présenté des arthralgies inflammatoires des mains sans gonflements associés, suivies 14 mois plus tard de l’apparition d’un phénomène de Raynaud avec sclérodactylie, d’une HTAP, puis d’une fibrose cutanée extensive. Dans cette observation, une déformation des MCP en coup de vent ulnaire est apparue de fac¸on concomitante. Les AINS et les corticoïdes n’ont pas permis de prévenir l’extension du RJ avec apparition secondaire de doigts en col de cygne. Le second cas était un homme présentant un RJ isolé suivi 2 mois plus tard d’une sclérodactylie et d’une HTAP. Le RJ s’est aggravé progressivement sur 10 ans. Aucun des 2 patients n’avait de facteur rhumatoïde positif ni d’érosions radiographiques. Le cas le plus récent est celui publié en 2014 par Giraldo-Sifuentes et al. [22], concernant une patiente de 80 ans ayant un phénomène de Raynaud et une polyarthrite séro-négative anciens, développant des arthralgies des doigts 20 ans après, dont le bilan permettra de diagnostiquer un RJ dans un contexte de syndrome de Reynolds. Il est intéressant de constater que sur les 7 cas analysés (3 personnels et 4 de la littérature), le RJ était associé à l’apparition d’une HTAP dans 3 cas, suggérant une possible association non fortuite. Classiquement, les déformations du RJ ont tendance à s’aggraver avec le temps, occasionnant un handicap fonctionnel parfois sévère, ce qui est le cas chez 2 de nos 3 patientes. L’altération de la qualité de vie des patients lupiques porteurs d’un RJ a été soulignée [26]. Malheureusement, aucun traitement utilisé dans le RJ n’a fait la preuve de son efficacité. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les corticoïdes à faibles doses peuvent être utilisés à visée antalgique, chez ces patients souffrant parfois d’arthralgies associées. Les DMARDs utilisés chez nos patientes (méthotrexate, hydroxychloroquine) et dans la littérature (méthotrexate, sulfasalazine) [4] n’ont pas été très efficaces. Une observation concernant l’utilisation du rituximab a été publiée concernant une patiente de 38 ans porteuse d’un lupus cutanéo-articulaire qui a secondairement développé un RJ et des ulcérations digitales ; après échec du méthotrexate, du cyclophosphamide, de l’azathioprine, et de fortes doses de corticoïdes [27], mais sans efficacité réellement documentée sur l’évolution du RJ. Une équipe a récemment mis en évidence une surexpression sérique d’interleukine 6 (IL6) chez les patients lupiques porteurs d’un RJ [28], conduisant à envisager le
Pour citer cet article : Najm A, et al. Trois observations de rhumatisme de Jaccoud au cours de la sclérodermie systémique. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.01.007
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recours à un traitement par anti-IL6. Certains patients porteurs de RJ toutes causes confondues ont bénéficié de chirurgie réparatrice tendineuse ou d’ostéosynthèse avec des techniques chirurgicales diverses et des résultats parfois positifs [29]. La rééducation et le port d’orthèses restent des techniques modestes mais pouvant apporter un bénéfice aux patients [26]. 4. Conclusion Le RJ est classiquement associé au lupus systémique mais peut également, dans environ 1 % des cas selon notre expérience, survenir au cours de la ScS et cette association doit être connue. Comme dans le lupus, le RJ peut être une manifestation inaugurale ou apparaître au cours de l’évolution de la ScS. La ScS est fréquemment source de handicap fonctionnel au niveau des doigts et des mains, par le biais de la fibrose cutanée, de la rétraction des doigts, des ulcérations ischémiques ou mécaniques, ou encore des calcinoses, et ce handicap peut se majorer considérablement en cas de survenue d’un RJ. La physiopathologie du RJ mériterait d’être étudiée, afin d’en déterminer la stratégie thérapeutique optimale. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Ribeiro DS, Santiago M. Imaging of Jaccoud’s arthropathy in systemic lupus erythematosus: not only hands but also knees and feet. Rheumatol Int 2012;32:567–8. [2] Alarcón-Segovia D, Abud-Mendoza C, Diaz-Jouanen E, Iglesias A, De los Reyes V, Hernández-Ortiz J. Deforming arthropathy of the hands in systemic lupus erythematosus. J Rheumatol 1988;15:65–9. [3] Van Vugt RM, Derksen R, Kater L, Bijlsma JWJ. Deforming arthropathy or lupus and rhupus hands in systemic lupus erythematosus. Ann Rheum Dis 1998;57:540–4. [4] Spina MF, Beretta L, Masciocchi M, Scorza R. Clinical and radiological picture of Jaccoud arthropathy in the context of systemic sclerosis. Ann Rheum Dis 2008;67:728. [5] Bradley JD, Pinals RS. Jaccoud’s arthropathy in scleroderma. Clin Exp Rheumatol 1984;2:337–40. [6] Van den Hoogen F, Khanna D, Fransen J, Johnson SR, Baron M, Tyndall A, et al. 2013 classification criteria for systemic sclerosis: an American college of rheumatology/European league against rheumatism collaborative initiative. Ann Rheum Dis 2013;72:1747–55. [7] Jaccoud FS. Sur une forme de rhumatisme chronique. Lec¸ons de clinique médicale faites à l’Hôpital de la Charité. Paris: Delahaye; 1869. p. 598–616.
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Pour citer cet article : Najm A, et al. Trois observations de rhumatisme de Jaccoud au cours de la sclérodermie systémique. Rev Med Interne (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2016.01.007