Aggravation paradoxale d’une tuberculose après arrêt des anti-TNFα : attention à la restauration immunitaire

Aggravation paradoxale d’une tuberculose après arrêt des anti-TNFα : attention à la restauration immunitaire

Revue du rhumatisme 78 (2011) 286–288 Fait clinique Aggravation paradoxale d’une tuberculose après arrêt des anti-TNF␣ : attention à la restauration...

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Revue du rhumatisme 78 (2011) 286–288

Fait clinique

Aggravation paradoxale d’une tuberculose après arrêt des anti-TNF␣ : attention à la restauration immunitaire夽 Claire Rivoisy a , Lucile Amrouche a , Guislaine Carcelain b , Daniel Séréni a , Anne Bourgarit a,∗,b a b

Service de médecine interne, hôpital Saint-Louis, AP–HP, université Paris-7, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75010 Paris, France Laboratoire d’immunologie cellulaire et tissulaire, hôpital Pitié-Salpêtrière, AP–HP, UPMC, Paris, France

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Accepté le 24 novembre 2010 Disponible sur Internet le 26 janvier 2011 Mots clés : Anti-TNF␣ Tuberculose Restauration immunitaire Aggravation paradoxale

r é s u m é L’aggravation paradoxale d’une tuberculose lors de la restauration immunitaire sous traitement antiviral chez les patients co-infectés par le VIH est connue sous le nom d’IRIS. Nous décrivons ici un cas d’aggravation paradoxale d’une tuberculose lors de l’arrêt des anti-TNF␣ contemporaine de la restauration d’une immunité spécifique anti-infectieuse. Cette observation permet d’attirer l’attention sur la possible aggravation des complications, ici tuberculose, après l’arrêt des anti-TNF␣ et pouvant nécessiter paradoxalement parfois la reprise de l’immunosuppression. © 2010 Société Franc¸aise de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction L’aggravation paradoxale ou réaction paradoxale (RP) de la tuberculose sous traitement est un événement clinique non rare connu depuis l’apparition des antituberculeux efficaces [1]. Il a été surtout décrit récemment lors de la restauration immunitaire sous traitement antiviral efficace chez les patients co-infectés par le virus de l’immunodéficience humaine le VIH1 [2]. Les biothérapies anti-inflammatoires comme les anti-TNF␣ sont responsables de réactivations de tuberculoses-latentes [3]. L’arrêt de cette immunodépression induite permet une reconstitution immunitaire. Nous rapportons un cas d’aggravation paradoxale de tuberculose à l’arrêt des anti-TNF␣. 2. Cas clinique Une patiente de 68 ans est adressée pour la prise en charge d’une fièvre et d’une altération de l’état général survenant un mois après le début du traitement d’une tuberculose disséminée sous anti-TNF␣. Ses principaux antécédents comprennent une colite inflammatoire diagnostiquée en 1999 et traitée de 2002 à 2005 par purinéthol, et une suspicion de maladie de Horton évoluant depuis janvier 2005 et traitée par corticoïdes au long cours.

夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais sa référence anglaise dans le même volume de Joint Bone Spine (doi:10.1016/j.jbspin.2011.01.003). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Bourgarit).

Devant la réaggravation du syndrome inflammatoire biologique, la réapparition des céphalées, et les nombreux effets secondaires de la corticothérapie, après élimination d’une tuberculose active (radiographie de thorax et IDR négatives) un traitement par adalimumab à visée d’épargne cortisonique est débuté en janvier 2007. En mars 2007, l’exploration d’une dyspnée fébrile associée à des arthralgies, des douleurs abdominales, un syndrome inflammatoire (CRP 157 mg/l) et de multiples micronodules spléniques et hépatiques évocateurs de microabcès, avec granulomes tuberculoïdes sans nécrose caséeuse à la ponction biopsie hépatique fait porter le diagnostic de tuberculose disséminée à Mycobacterium tuberculosis multisensible confirmé sur les cultures du liquide broncho-alvéolaire. L’IDR est alors négative. L’interrogatoire retrouve alors la notion d’une primo-infection dans l’enfance non traitée, non mentionnée lors du bilan préthérapeutique avant anti-TNF␣. Les injections d’adalimumab sont suspendues et une quadrithérapie antituberculeuse est débutée le 28 mars, associée à une corticothérapie orale à 20 mg/j pour contrôler les pathologies inflammatoires sous-jacentes. Après cinq jours de traitement, on note une disparition de la fièvre, de l’hépatalgie et une diminution du syndrome inflammatoire biologique. Un mois plus tard, la patiente est réhospitalisée pour réapparition d’un tableau clinique associant fièvre, arthralgies diffuses, nausées, anorexie. L’examen clinique montre de volumineuses adénopathies inguinales bilatérales douloureuses, et une sensibilité de l’hypochondre droit. Biologiquement, il existe une cytolyse hépatique (ASAT à 15N, ALAT à 4N), un syndrome inflammatoire avec une CRP à 90 mg/l. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien retrouve des adénopathies d’allure nécrotiques, ainsi qu’une caverne pulmonaire basithoracique n’existant pas auparavant (Fig. 1A, B). Les examens bactériologiques sont négatifs au direct et en culture.

1169-8330/$ – see front matter © 2010 Société Franc¸aise de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2010.11.011

no 9

1 mois Disséminée Adalimumab 3 Crohn et Horton 68 Cas rapporté

13 jours Pulmonaire Adalimumab 8 PR 29

4 jours Disséminée Infliximab 5 PR 70

Szerszen et al., 2009 [12] Wallis et al., 2009 [13] no 8

no 7

PR : polyarthrite rhumatoïde ; SPA : spondylarthrite ankylosante ; tuberculose pulmonaire : atteinte plèvre et parenchyme pulmonaire ; tuberculose disséminée : tuberculose pulmonaire et extrapulmoniare ; AINS : antiinflamamtoires non stéroidiens ; délai IRIS : délai après arrêt anti-TNF.

Guérison

Corticoïdes, adalimumab Aucun Guérison

Corticoïdes (60 mg/j) NR

Excision chirurgicale de la masse ganglionnaire Guérison

Fistulisation cutanée d’une adénopathie, apparition d’adénopathies dans différents territoires Réapparition épanchement pleural, prostration, confusion Détresse respiratoire sur bilatéralisation de l’atteinte pulmonaire Apparition caverne pulmonaire et d’adénopathies inguinales nécrotiques 3 mois Disséminée Infliximab 2 Crohn 38

Aucun Guérison 3 mois Pulmonaire Infliximab 12 PR 73

Belknap et al., 2005 [11] Youn et al., 2009 [10]

n 5

o

n 4

o

n 3

o

o

n 2

no 6

21

Crohn

1

Infliximab

Extrapulmonaire

4 mois

Ulcère périanal persistant, augmentation de taille des adénopathies inguinales Aggravation de l’infiltrat pulmonaire

Guérison

Corticoïdes (1 mg/kg/ par jour) AINS Guérison Apparition d’une caverne pulmonaire 9 semaines Pulmonaire Infliximab 2 SPA

2 mois Disséminée Infliximab 24

5 semaines Disséminée Infliximab 2 PR

PR 48

56

Guérison

Excision chirurgicale de la masse ganglionnaire Aucun Guérison

Aucun Guérison

Apparition miliaire pulmonaire et adénopathies médiastinales Augmentation de la taille des adénopathies Augmentation taille des adénopathies 4 mois Pulmonaire Infliximab 12

Arend et al., 2007 [8] Garcia Vidal et al., 2005 [9] Garcia Vidal et al., 2005 [9] Garcia Vidal et al., 2005 [9] Garcia Vidal et al., 2005 [9] no 1

49

Pathologie sous-jacente Réf

Âge (an)

287

NR

Nous rapportons ici un cas d’aggravation paradoxale de tuberculose survenue sous anti-TNF␣, cette aggravation étant paradoxalement due à l’arrêt de l’immunosuppression induite par les biothérapies. La problématique de ce syndrome réside dans la difficulté diagnostique nécessitant l’élimination des autres causes d’inflammation sous traitement antituberculeux : résistance, échappement, intolérance médicamenteuse [4], ce d’autant que le traitement consiste en la poursuite de la quadrithérapie antituberculeuse. L’aggravation paradoxale de la tuberculose sous traitement antituberculeux est un phénomène particulièrement décrit chez les patients co-infectés par le VIH lors de la restauration immunitaire sous antirétroviraux : c’est l’Immune Reconstitution Inflammatory Syndrome (IRIS). Ce syndrome est défini par l’aggravation ou la réapparition de manifestations inflammatoires lors de la restauration immunitaire sous HAART et fait l’objet de critères diagnostiques précis [2]. Deux formes, paradoxale et démasquante sont distinguées selon que la pathologie sous-jacente est contrôlée par un traitement spécifique ou révélée par ces symptômes [2]. La physiopathologie de ces syndromes, explorée dans le contexte de la co-infection par le VIH, semble être le résultat d’une reconstitution immunitaire efficace contre l’agent pathogène sous-jacent. Cette reconstitution de l’immunité est alors responsable d’une réaction inflammatoire non contrôlée dépassant sa cible [5] faisant intervenir l’immunité adaptative spécifique antimycobactérienne (réapparition d’une IDR à la tuberculine positive) et vraisemblablement l’immunité innée. Dans le cadre de

Tableau 1 Cas rapportés d’aggravation paradoxale de tuberculoses sous anti-TNF␣.

3. Discussion

Durée anti-TNF (mois)

Anti-TNF

Forme tuberculose

L’exploration par ELISpot-IFN-␥ de la réponse mémoire antimycobactérienne in vitro montre la réapparition d’une forte réponse antituberculinique évocatrice d’une restauration de l’immunité antimycobactérienne (Fig. 1C). Le diagnostic de RP par syndrome de restauration immunitaire est retenu. Le traitement n’est pas modifié en dehors de l’arrêt du pyrazinamide devant la cytolyse hépatique. On constate l’amélioration clinique rapide de la patiente avec apyrexie et disparition du syndrome inflammatoire biologique.

Crohn

Délai IRIS

Fig. 1. A et B. TDM thoracique au diagnostic de tuberculose (A) et au moment du syndrome d’aggravation paradoxale (B). C. Quantification par ELISpot IFN-␥ de la réponse antimycobactérienne (PPD, tuberculine) et antituberculeuse (ESAT-6 et CFP-10).

24

Manifestations IRIS

Évolution

Traitement spécifique de l’IRIS

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l’immunodépression induite par les anti-TNF␣, aucune donnée physiopathologique n’existe à ce jour. Cependant, la réapparition dans notre cas d’une intense réponse cellulaire aux antigènes mycobactériens mesurée par ELISpot IFN-␥ chez cette patiente précédemment anergique à la tuberculine à l’intradermo-réaction, est aussi évocatrice de la reconstitution d’une réponse immunitaire Th1 anti-infectieuse. De même, l’apparition d’une caverne sur le scanner est évocatrice de la réapparition du granulome lésion élémentaire de l‘immunité antimycobactérienne. Il existe donc vraisemblablement une restauration d’une réponse immunitaire antituberculeuse fonctionnelle comme décrite dans l’infection par le VIH. La fréquence de ces RP est de 8 à 43 % [2] sous-antirétroviraux, et de 5 à 30 % sous-antituberculeux seuls en cas de tuberculose disséminée [6], elle est inconnue sous biothérapies. Les facteurs de risque reconnus de RP sont la dissémination de l’infection tuberculeuse [2], la lymphopénie initiale ou les CD4 < 50 par millimètre cube, et leur augmentation sous traitements ou le contrôle de l’infection virale [2,6]. Le délai moyen d’apparition de ces syndromes est de 56 jours après l’introduction du traitement antimycobactérien seul [6], raccourci à deux semaines sous antirétroviraux [2]. La mortalité globale des RP est évaluée à 3 % [7], la gravité étant liée à sa localisation : œdème cérébral, compression des voies aériennes supérieures, détresse respiratoire. Toutes ces caractéristiques restent inconnues dans le contexte des aggravations paradoxales de tuberculoses sous anti-TNF␣. Dans la littérature neuf autres cas de RP de tuberculose après l’arrêt des anti-TNF␣ ont été rapportés depuis 1999 [8–13], ils sont résumés dans le Tableau 1. L’aggravation paradoxale apparaît en médiane après 12 semaines (cinq à 16), pour les patients traités par de l’infliximab, correspondant à la clairance physiologique de cet anti-TNF␣ et en moyenne 21 jours après l’arrêt de l’adalimumab, dont la clairance est plus courte. Ces aggravations se sont manifestées par l’apparition de nouvelles lésions dans les formes pulmonaires isolées, par l’augmentation de taille des adénopathies connues ou l’apparition de nouvelles dans les formes plus étendues. Comme dans notre cas, le Quantiféron® était positif au moment de la RP chez un patient. L’évolution a été favorable pour tous les patients avec un recours aux corticoïdes pour trois patients et à des anti-inflammatoires non stéroïdiens pour un patient. Dans un cas, la menace du pronostic vital avec le passage du patient sous assistance respiratoire, a même justifié la reprise de l’anti-TNF␣ avec succès. La réintroduction des anti TNF, en cas d’atteinte sévère pourrait en effet être justifiée [13] par leur puissant effet antigranulome permettant d’ailleurs paradoxalement une plus grande efficacité des traitements antibiotiques [14].

4. Conclusion La levée du déficit immunitaire induit par les biothérapies lors de l’arrêt de celles-ci pour effets secondaires peut être responsable de syndromes inflammatoires aigus avec manifestations cliniques paradoxales en rapport avec la reconstitution de l’immunité antiinfectieuse. Ces phénomènes bien décrits au cours de l’infection à VIH ne doivent pas être méconnus et ne pas remettre en cause la poursuite du traitement anti-infectieux. Conflit d’intérêt Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt. Références [1] Benda R, David M, Franchel F, et al. Abcès froids cérébraux multiples au cours d’une tuberculose traitée par antibiotiques. Preuve de leur origine tuberculeuse apportée sur les prélèvements chirurgicaux. Bull Mem Soc Med Hop Paris 1954;70:802–6. [2] Meintjes G, Lawn SD, Scano F, et al. Tuberculosis-associated immune reconstitution inflammatory syndrome: case deficitions for use in ressource-limited settings. Lancet Infect Dis 2008;8:516–23. [3] Keane J, Gershon S, Wise RP, et al. Tuberculosis assiciated with infliximab, a tumor necrosis factor (-neutralizing agent. N Engl J Med 2001;345:1098–104. [4] Bray MG, Poulain C, Dougados M, et al. Frequency and tolerance of antituberculosis treatment according to national guidelines for prevention of risk of tuberculosis due to tumor necrosis factor blocker treatment. Joint Bone Spine 2010;77:135–41. [5] Bourgarit A, Carcelain G, Martinez V, et al. Explosion of tuberculin-specific Th1responses induces immune restoration syndrome in tuberculosis and HIV coinfected patients. AIDS 2006;20:F1–7. [6] Cheng VCC, Yam WC, Woo PCY, et al. Risk factors for developpement of paradoxical response during antituberculous therapy in HIV-negative patients. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2003;22:597–602. [7] Muller M, Wandel S, Colebunders R, et al. Immune reconstitution inflammatory syndrome in patients starting antiretroviral therapy for HIV infection: a systematic review and meta-analysis. Lancet Infect Dis 2010;10:251–61. [8] Arend SM, Leyten EML, Franken WPJ, et al. A patient with de novo tuberculosis during anti-Tumor Necrozing Factor-( Therapy illustrating diagnostic pitfalls and paradoxical response to treatment. Clinical infectious diseases 2007;45:1470–5. [9] Garcia Vidal C, Rodriguez Fernandez S, Martinez Lacasa J, et al. Paradoxical response to antituberculous therapy in infliximab-treated patients with disseminated tuberculosis. Clinical infectious diseases 2005;40:756–9. [10] Youn YK, Kim JY, Sohn JW, et al. Paradoxical Response during antituberculous therapy in a patient discontinuing infliximab: a case report. J Med Case reports 2009;3:66–73. [11] Belknap R, Reves R, Burman W. Immune reconstitution to mycobacterium tuberculosis after discontinuing infliximab. Correspondence. Int J Tuberc Lung dis 2005;9:1057–60. [12] Szerszen A, Gupta S, Seminara D, et al. Peritoneal Tuberculosis complicated by immune reconstitution inflammatory syndrome in a patient treated with infliximab? J Clin Rheumatol 2009;15:417–8. [13] Wallis RS, van Vuuren C, Potgieter S. Adalimumb treatment of life-threatening tuberculosis. Clin Infect Dis 2009;48:1429–32. [14] Wallis RS. Reconsidering adjuvant immunotherapy for tuberculosis. Clin Infect Dis 2005;41:201–8.