© Masson, Paris, 2004.
Gastroenterol Clin Biol 2004;28:307-318
Carcinomes bronchopulmonaires métastasés à l’intestin grêle
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es causes les plus fréquentes des métastases de l’intestin grêle sont d’origine digestive, en particulier colique, ou d’origine gynécologique (cancer du col de l’utérus ou de l’ovaire). Rarement, ces métastases ont une origine extra abdominale [1]. Nous rapportons ici deux cas de métastases de l’intestin grêle de carcinomes broncho-pulmonaires avec une présentation clinique différente. l’induration de la première anse jéjunale était ensuite réalisée. Les suites opératoires étaient sans particularité. Une chimiothérapie par cisplatine et vinorelbine était débutée au 9e jour postopératoire. L’examen anatomo-pathologique des pièces opératoires concluait à l’existence de deux métastases intestinales d’un adénocarcinome peu différencié à cellules indépendantes en bague à chaton, évoquant l’adénocarcinome bronchique déjà connu. L’étude immunohistochimique avec l’anticorps antiTTF1 confirmait l’origine pulmonaire de ces métastases (figure 2). Sur les 10 ganglions prélevés lors du curage, 5 étaient le siège de métastases par ce même adénocarcinome. Le malade décédait 7 mois après l’intervention.
Observation 1 Un homme de 76 ans était hospitalisé pour prise en charge d’un adénocarcinome pulmonaire lobaire inférieur gauche avec métastases cérébrales. L’étude immunohistochimique de cet adénocarcinome révélait un marquage intense des noyaux par l’anticorps anti-TTF1. Cet anticorps est hautement spécifique des adénocarcinomes primitifs pulmonaires [2]. Le traitement consistait en une corticothérapie par méthylprednisolone (192 mg par jour). Après 48 heures d’hospitalisation, le malade éprouvait une douleur abdominale généralisée, d’apparition brutale, sans fièvre (température de 37,4 °C). A l’examen clinique, on notait une sensibilité diffuse abdominale, sans défense ni contracture. La radiographie de l’abdomen sans préparation mettait en évidence un pneumopéritoine. La seule anomalie du bilan biologique était une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles à 25 G/L. Ce tableau évocateur d’une perforation digestive conduisait à réaliser une laparotomie par voie médiane en urgence. L’exploration de la cavité abdominale retrouvait une perforation à l’emporte pièce d’une anse jéjunale à 1,50 m de l’angle de Treitz (figure 1) et une induration d’une anse jéjunale à 30 cm de l’angle de Treitz. Ces deux lésions étaient associées à des adénopathies mésentériques. Une résection segmentaire de l’anse perforée avec rétablissement immédiat de la continuité et curage ganglionnaire était réalisée. Une résection cunéiforme de
Observation 2 Un homme de 77 ans était hospitalisé pour la prise en charge d’une dyspnée d’apparition brutale. On notait dans les antécédents du malade un diabète non insulino-dépendant, une péritonite appendiculaire et une consommation tabagique de 60 paquets/année. Le cliché thoracique de face montrait un épanchement pleural gauche. Celui-ci (850 mL) était ponctionné et l’analyse cytobactériologique mettait en évidence un liquide de type exsudatif (45 g/L de protides) avec des cellules initialement considérées comme normales (lymphocytes). Devant la récidive
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Fig. 1 − Immunomarquage positif anti-TTF1 d’une métastase de l’intestin grêle. Positive anti-TTF1 immunostaining of small bowel metastasis. Fig. 2 − Perforation à l’emporte-pièce d’une anse jéjunale. Frank perforation of a small bowel loop.
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de l’épanchement, une deuxième ponction évacuatrice était réalisée, mettant en évidence un liquide exsudatif (48 g/L de protides) et quelques cellules suspectes de malignité, dont la nature ne pouvait être précisée. Au cours de l’hospitalisation, le malade développait un syndrome occlusif avec arrêt des matières et des gaz et vomissements post-prandiaux immédiats. L’examen clinique montrait un abdomen très distendu, tympanique, non douloureux et sans masse palpable. La radiographie de l’abdomen sans préparation mettait en évidence des niveaux hydroaériques de l’intestin grêle. Une tomodensitométrie abdominopelvienne montrait une sténose de la jonction iléo-caecale associée à des zones de sténoses multifocales de l’iléon terminal. Une coloscopie complète permettait de visualiser une volumineuse tumeur de la valvule de Bauhin, infranchissable. Les biopsies réalisées concluaient à la présence de cellules malignes de type épidermoïde. La recherche d’une tumeur primitive était réalisée. L’endoscopie œso-gastro-duodénale était normale. L’endoscopie bronchique montrait un aspect inflammatoire et infiltré de la muqueuse d’une bronche du lobe inférieur du poumon gauche. Les biopsies confirmaient l’existence d’un carcinome épidermoïde, devant la présence de cellules dont le cytoplasme était moyennement abondant, d’aspect faiblement éosinophile, avec des images de cadres clairs et de ponts d’unions et l’existence de globes cornés. L’examen de la cavité péritonéale lors d’une laparotomie par voie médiane retrouvait deux sténoses tumorales, l’une située au niveau de la valvule de Bauhin, l’autre de l’iléon terminal à 10 cm de la valvule. Il n’existait pas d’autres lésions secondaires, notamment hépatiques, ni de carcinose péritonéale. Le traitement consistait en une hémicolectomie droite élargie à l’iléon terminal avec curage mésentérique et rétablissement immédiat de la continuité. L’examen anatomo-pathologique de la pièce opératoire retrouvait un carcinome épidermoïde différencié et mature de l’iléon et du cæcum détruisant toute l’épaisseur de la paroi depuis la muqueuse jusqu’à la sous-séreuse. L’aspect était très évocateur de métastases de la tumeur bronchique. Les 14 ganglions prélevés étaient tous indemnes de métastases. Les suites opératoires étaient simples en dehors d’une récidive de l’épanchement pleural nécessitant un drainage pendant 3 jours. Le traitement du carcinome bronchique consistait en une chimiothérapie palliative associant cisplatine et vinorelbine. Le malade décédait 17 mois après l’intervention.
cas d’occlusion, comme dans notre deuxième observation, ont été décrits. Encore plus rarement ont été rapportés des cas d’hémorragie, qu’elle soit haute (hématémèse) ou basse (méléna). Dans une revue de la littérature de 1997, Cortès et al. [6] ont répertorié 23 cas de métastases de l’intestin grêle symptomatiques, parmi lesquelles on notait 3 (13 %) hémorragies, 4 (17,4 %) obstructions et 16 (69,6 %) perforations. Le type histologique de la tumeur primitive varie selon les séries : pour MacNeill et al. [3], la plus grande fréquence est rapportée pour des carcinomes épidermoïdes. En revanche, pour Antler et al. [7], le type histologique le plus fréquemment noté est l’adénocarcinome à grandes cellules (20 % des métastases) et le cancer à petites cellules (23 % des métastases). Ces deux séries, qui sont les plus importantes de la littérature, sont des séries autopsiques, et la plupart des métastases de l’intestin grêle étaient asymptomatiques. Les différents cas cliniques rapportés dans la littérature retrouvent tous les types histologiques de tumeur bronchique comme dans nos deux cas cliniques. La distribution de la localisation des métastases est aussi très variée au niveau de l’intestin grêle, depuis la première anse jéjunale, comme dans notre premier cas clinique, jusqu’à la dernière anse iléale, comme dans notre deuxième cas clinique. Il existe dans la littérature une prédominance pour l’atteinte jéjunale [4]. Le mécanisme physiopathologique de ces métastases est inconnu : la voie lymphatique semble peu probable pour Mosier et al. [8], car le système lymphatique abdominal est une voie à sens unique qui draine depuis l’abdomen jusqu’au thorax, via le canal thoracique. La voie hématogène semble plus probable. Dix pour cent des malades ont une dissémination intra-cardiaque gauche, asymptomatique, décelable uniquement sur l’échographie systématique [9]. L’intestin grêle serait un site métastatique au même titre que de nombreux organes pour lesquels des métastases bronchiques ont été décrites et pour lesquels la voie hématogène représente la seule explication. Il est difficile d’établir un schéma thérapeutique, compte tenu du faible nombre de cas répertoriés dans la littérature et de l’absence de série importante. Cependant, tous les auteurs s’accordent à réaliser un geste chirurgical a minima (résectionanastomose) devant des métastases de l’intestin grêle symptomatiques. En revanche, les métastases grêles ne sont pas recherchées systématiquement, en raison de leur faible risque de devenir symptomatiques et de l’absence de moyen diagnostique sensible et spécifique. De plus, une résection chirurgicale n’améliore pas le pronostic.
Discussion
En conclusion, les métastases à l’intestin grêle des cancers broncho-pulmonaires sont plus fréquentes que leur expression clinique ne le laisse supposer. Elles peuvent survenir, quel que soit le type histologique de la tumeur primitive, et à n’importe quel moment de l’évolution de la tumeur. Le traitement est dans la plupart des cas palliatif, consistant en une résection-anastomose. Le pronostic est mauvais, avec une survie moyenne de quelques mois.
MacNeill [3] et al. ont réalisé en 1987 une étude autopsique afin de déterminer l’incidence des métastases de l’intestin grêle occultes et symptomatiques. De 1974 à 1984, 431 malades ayant un cancer du poumon ont été autopsiés : 46 (10,6 %) avaient une ou plusieurs métastases de l’intestin grêle. Pendant la même période, 6 malades sur 6 006 (0,1 %) admis pour cancer broncho-pulmonaire avaient une métastase de l’intestin grêle symptomatique. En 1999, Berger et al. [4] ont revu 1 544 malades hospitalisés pour cancer bronchopulmonaire entre 1984 et 1996. Six (0,5 %) avaient des métastases de l’intestin grêle symptomatiques. Il n’existe pas de modifications d’incidence entre les deux périodes. Il apparaît que, même si les métastases à l’intestin grêle des cancers pulmonaires ne sont pas rares, elles sont rarement symptomatiques. Le premier cas clinique d’une métastase symptomatique du grêle d’un carcinome bronchique a été rapporté en 1961 [5]. Depuis, une trentaine de cas ont été rapportés dans la littérature. Il s’agit principalement de perforations. Si certaines perforations ont été décrites comme secondaires à la chimiothérapie, on remarque que dans la plupart des cas rapportés, les perforations survenaient en dehors de tout traitement, voire précédaient la découverte du carcinome broncho-pulmonaire. Quelques rares
E. LERMITE (1), P. PESSAUX (1), R. DU PLESSIS (1), O. BRÉHANT (1), S. HENNEKINNE-MUCCI (1), S. MICHALAK-PROVOST (2), J.P. ARNAUD (1) (1) Service de chirurgie viscérale, (2) Service d’anatomopathologie, CHU Angers, 4, rue Larrey, 49100 Angers.
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Maladie de Still et pseudo-obstruction intestinale
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ne pseudo-obstruction intestinale (POI) peut être secondaire à une connectivite à type de lupus systémique ou de sclérodermie [1] mais n’a, à notre connaissance, pas été décrite au cours de la maladie de Still. Nous rapportons le premier cas d’une POI associée à une poussée inaugurale de maladie de Still de l’adulte. tion, apparaissaient des douleurs abdominales diffuses avec météorisme et un arrêt des matières et des gaz. Les clichés de l’abdomen sans préparation montraient des anses grêles distendues atteignant 7 cm de largeur (figure 1). La tomodensitométrie abdominale ne montrait pas de collection intra péritonéale, de perforation ou de tumeur de l’intestin grêle. Des adénopathies coelio-mésentériques et inter-aortico-caves centimétriques, ne comprimant pas le grêle, habituelles au cours d’une maladie de Still, étaient constatées. Le pancréas était de densité et de dimensions normales. Le traitement consistait en un bolus de 80 mg de méthylprednisolone pendant 5 jours, suivi d’un traitement per os à la dose de 1 mg/kg/jour de prednisone. L’évolution était très rapidement favorable sur les plans systémique et digestif. L’introduction du méthotrexate (15 mg/semaine par voie intra-musculaire) permettait de maintenir la rémission. Après trois mois de recul, le malade était asymptomatique.
Observation Un homme de 30 ans sans antécédents particuliers était hospitalisé pour une altération de l’état général, une fièvre à 39 °C, des douleurs pharyngées, une polyarthralgie des petites et grosses articulations accompagnée de myalgies, évoluant depuis une semaine. Il n’y avait pas d’éruption cutanée, de douleurs abdominales, ni de troubles du transit. L’examen physique mettait en évidence des signes d’arthrite axiale et périphérique, des adénopathies inguinales et une diminution du murmure vésiculaire aux deux bases pulmonaires. Il n’était pas constaté d’anomalies cardiaques, neurologiques ni oculaires. Les examens biologiques montraient un taux sérique de protéine C réactive à 500 mg/L, une hyperleucocytose à 22 G/L dont 16 G/L de polynucléaires neutrophiles, une activité sérique de l’aspartate-aminotransférase et de l’alanine-aminotransférase à respectivement 3 et 2 fois la limite supérieure de la normale (N), des phosphatases alcalines et des gamma-GT à 1,5 N, une albuminémie à 29 g/L, une bilirubinémie totale normale, une créatininémie à 102 μmol/L, une kaliémie à 3,8 mmol/L, une natrémie et une magnésémie normales, une protéinurie des 24 heures à 1,1 g/L, une ferritinémie à 1 300 μg/L avec une ferritine glycosylée inférieure à 5 % (normale : 50-80 % de la ferritine totale). Les concentrations plasmatiques des immunoglobulines étaient normales. Il n’était pas constaté de dysglobulinémie monoclonale sérique. La recherche d’anticorps antinucléaires, du facteur rhumatoïde, et des anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA) était négative. Les sérologies virales (rubéole, VIH, HTLV 1 et 2, parvovirus B19, EBV, VHB et VHC), l’examen cytobactériologique des urines ainsi que les hémocultures étaient négatifs. Le liquide de ponction articulaire était stérile. La possibilité d’une poussée aiguë d’hémopathie maligne était éliminée sur des arguments cliniques et biologiques, de même que les diagnostics de lupus systémique, de périartérite noueuse et polyarthrite rhumatoïde. Un traitement par ciprofloxacine, ceftriaxone et vancomycine pendant 72 heures n’entraînait pas d’amélioration des symptômes. Le diagnostic de poussée de maladie de Still de l’adulte était retenu. Au 4e jour d’hospitalisa-
Fig. 1 − Radiographie de l’abdomen sans préparation : distension importante des anses grêles. Abdominal plain X-ray: considerable gaseous distension of small-bowel loops.
ABRÉVIATION : POI : pseudo-obstruction intestinale
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