Une méningite altérant la vue

Une méningite altérant la vue

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En pratique

Presse Med. 2010; 39: 617–619 ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Une méningite altérant la vue Jean-Benoît Arlet, Etienne de Lajudie, Carole Despujol, Brigitte Ranque, Jacques Pouchot

Service de médecine interne, hôpital européen Georges-Pompidou, faculté de médecine Paris-Descartes, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 75908 Paris cedex 15, France

Correspondance : Jean-Benoît Arlet, Service de médecine interne, hôpital européen GeorgesPompidou, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France. [email protected]

Meningitis and loss of visual acuity

Un homme de 58 ans, homosexuel, était hospitalisé pour syndrome méningé. Il avait comme antécédent une cataracte bilatérale post-corticothérapie locale (pommade ophtalmique prescrite lors de son service militaire), dont la chirurgie s’était compliquée d’opacités cornéennes nécessitant une greffe de cornée bilatérale en 1986 (cornée gauche regreffée en 2004) et d’un glaucome chronique. Il prenait pour seul traitement du dorzolamide en collyre. Il était allergique à la pénicilline (éruption cutanée). Une semaine avant l’hospitalisation, il avait des macules érythémateuses des avant-bras. Deux jours plus tard, apparaissaient des arthralgies inflammatoires symétriques des poignets puis des genoux et des chevilles, avec gonflements articulaires et impotence fonctionnelle croissante. Des céphalées brutales avec nausées et vomissements motivaient son hospitalisation en urgence. À son arrivée, le patient avait un syndrome méningé franc (raideur de nuque, céphalées) sans fièvre, ni confusion, associé à un purpura pétéchial discret des jambes. Il existait un gonflement inflammatoire des poignets et du dos des mains.

tome 39 > n85 > mai 2010 doi: 10.1016/j.lpm.2010.02.033

La C-reactive protein (CRP) était inférieure à 5 mg/L, l’hémogramme était normal, et la sérologie pour le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) négative. La ponction lombaire montrait : 3750 éléments blancs/mm3 (85 % polynucléaires neutrophiles), une hyperprotéinorachie à 5 g/L avec hypoglycorachie à 0,2 mmol/L. L’évolution était initialement favorable sous céfotaxime (200 mg/kg/jour en intraveineux) et dexaméthasone (40 mg/jour pendant 48 heures). Au troisième jour d’hospitalisation, le patient se plaignait d’une baisse de l’acuité visuelle non douloureuse de l’oeil droit, ainsi que d’une majoration importante des douleurs articulaires, l’empêchant de marcher et le confinant au lit. L’examen retrouvait une panuvéite unilatérale de l’oeil droit et des hémorragies rétiniennes, ainsi que de franches synovites des poignets, des tendons extenseurs des mains, des genoux et des chevilles. La ponction articulaire du genou montrait un liquide inflammatoire sans germe (10 000 éléments/mm3 dont 95 % de polynucléaires neutrophiles, absence de cristaux).

Quel est votre diagnostic ?

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Observation

J-B Arlet, E de Lajudie, C Despujol, B Ranque, J Pouchot

Endophtalmie et arthrites secondaires à une méningite à méningocoque En effet, l’examen direct du liquide céphalorachidien (LCR) mettait en évidence un cocci à Gram négatif et la culture du Neisseria meningitidis de sérotype C, sauvage. Aucune hémoculture n’avait été effectuée avant traitement antibiotique.

Évolution Le traitement par céfotaxime était poursuivi pour une durée totale de 15 jours, relayé par trois semaines de lévofloxacine (500 mg  2/jour per os). Le choix de la lévofloxacine était dicté par l’allergie à la pénicilline (alternative à l’amoxicilline en cas d’allergie selon les recommandations de la société de pathologie infectieuse [1]) et la nécessité d’une bonne diffusion articulaire et oculaire. Le traitement topique oculaire par collyres [corticoïdes, antibiotique (aminoside) et mydriatique (tropicamide)] était efficace sur les signes inflammatoires ophtalmologiques, mais ne permettait qu’une récupération minime de l’acuité visuelle (AV). La découverte à l’échographie mode B d’une bride vitréorétinienne à risque de décollement de rétine nécessitait, au 15e jour, une vitrectomie qui permettait une récupération totale de l’AV antérieure. Les arthrites s’amélioraient spontanément, permettant la reprise de la marche au bout de 7 jours. Des gonalgies persistantes deux mois après sa sortie, sans épanchement, motivaient l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens avec une efficacité partielle. Cinq mois après la méningite, des arthralgies mécaniques, modérées des genoux persistaient, entraînant une gêne fonctionnelle minime.

Commentaires

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Les manifestations extraméningées des infections à méningocoque sont rares. Les plus fréquentes sont les pneumopathies. Outre les atteintes articulaires et ophtalmologiques que nous allons détailler, les autres localisations peuvent être cardiaques (endocardite, myocardite, péricardite, troubles de la conduction), urogénitales et digestives (uréthrite, péritonite) ou cutanées [2]. Elles s’accompagnent ou non de méningite. De véritables arthrites compliquent 5 % des méningites à méningocoque chez l’enfant et 11 à 12 % chez l’adulte [3,4]. Des arthrites à méningocoque sans signes méningés sont plus rarement décrites. La cohorte prospective rapportée par Weisfelt et al., évaluant la fréquence des arthrites au cours des méningites bactériennes communautaires est la plus informative. Sur 696 méningites bactériennes, 48 arthrites (7 %) étaient recensées dont 32 (67 %) à méningocoque, et le reste à pneumocoque. L’atteinte articulaire survenait en moyenne 5 jours après le début de la méningite (extrêmes 2–12 jours), mais elle pouvait aussi précéder la méningite de quelques jours ou apparaître de façon concomitante. Une atteinte monoarticulaire était notée dans 60 % des cas (le genou dans 48 % des cas). La ponction articulaire mettait en évidence un liquide

inflammatoire, mais le germe n’était mis en évidence en culture que dans moins de 25 % des cas [3]. La négativité de la culture du liquide articulaire pouvait alors correspondre à une arthrite septique décapitée par une antibiothérapie débutée avant la ponction articulaire, mais aussi plaider en faveur d’un mécanisme purement immunologique [3,5]. Malheureusement nous n’avons pas réalisé, chez notre patient, d’étude par biologie moléculaire du liquide articulaire qui nous aurait permis de préciser le mécanisme de l’arthrite. Le sérogroupe W135 serait associé à une plus grande fréquence d’atteinte articulaire dans une étude française, mais l’existence même d’une corrélation entre sérogroupe du méningocoque et manifestations extraméningées reste débattue [6]. L’évolution de l’atteinte articulaire est le plus souvent excellente en quelques semaines, sans séquelles [3,4]. De très rares cas de destructions articulaires ont toutefois été rapportés [3]. La persistance d’arthralgies, généralement modérées, comme chez notre patient, peut cependant s’observer dans 16 % des cas [3]. Les manifestations ophtalmologiques que l’on peut observer au cours des infections à méningocoques, avec ou sans méningite, sont des kératites [7], des uvéites antérieures [8] ou des conjonctivites [9]. L’endophtalmie (infection oculaire se manifestant par une pan-uvéite douloureuse) est le plus souvent une complication de la chirurgie oculaire. L’endophtalmie endogène (due à une bactériémie) est beaucoup moins fréquente (2 à 15 % de l’ensemble des endophtalmies) [10,11]. Avant l’ère des antibiotiques, le méningocoque et le pneumocoque étaient les agents microbiens les plus fréquemment responsables d’endophtalmie endogène [12,13]. Cette atteinte pouvait compliquer alors 5 à 10 % des méningites à méningocoques [10,12]. Actuellement, les germes les plus souvent impliqués en Europe et Amérique du Nord sont des bactéries à Gram positif (Staphylococcus aureus, streptocoques du groupe B, pneumocoque, Listeria monocytogenes), tandis qu’en Asie du Sud-Est, ce sont majoritairement des bactéries à Gram négatif (klebsielles, Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa, méningocoque) [12,13]. Il existe très souvent un terrain favorisant (diabète, infection par le VIH, toxicomanie IV. . .), à l’inverse de l’endophtalmie à méningocoque qui survient généralement chez un sujet sain [12,14]. L’endophtalmie survient dans 75 % des cas dans un contexte de méningite à méningocoque avec signes systémiques (en moyenne, 6 à 7 jours après le début des signes) [12], mais a également été rapportée au cours de méningococcémie fébrile sans méningite, ni nécessairement autre atteinte systémique [11,12]. Des antécédents personnels ophtalmologiques, tels que ceux observés chez notre patient, ne sont pas des facteurs favorisants rapportés. La présentation clinique est généralement celle d’un oeil rouge et douloureux. L’examen opthtalmologique montre une uvéite antérieure avec ou sans tome 39 > n85 > mai 2010

hypopion et une atteinte postérieure choriorétinienne. Le diagnostic formel est établi par la mise en évidence par culture ou PCR du germe par une ponction de chambre antérieure [12,13,15]. Cependant, comme chez notre patient, le diagnostic microbactériologique est souvent présomptif et repose sur des prélèvements extraoculaires (hémocultures, ponction lombaire. . .). Il est alors difficile, comme pour l’atteinte articulaire, d’affirmer le caractère purement septique ou réactionnel inflammatoire de l’atteinte ophtalmologique. Le traitement d’urgence de l’endophtalmie repose avant tout sur une antibiothérapie intraveineuse adaptée au germe. Les céphalosporines de troisième génération ont une place de choix en raison de leur spectre d’action et de leur bonne diffusion locale [16]. Concernant les traitements locaux, l’administration intravitréenne d’antibiotiques et de corticoïdes est débattue et n’a pas fait la preuve de son efficacité en termes de pronostic visuel. En l’absence d’essais randomisés, elle n’est à envisager qu’au cas par cas [12,14,16]. Il n’y a aucune preuve d’efficacité d’un traitement local par collyre. En revanche, sur la base de quelques observations publiées, les patients traités par vitrectomie au décours pourraient bénéficier d’un meilleur pronostic visuel, avec un moindre recours à l’énucléation

[12]. Malheureusement, le délai avant diagnostic, très souvent long, explique en grande partie les mauvais résultats fonctionnels de cette affection : 41 % de baisse définitive d’acuité visuelle, 26 % de cécité, et 29 % d’énucléation [12]. La durée du traitement des méningites à méningocoque isolée est bien codifié (4 à 7 jours de céphalosporine de troisième génération, avec possibilité de relais par amoxicilline précoce si la CMI du germe est inférieure à 1 mg/L [12]). En cas d’atteinte articulaire ou oculaire, aucune étude n’a évalué de manière prospective et comparative la durée optimale de l’antibiothérapie. Certains auteurs préconisent des durées de traitement supérieures aux 4 à 7 jours habituels pour la méningite : 15 jours intraveineux et 4 semaines per os pour des arthrites associées [3], 7 jours intraveineux et 2 à 3 semaines per os pour les atteintes oculaires [16]. Les méningites à méningocoque peuvent s’accompagner d’atteintes extraméningées par diffusion hématogène du germe ou par réaction immunologique. Une atteinte articulaire ou oculaire doit faire discuter une prolongation de l’antibiothérapie.

En pratique

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Conflits d’intérêts : aucun.

Références

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