Ann Urol 2001 ; 35 : 97-100 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003-4401(01)00013-4/SCO
Rein
La pyélonéphrite emphysémateuse : à propos de trois cas E. Menif 1∗ , K. Nouira 1 , S. Baccar 1 , Y. Nouira 2 , M. Mouelhi 1 , A. Horchani 2 , R. Slim 1 1 Service d’imagerie médicale, hôpital La Rabta, Tunis, Tunisie ; 2 Service d’urologie, hôpital La Rabta, Tunis, Tunisie
RÉSUMÉ La pyélonéphrite emphysémateuse est une infection rare pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Elle est caractérisée par la production de gaz dans le parenchyme rénal et dans l’espace périrénal et atteint essentiellement les sujets diabétiques. Les auteurs en rapportent trois observations et insistent sur l’apport de l’imagerie dans le diagnostic et surtout le bilan d’extension de la pyélonéphrite emphysémateuse et rappellent, à travers une observation exceptionnelle révélée par une hématémèse de grande abondance, les voies de passage des processus pathologiques entre le rétropéritoine et le médiastin. Le pronostic de la pyélonéphrite emphysémateuse dépend du terrain et de la précocité d’un traitement combiné médicochirurgical. La radiologie interventionnelle est une alternative séduisante particulièrement indiquée chez les sujets inopérables et en cas de rein unique. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS échographie / hématémèse / pyélonéphrite emphysémateuse / tomodensitométrie
ABSTRACT Emphysematous pyelonephritis: three cases. Emphysematous pyelonephritis is a rare and life-endangering suppurative infection characterized by the production of gas in the renal parenchyma and perirenal space. It affects mainly patients with diabetes mellitus. Authors report three cases of emphysematous pyelonephritis and insist on the role of radiological investigations in diagnosis. Through an exceptional case of emphysematous pyelonephritis revealed by hematemesis, they remind the progression route of infection from retroperitoneal to mediastinal space. Prognosis of emphysematous pyelonephritis depends on the patient’s general health status and ra-
(Reçu le 5 décembre 2000 ; accepté le 8 janvier 2001)
pidity of diagnosis and treatment. Percutaneous drainage is an alternative to major surgery and is particularly indicated in cases of single kidney or in an inoperable patient. 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS CT scan / emphysematous pyelonephritis / hematemesis / ultrasonography
La pyélonéphrite emphysémateuse est une affection rare caractérisée par la présence de gaz dans le parenchyme rénal. Elle est le plus souvent secondaire à Escherichia Coli et survient surtout chez la femme diabétique. Sa présentation clinique peut être trompeuse et son diagnostic repose essentiellement sur l’imagerie et en particulier la tomodensitométrie. Sa mortalité atteignait jusqu’ici 50 % des malades traités par néphrectomie [1]. Nous rapportons trois observations de pyélonéphrite emphysémateuse afin d’illustrer les difficultés diagnostiques et l’intérêt de l’imagerie.
OBSERVATION N◦ 1 Madame Z., âgée de 48 ans, diabétique non insulinodépendante, a présenté dix jours avant son admission des lombalgies gauches fébriles traitées par une antibiothérapie sans aucune amélioration. À l’admission, elle était fébrile à 38,5◦ C avec un état général conservé, un état hémodynamique stable et une sensibilité du flanc gauche sans masse palpable. Sur le plan biologique, elle avait une urée et une
∗ Correspondance et tirés à part : Emna Menif, Service de radiologie, hôpital La Rabta, Jabbari Bab Saadoun, 1007 Tunis, Tunisie.
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Figure 1. Scanner abdominal-coupe axiale, après injection intraveineuse de produit de contraste : présence de gaz au sein de la loge rénale gauche avec importante destruction parenchymateuse et absence de collection (obs. 1).
créatinine sanguines normales, une hyperglycémie à 3,44 g/L et une hyperleucocytose à 17 780/mm3 . L’échographie abdominale a mis en évidence des échos de réverbération au niveau de la loge rénale gauche faisant suspecter une pyélonéphrite emphysémateuse. La tomodensitométrie montrait une importante collection gazeuse destruction parenchymateuse rénale gauche sans image de collection confirmant le diagnostic de pyélonéphrite emphysémateuse (figure 1). Cette patiente a été opérée en urgence et a subi une néphrectomie gauche. L’examen bactériologique du pus prélevé en peropératoire a isolé un Escherichia coli. Elle est décédée en postopératoire dans un syndrome de Mendelshn.
OBSERVATION N◦ 2 Madame K., âgée de 70 ans, sans antécédents pathologiques particuliers, présentait quatre jours avant son admission des douleurs abdominales diffuses, un arrêt des matières et des gaz et des vomissements post prandiaux évoluant dans un contexte fébrile. L’examen à l’admission trouvait une patiente fébrile à 39,9◦ C, en très mauvais état général avec une conscience altérée et un Glasgow à 5/15. La palpation abdominale trouvait une masse du flanc gauche, dure, fixe par rapport aux plans profonds et donnant le contact lombaire. Sur le plan biologique, elle avait une hyperleucocytose à 13 200/mm3 , une anémie avec thrombopénie, une urée sanguine nor-
Figure 2. Scanner thoracique-coupe axiale après injection intraveineuse de produit de contraste : net épaississement de la paroi œsophagienne, disséquée, avec présence d’air intra-mural (flèche) (obs. 3).
male et une hyperglycémie à 3,72 g/L avec glucosurie sans acétonurie. L’échographie abdominale montrait un rein gauche globuleux, présentant des cavités pyélocalicielles dilatées, sièges d’échos de réverbération associés à la présence d’une formation hypoéchogène polaire inférieure déformant les contours du rein. Le diagnostic de pyélonéphrite emphysémateuse était suspecté et confirmé par la tomodensitométrie abdominale. Cette patiente a subi, après une réanimation médicale et une triple antibiothérapie, une néphrectomie gauche. Les suites opératoires étaient difficiles et elle est décédée dans un tableau de choc septique.
OBSERVATION N◦ 3 Madame F., âgée de 50 ans, diabétique non insulinodépendante, présentait quelques jours avant son admission, des douleurs lombaires droites évoluant dans un contexte fébrile. L’évolution a été marquée par l’installation brutale d’une hématémèse de grande abondance. La fibroscopie œsophagienne montrait une muqueuse œsophagienne œdématiée et congestive et visualisait un saignement actif. Un anévrisme fissuré de l’aorte thoracique descendante était alors suspecté et un scanner thoracique pratiqué. Celui-ci éliminait une pathologie vasculaire et révélait en revanche un net épaississement de la paroi œsophagienne qui était disséquée avec la présence d’air intramural (figure 2). Les coupes successives montraient l’extension de ce processus à l’étage abdominal avec la présence d’air dans la loge
La pyélonéphrite emphysémateuse
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Figure 3. Scanner abdominal-coupe axiale passant par la loge rénale : le parenchyme rénal est totalement détruit avec présence de gaz (obs. 3).
rénale droite et la destruction quasi complète du parenchyme rénal (figures 3, 4). Il s’agissait d’une pyélonéphrite emphysémateuse compliquée d’une médiastinite responsable d’une dissection de la paroi œsophagienne. Cette patiente était décédée dans un tableau de choc hypovolémique.
DISCUSSION La pyélonéphrite emphysémateuse est définie par la présence d’une suppuration du parenchyme rénal secondaire à une pullulation de germes anaérobies entraînant la production d’une quantité plus ou moins importante de gaz [1]. C’est une affection sévère mettant en jeu le pronostic fonctionnel et vital. Le germe le plus fréquemment en cause est Eschérichia Coli (71 %) mais d’autres ont été rapportés : Klebsiella pneumoniae, Aerobacter aerogenes, Proteus mirabilis [2] et Candida albicans [3]. Elle atteint essentiellement la femme [1, 2, 4] vraisemblablement à cause de sa grande susceptibilité aux infections urinaires [2]. L’âge moyen est de 54 ans avec des extrêmes de 19 à 81 ans [2]. La pyélonéphrite emphysémateuse touche essentiellement le sujet diabétique [2, 4] qu’il soit ou non insulinodépendant. Elle peut être révélatrice du diabète [4] comme ce fut le cas pour l’une de nos patientes (observation 2). Elle réalise un tableau fait de fièvre, frissons, nausées, vomissements, lombalgies, confusion voire coma. L’examen physique peut être normal ou retrouver une sensibilité ou une masse abdominale
Figure 4. Scanner-reconstruction dans le plan coronal : présence d’air dans la loge rénale qui se propage dans l’espace pararénal antérieur et remonte dans le médiastin via le hiatus œsophagien ; l’œsophage est disséqué (obs. 3).
donnant le contact lombaire. L’acidocétose diabétique est différemment estimée dans la littérature. Elle a été retrouvée chez une de nos patiente. Ailleurs le tableau clinique peut être trompeur se résumant en une fièvre isolée sans aucun autre signe associé [2] et le diagnostic de pyélonéphrite emphysémateuse doit être évoqué de principe surtout chez un sujet diabétique. Une hématémèse de grande abondance, comme celle décrite chez une de nos patientes, est un mode de révélation inhabituel, jamais décrit, à notre connaissance, dans la littérature. Celle-ci est en rapport avec la médiastinite secondaire à la suffusion du processus infectieux de la loge rénale vers le médiastin. En effet, des voies de passage des processus pathologiques existent entre le rétropéritoine (et en particulier la loge rénale) et le thorax. L’espace pararénal antérieur communique avec le médiastin par l’intermédiaire de nombreux points de faiblesse diaphragmatiques, dont les plus importants sont l’espace inframédiastinal postérieur, occupé par différentes structures vasculaires dont l’aorte thoraco-abdominale ; l’orifice de la veine cave inférieure
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et enfin le hiatus œsophagien [5]. Dans notre observation, le processus pathologique prenant naissance au niveau de l’espace périrénal a fusé à travers le fascia pararénal antérieur, dans l’espace pararénal antérieur. Il est passé par la zone non péritonisée du foie ou « bare area » vers le hiatus œsophagien et vers le médiastin. L’atteinte de la paroi œsophagienne était responsable de l’hématémèse. La gravité de cette redoutable affection justifie, pour certains auteurs, la réalisation en première intention, du couple abdomen sans préparation-échographie, chez tout patient diabétique se présentant avec une infection urinaire associée à des lombalgies et à une sensibilité à la palpation [4]. L’échographie rénale est un examen d’interprétation difficile qui s’attache essentiellement à éliminer une obstruction urinaire [4], retrouvée dans 40 % des cas [2]. Elle a été réalisée chez deux de nos patientes et a permis de suspecter le diagnostic en visualisant des échos de réverbération aussi bien dans les cavités urinaires que dans la loge rénale. L'examen tomodensitométrique reste la technique la plus performante pour faire le diagnostic de pyélonéphrite emphysémateuse, évaluer l’importance de l’atteinte, porter un diagnostic topographique précis et surtout établir un bilan d’extension. Ses indications doivent être larges, chaque fois qu’il existe une infection urinaire persistante et une altération de l'état général malgré une antibiothérapie adaptée, en particulier chez un patient diabétique [1]. En effet, le diabète représente le facteur de risque majeur de la pyélonéphrite emphysémateuse retrouvé dans 87 % à 97 % des cas selon les séries [6]. L’injection du produit de contraste est, pour certains auteurs, inutile [7] d’autant plus que les patients présentent souvent un état hémodynamique précaire avec une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle. Wan et al. ont établi, en 1996, une classification pronostique de la pyélonéphrite emphysémateuse en deux types. Le type 1 est caractérisé par une destruction parenchymateuse et l’absence de collection ou la présence de gaz sous forme de striations. Le type 2 est caractérisé par la présence de collection intra ou périrénale ou la présence de gaz loculé ou sous forme de bulles ou la présence de gaz dans le système collecteur. Le type 1 serait associé à une forte
mortalité atteignant les 69 % et aurait une évolution rapidement fatale [6]. C’était le cas de nos trois patientes. La pyélonéphrite emphysémateuse est une urgence thérapeutique en raison de sa gravité. Son traitement est médicochirurgical comportant une antibiothérapie adaptée et une néphrectomie avec nettoyage de la loge rénale et drainage [1]. La radiologie interventionnelle est particulièrement intéressante chez les sujets inopérables et en cas de pyélonéphrite emphysémateuse bilatérale ou survenant sur rein unique [4, 8]. Le drainage est réalisé sous guidage tomodensitométrique par des cathéters de gros calibre permettant l’évacuation de pus épais. L’irrigation est à proscrire, source de bactériémie et de rupture de l’abcès. L’évolution est suivie par des tomodensitométries itératives et en cas de collections cloisonnées, non communicantes, d’autres drains peuvent être mis en place [9].
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