La Revue de médecine interne 32 (2011) e29–e31
Cas clinique
Déficit homozygote en antithrombine de type II HBS (99Leu-Phe) : une cause rare de thromboses artérielles récidivantes Antithrombin homozygous type II HBS deficiency (99Leu-Phe) associated with recurrent arterial thrombosis C. Durant a,∗ , C. Ternisien b , J. Connault a , M. Saint-Jean a , B. Planchon a a b
Service de médecine interne, CHU Hôtel-Dieu, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France Service d’hématobiologie, CHU Hôtel-Dieu, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Disponible sur Internet le 16 juin 2010 Mots clés : Thrombophilie Antithrombine Thromboses artérielles
r é s u m é L’antithrombine (AT) appartient à la famille des inhibiteurs de sérine protéase. Son déficit constitutionnel est fortement thrombogène, notamment sur le plan veineux. Le déficit peut être soit quantitatif (type I) soit qualitatif (type II) et différentes mutations sont désormais décrites. Le déficit de type II heparin binding site (HBS) correspond à une anomalie de liaison de l’AT à l’héparine. Ce déficit, à l’état homozygote, est souvent lié à des manifestations thromboemboliques veineuses récidivantes. De très rares cas de thromboses artérielles récidivantes sont décrits, principalement chez des enfants ou adultes jeunes. Nous rapportons l’observation d’une jeune patiente présentant des thromboses artérielles récurrentes dans le cadre d’un déficit de type II de type HBS, avec présence de la mutation Leu99Phe à l’état homozygote déjà rapportée dans la littérature. Cette observation illustre l’indication du bilan biologique de thrombophilie chez des patients jeunes, présentant des thromboses artérielles inexpliquées. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Thrombophilia Antithrombin Arterial thrombosis
Antithrombin (AT) is a natural anticoagulant and serine protease inhibitor. Hereditary AT deficiencies are uncommon and are associated with a higher risk of venous thrombo-embolism (VTE) compared to other thrombophilias. They are either quantitative (type I) or qualitative (type II) and various mutations have been reported. The II HBS deficiency is caused by a defect in the heparin-binding region (HBS) of AT. This homozygous deficiency increases the risk of VTE. The association with arterial thrombosis is weak but a few cases have been reported. We report a 20-year-old female with recurring arterial thrombosis associated with an AT type II HBS deficiency, due to a homozygous mutation Leu99Phe. In young patients, with recurrent and unexplained arterial thrombosis, a biologic thrombophilia has to be comprehensively searched. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction
2. Observation
Nous rapportons une observation de thromboses artérielles récidivantes chez une jeune adulte présentant un déficit en antithrombine (AT) de type homozygote HBS secondaire à une mutation (Leu99Phe), associé à une hétérozygotie pour la mutation G20 210A du gène de la prothrombine.
Une patiente de 20 ans, d’origine roumaine, se présentait aux Urgences pour ischémie de la main gauche. Elle avait pour antécédents une hémiparésie du post-partum en 2006 non explorée et un accident vasculaire cérébral ischémique en 2007, également survenu en post-partum avec une suspicion de foramen ovale perméable (FOP) sur une échographie trans-thoracique. L’échoDoppler veineux ne retrouvait pas de thrombose veineuse profonde des membres inférieurs. Le bilan de thrombophilie objectivait une diminution de l’activité AT à 28 % (normale : 80–120 %) associée
∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail :
[email protected],
[email protected] (C. Durant).
0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.08.023
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à une mutation hétérozygote 20 210A du gène de la prothrombine. On ne notait ni diabète, ni hypertension artérielle, ni surpoids, ni dyslipidémie. Elle n’avait pas de tabagisme, et n’avait aucune consommation de toxiques. Les antécédents familiaux n’étaient pas connus par la patiente, et il existait une notion de consanguinité familiale. Comme l’anticoagulation avait été refusée par la patiente, elle était sortie sous antiagrégants plaquettaires. La patiente était initialement perdue de vue. Elle consultait en urgence plusieurs mois plus tard pour une ischémie aiguë brutale de la main gauche isolée sans déficit neurologique, survenue après avoir arrêté tous ses traitements. Le pan-Doppler retrouvait une thrombose de l’artère humérale gauche, de l’artère tibiale antérieure gauche asymptomatique, et l’absence de séquelle de thrombose veineuse. Elle n’avait pas de trouble du rythme, aucun argument pour une endocardite, le FOP était éliminé par une échographie transœsophagienne avec test aux bulles. Elle n’avait aucun critère de maladie de Behc¸et. Le bilan de thrombophilie retrouvait un déficit qualitatif en AT (type II) caractérisé par une discordance entre l’AT mesurée par son activité fonctionnelle (AT ac = 30 %) et par méthode antigénique (AT ag = 69 %). L’AT mesurée par son activité progressive était normale. Un déficit qualitatif de l’AT probablement lié à une anomalie du site de fixation à l’héparine (type II Heparin Binding Site) était suspecté. L’étude génétique (Dr M. Alhenc Gelas, HEGP, Paris) confirmait une mutation d’une leucine en position 99 en phénylalanine à l’état homozygote, déjà rapportée dans la Database [1] pour induire sur l’AT une anomalie du site de fixation à l’héparine. Une anticoagulation par héparine de bas poids moléculaire était initiée, sous couvert de concentrés d’AT (ACLOTINE® 40 UI/kg) afin de maintenir le taux plasmatique d’AT au dessus de 80 %. Un relais précoce par warfarine était débuté (j2), pour une anticoagulation au long cours.
3. Discussion L’AT appartient à la famille des inhibiteurs de sérine protéase ou serpine et inhibe tous les facteurs activés de coagulation, principalement le facteur Xa et la thrombine. Chez les patients ayant eu un accident thromboembolique, la fréquence du déficit est comprise entre 1 et 2 % [2]. Dans la population générale, la prévalence du déficit est comprise entre 1/2000 et 1/5000. Les déficits sont de type quantitatif (type I) ou qualitatifs (type II). Les déficits qualitatifs sont essentiellement caractérisés soit par une anomalie de liaison de l’AT à la thrombine (reactive site [RS]) soit par une anomalie de liaison à l’héparine (Heparin binding site [HBS]). À l’inverse des déficits hétérozygotes de type quantitatif ou qualitatif RS, le risque thrombotique associé au déficit de type II HBS hétérozygote est faible voire nul. En revanche, les déficits HBS homozygotes sont associés à un risque thrombotique élevé [3]. L’expression clinique des déficits en AT comporte essentiellement des accidents veineux [4]. Toutefois, une prévalence élevée d’accidents thrombotiques artériels est rapportée dans la littérature avec les déficits homozygotes de type HBS [4]. Ces accidents artériels surviennent principalement chez des enfants ou adultes jeunes. La mutation Leu99Phe de l’AT a été initialement rapportée dans les pays de l’Est de l’Europe. Le dépistage intrafamilial doit être secondairement réalisé. Cette observation pose également le problème de l’indication du bilan biologique de thrombophilie (constitutionnelle ou acquise) au cours des thromboses artérielles. En effet, chez le sujet jeune présentant des manifestations artérielles d’origine thrombotique, récidivantes, sans étiologie embolique ou traumatique évidente, une thrombophilie doit être recherchée [5,6]. Devant ces thromboses artérielles, les antécédents familiaux thrombotiques artériels et veineux doivent systématiquement être colligés.
Plusieurs études relatent des déficits en inhibiteur physiologique de la coagulation avec une fréquence allant de 8 à 45 % dans des populations jeunes présentant une ischémie de membre, avec une forte représentation des déficits en protéines C et S [5,6], et peu de déficit en AT. Récemment, une étude de cohorte retrouvait une augmentation du risque d’évènements artériels liés aux déficits en protéines C et S avant l’âge de 55 ans, en comparaison avec les membres de la famille sans déficit, alors que cela n’était pas significatif au cours des déficits en AT [7]. Une étude réalisée chez des familles de patients porteurs d’une mutation du facteur II (G20 210A) ne retrouvait pas de sur-risque artériel en cas de mutation [8]. En revanche, la présence d’anticorps antiphospholipides expose à un risque artériel très élevé et peut d’ailleurs aggraver une artériopathie sous-jacente même modérée du fait des manifestations thrombotiques et de l’aggravation de lésions athéromateuses préexistantes [9,10]. Une hyperhomocystéinémie doit également être recherchée lors des thromboses artérielles récidivantes ou atypiques. L’homocystéinurie est une maladie autosomale récessive due à des mutations génétiques codant pour des enzymes intervenant dans le métabolisme de la méthionine. Mudd et al. ont rapporté une série de 629 patients homocystinuriques par déficit en cystathionine -synthase. Dans cette population, ils retrouvaient la survenue de thromboses (artérielle et/ou veineuse) chez environ 25 % des patients, pour la moitié d’entre eux avant l’âge de 30 ans [11]. Cette observation illustre les situations exceptionnelles où une mutation de l’AT s’exprime uniquement par une atteinte artérielle. Devant la survenue de thromboses artérielles récidivantes, inexpliquées, atypiques chez des sujets jeunes, il convient de rechercher les facteurs de risques cardiovasculaires classiques, les causes emboliques, traumatiques, toxiques, systémiques (maladie de Behc¸et, syndrome des anti-phospholipides, etc.). . . Mais lorsque ce premier bilan est négatif, il faut penser à rechercher des facteurs biologiques de thrombophilie constitutionnelle, surtout s’il existe des antécédents personnels ou familiaux thrombotiques veineux [12]. 4. Conclusion Les thrombophilies constitutionnelles sont rarement à l’origine de manifestations thrombotiques artérielles. Cette recherche ne se justifie que chez des patients jeunes présentant des thromboses artérielles inexpliquées, et/ou récidivantes, parfois associées à des manifestations thrombotiques veineuses. Devant un tel tableau, la recherche d’anticorps antiphospholipides et d’une hyperhomocystéinémie doit être systématique. Un déficit en AT peut favoriser la survenue de thromboses artérielles récidivantes du sujet jeune. Il est important d’explorer ces patients et leur famille, pour typer le déficit en AT, et ainsi préciser son potentiel thrombogène. Conflit d’intérêt Les auteurs n’ont pas transmis de conflit d’intérêt. Références [1] Lane DA, Olds RJ, Boisclair M, Chowdhury V, Thein SL, Cooper DN, et al. Antithrombin III mutation database: first update. For the Thrombin and its Inhibitors Subcommittee of the Scientific and Standardization Committee of the International Society on Thrombosis and Haemostasis. Thromb Haemost 1993;70:361–9. [2] Patnaik MM, Moll S. Inherited antithrombin deficiency: a review. Haemophilia 2008;14:1229–39. [3] Kuhle S, Lane DA, Jachmanns K, Male C, Quehenberger P, Lechner K, et al. Homozygous antithrombin defiency type II (99 Leu to Phe Mutation) and childhood thromboembolism. Thromb Haemost 2001;86:1007–11.
C. Durant et al. / La Revue de médecine interne 32 (2011) e29–e31 [4] Chowdhury V, Lane DA, Mille B, Auberger K, Gandenberger-Bachem S, Pabinger I, et al. Homozygous antithrombin deficiency: report of two new cases (99 Leu to Phe) associated with arterial and venous thrombosis. Thromb Haemost 1994;72:198–202. [5] Aronson DC, Ruys Th, van Bockel JH, Briët E, Brommer EJ, Gevers Leuven JA, et al. A prospective survey of risk factors in young adults with arterial occlusive disease. Eur J Vasc Surg 1989;3:22–32. [6] Eldrup-Jorgensen J, Flanigan DP, Brace L, Sawchuk AP, Mulder SG, Anderson CP, et al. Hypercoagulable states and lower limb ischemia in young adults. J Vasc Surg 1989;9:334–41. [7] Mahmoodi BK, Brouwer JL, Veeger NJ, Van der Meer J. Hereditary deficiency of protein C or protein S confers increased risk of arterial thromboembolic events at a young age: results from a large family cohort study. Circulation 2008;118:1659–67.
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