La maladie d’Hirayama : à propos de trois cas

La maladie d’Hirayama : à propos de trois cas

Journal de Radiologie Diagnostique et Interventionnelle (2013) 94, 327—331 ARTICLE ORIGINAL COURT / Neuroradiologie La maladie d’Hirayama : à propos...

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Journal de Radiologie Diagnostique et Interventionnelle (2013) 94, 327—331

ARTICLE ORIGINAL COURT / Neuroradiologie

La maladie d’Hirayama : à propos de trois cas夽 M. Dejobert a,b,∗, A. Geffray a,b, C. Delpierre a, B. Chassande a, E. Larrieu c, C. Magni a a

CHR d’Orléans, 14, avenue de l’Hôpital, 45000 Orléans, France Groupement d’imagerie médicale (GIM), CHRU de Tours, 2, boulevard Tonnelé, 37000 Tours, France c 5, rue Java, 45000 Orléans, France b

MOTS CLÉS Hirayama ; Myélopathie cervicale ; IRM en flexion ; Déficit du membre supérieur

Résumé La maladie d’Hirayama est une myélopathie cervicale basse rare atteignant les adultes jeunes. Elle est responsable d’une atteinte motrice pure distale des membres supérieurs, d’évolution lentement progressive dans le territoire des métamères C7 à T1. Elle serait provoquée par les mouvements de flexion du cou. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) en position neutre recherche une anomalie de courbure cervicale, une atrophie avec aplatissement de la moelle cervicale, un hypersignal médullaire antérieur et surtout un défaut d’accolement postérieur du sac dural. En cas de suspicion diagnostique, une IRM en flexion doit être réalisée pour mettre en évidence un déplacement antérieur de la moelle et du sac dural, un élargissement de l’espace épidural postérieur, une majoration de l’aplatissement médullaire et une congestion des veines épidurales. Ces anomalies dynamiques tendent à disparaître après dix ans d’évolution. Nous rapportons deux cas confirmés et un cas probable de maladie d’Hirayama et nous en discutons la physiopathologie. © 2012 Éditions françaises de radiologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

La maladie d’Hirayama, ou amyotrophie juvénile distale du membre supérieur, est une pathologie rare, touchant le plus souvent des patients d’origine asiatique et décrite pour la première fois en 1959 par le neurologue Hirayama [1]. Cette pathologie se caractérise par une amyotrophie progressive, unilatérale ou bilatérale et asymétrique de l’extrémité

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.diii.2012. 10.008. 夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Diagnostic and Interventional Imaging, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (M. Dejobert).

distale des membres supérieurs. Le déficit moteur intéresse principalement les muscles de l’avant bras et la main, et est potentiellement aggravé par le froid. Le muscle brachio-radial, d’innervation C6, est habituellement préservé, rendant cette amyotrophie caractéristique. On parle alors d’amyotrophie « oblique ». Elle atteint principalement l’adulte jeune entre 15 et 17 ans, de sexe masculin, volontiers sportif et longiligne [2]. L’électromyogramme (EMG) retrouve une atteinte neurogène des territoires C7-C8-T1. L’hypothèse physiopathologique actuelle repose sur une atteinte ischémique chronique de la moelle cervicale basse provoquée par l’écrasement médullaire contre le corps vertébral, notamment lors des mouvements de flexion cervicale [3].

2211-5706/$ — see front matter © 2012 Éditions françaises de radiologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jradio.2012.09.003

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M. Dejobert et al.

Présentation de cas Cas no 1 La première observation concerne un patient de 17 ans, sportif, qui consultait pour une faiblesse d’apparition progressive de la main droite, aggravée par le froid. L’examen clinique retrouvait un déficit moteur et une amyotrophie des deux mains plus nette à droite, débordant le territoire du nerf ulnaire. Il ne montrait pas d’atteinte des paires crâniennes, de syndrome pyramidal ou de déficit sensitif. À l’EMG, il existait une diminution bilatérale à prédominance droite des amplitudes distales motrices des nerfs médian et cubital, sans anomalie de la conduction ni atteinte sensitive. En détection, les territoires C8/T1 étaient franchement neurogène, ce qui orientait vers une atteinte de la corne antérieure de la moelle cervicale. Une première IRM cervicale en position neutre retrouvait une rectitude du rachis cervical, une atrophie avec aplatissement antéropostérieur médullaire en C5-C6 et un défaut d’accolement postérieur du sac dural (Fig. 1). Devant la suspicion de maladie d’Hirayama, une IRM complémentaire en flexion a été effectuée. Elle mettait en évidence un déplacement antérieur de la moelle cervicale basse et du sac dural et un élargissement de l’espace épidural postérieur (Fig. 2).

Cas no 2 La deuxième observation concerne un patient de 18 ans, droitier, sans antécédent médical personnel ou familial. Il consultait pour l’apparition progressive en quelques mois d’une faiblesse de la main droite, avec quelques phénomènes d’enraidissement au froid, sans déficit sensitif associé. Ces symptômes étaient apparus alors qu’il était amené à travailler régulièrement la tête en flexion.

Figure 1. Cas no 1. IRM cervicale en position neutre. Séquences sagittale TSE T2 (a), axiale EG T2 en C6-C7 (b) en position neutre. L’IRM initiale montre une raideur du rachis cervical, une atrophie en C5-C6 (flèche), un décollement postérieur du sac dural (étoile).

À l’examen, il présentait un déficit des interosseux, avec amyotrophie du premier interosseux et de l’hypothénar, un déficit du long fléchisseur du pouce et du fléchisseur profond de l’index, un déficit des palmaires et de la pronation. Un EMG mettait en évidence une atteinte neurogène motrice pure sans atteinte sensitive, bilatérale à prédominance droite, touchant les territoires C7-C8-T1. Une atteinte des racines ou de la moelle cervicale antérieure a été suspectée. L’IRM cervicale retrouvait une rectitude du

Figure 2. Cas no 1. IRM cervicale en flexion : Séquences sagittale TSE T2 (a), axiale EG T2 (b) en flexion. L’IRM en flexion montre un déplacement antérieur de la moelle et du sac dural (flèche), un aplatissement de la moelle cervicale basse et une dilatation des veines épidurales (étoile). Il existe un hyposignal franc des veines épidurales, lié à l’artéfact de flux.

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329 en flexion, associé à un déplacement antérieur du sac dural et de la moelle cervicale. Au sein des espaces épiduraux, on visualisait des structures vasculaires dilatées.

Cas no 3

Figure 3. Cas no 2. IRM cervicale en position neutre. Séquences sagittale TSE T2 (a) et axiale EG T2 en C5-C6 (b). L’IRM en position neutre montre une discrète cyphose cervicale, un décollement du sac dural postérieur (étoile), une atrophie médullaire et un hypersignal médullaire de la corne antérieure (flèche).

rachis cervical, une atrophie médullaire, des hypersignaux bilatéraux centrés sur les cornes antérieures, et un défaut d’accolement postérieur du sac dural (Fig. 3). Devant le tableau clinico-radiologique compatible avec la maladie d’Hirayama, les explorations ont été complétées par une IRM cervicale en flexion (Fig. 4). Elle mettait en évidence un élargissement de l’espace épidural postérieur

La troisième observation concerne un patient de 22 ans, droitier, infirmier, sans antécédent médical, ayant consulté après deux ans d’évolution d’un déficit moteur pur d’aggravation progressive du bras droit, sans déficit sensitif ni douleur. Lors de l’examen clinique, on constatait un déficit des extenseurs des doigts et une atrophie majeure du triceps au membre supérieur droit. L’EMG initial retrouvait une dénervation partielle de l’extenseur commun des doigts et du triceps droits (C7) et un respect du long supinateur droit (C6). Les conductions nerveuses sensitives et motrices étaient normales. L’IRM cervicale mettait en évidence un hypersignal intramédullaire antérolatéral droit étendu de C5 à C6, associé à une atrophie médullaire à ce niveau (Fig. 5). L’ IRM du plexus brachial était normale. La maladie d’Hirayama n’a pas été évoquée et le bilan étiologique est resté négatif. Le tableau s’est aggravé avec l’apparition d’une atteinte clinique du grand dentelé, d’innervation C5 C6 et C7, à type de scapula alata. Après environ trois ans d’évolution, la situation clinique s’est stabilisée. Un nouvel EMG réalisé six ans après le début des symptômes retrouvait une atteinte neurogène C7 droite. L’IRM cervicale de contrôle retrouvait une aggravation de l’atrophie médullaire antérolatérale droite, étendue de C4 à C7, avec formation d’une fente syringomyélique en regard de la zone en hypersignal précédemment visualisée. Le diagnostic de maladie d’Hirayama n’a été évoqué que tardivement, après environ 13 ans d’évolution, conduisant à la réalisation d’une nouvelle IRM en position neutre puis en flexion (Fig. 5). Il existait une atrophie médullaire nette latéralisée à droite en regard des étages C5-C6 et un défaut relatif d’accolement postérieur du sac dural. La flexion cervicale ne mettait pas en évidence d’élargissement des espaces épiduraux postérieurs ni de déplacement antérieur du sac dural ou de la moelle cervicale.

Discussion

Figure 4. Cas no 2. IRM cervicale en flexion. Séquences sagittale TSE T2 (a) et axiale TSE T2 C5-C6 (b). L’IRM en flexion montre un déplacement antérieur du sac dural avec élargissement de l’espace épidural postérieur (losange), un aplatissement de la moelle cervicale en C5-C6. Les veines épidurales postérieures sont dilatées (flèche).

La maladie d’Hirayama, également appelée amyotrophie juvénile distale du membre supérieur, est une myélopathie cervicale basse rare atteignant les adultes jeunes, responsable d’une atteinte motrice pure des myotomes C7 à T1, aggravée par les mouvements de flexion du cou [1]. Elle se caractérise par une évolution biphasique, avec une aggravation progressive des symptômes sur trois à quatre ans, suivie d’une phase de stabilisation de la maladie [1]. Les paires crâniennes sont préservées et il n’existe habituellement pas de syndrome pyramidal [1]. Une atteinte bilatérale et symétrique ne doit pas remettre en cause le diagnostic et peut s’intégrer dans le cadre d’une forme sévère de maladie d’Hirayama [4]. L’EMG montre des signes de dénervation aiguë et chronique des muscles dans le territoire des métamères C7 à T1.

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M. Dejobert et al.

Figure 5. Cas no 3. IRM initiale en position neutre Séquences axiale EG T2 C5-C6 (a) sagittale TSE T2 (b). Sur l’IRM initiale, il existe une atrophie en C5-C6 (flèche) avec un hypersignal antérieur droit (flèche) et un défaut d’attachement du sac épidural postérieur (étoile). IRM cervicale en position neutre et en flexion après 13 ans d’évolution. Séquence axiale TSE T2 C5-C6 en position neutre (c). Après 13 ans d’évolution, l’atrophie s’est majorée.

Quatre-vingt dix pour cent des patients ayant une atteinte clinique unilatérale ont des signes de dénervation bilatérale à l’EMG. Les vitesses de conduction nerveuses sont habituellement normales [5]. L’IRM retrouve typiquement une anomalie de courbure du rachis cervical (rectitude ou cyphose). Il s’y associe une atrophie médullaire en regard des espaces C5-C6, avec un aplatissement antéropostérieur de la moelle, majoré par la flexion. Un hypersignal médullaire antérieur est parfois visualisé. Enfin, un défaut d’accolement postérieur du sac dural aux lames vertébrales est visible. Il s’agit du signe le plus spécifique pour authentifier une maladie d’Hirayama sur l’IRM cervicale en position neutre [6]. Lors de la flexion, on met en évidence un déplacement antérieur de la moelle cervicale basse et du sac dural postérieur, responsable d’un écrasement médullaire contre le mur vertébral postérieur. Il s’y associe un élargissement de l’espace épidural postérieur au sein duquel apparaissent des veines dilatées. Le degré de flexion cervical préconisé est entre 30 et 40 degrés [7]. L’aplatissement médullaire en position fléchie est inversement corrélé à la

durée d’évolution de la maladie et tend à disparaître chez les patients âgés de plus de 30 ans où ayant des symptômes depuis plus de dix ans [7]. La physiopathologie reste débattue. Il a été évoqué que la maladie d’Hirayama soit une variante de la maladie du motoneurone. Des études rapportent qu’il peut exister une atteinte électromyographique des muscles de la paroi thoracique et des membres inférieurs renforc ¸ant l’hypothèse d’une origine dégénérative [8]. Mais cette hypothèse a été réfutée par les données autopsiques qui retrouvent des phénomènes ischémiques. En effet, les études anatomopathologiques mettent en évidence une gliose modérée, une perte de grands et petits neurones et une nécrose médullaire centrale de la moelle cervicale basse [9]. L’hypothèse physiopathologique la plus largement admise actuellement est celle d’une croissance disproportionnée entre le rachis et le sac dural [10]. Le sac dural est attaché au rachis en deux points fixes, au niveau proximal au foramen magnum et à C2 et C3, et en distalité au coccyx. Chez un sujet sain, il a une laxité lui permettant de s’adapter aux mouvements

La maladie d’Hirayama : à propos de trois cas de flexion du cou. Chez les malades atteints, il serait trop court par rapport à la longueur de la colonne vertébrale. Ainsi, anormalement tendu en position neutre, il présenterait un défaut d’accolement postérieur aux lames vertébrales. Lors de la flexion, le sac dural ne serait pas suffisamment lâche pour supporter la tension induite par l’allongement du rachis cervical [11]. La moelle cervicale serait donc écrasée par le sac dural contre le mur postérieur des corps vertébraux. Cela entraînerait une augmentation de la pression intramédullaire responsable de troubles de la microcirculation locale au niveau des cornes antérieures de la moelle cervicale antérieure, région la plus sensible à l’ischémie [12]. Le rôle d’un engorgement des plexus veineux épiduraux aggravant l’hyperpression a été évoqué. Une combinaison de trois facteurs physiopathologiques serait responsable de cet engorgement. D’une part, le déplacement antérieur du sac dural postérieur causerait une pression négative dans l’espace épidural postérieur, provoquant un débit accru dans le réseau veineux postérieur. D’autre part, le déplacement antérieur de la dure-mère comprimerait le réseau veineux épidural antérieur, entraînant une charge accrue sur les plexus veineux postérieurs. Enfin, la diminution du drainage des veines jugulaires lors de la flexion du cou, entraverait le retour sanguin au sein des veines épidurales [13]. Pour le troisième patient, l’IRM en flexion ne retrouve pas le déplacement antérieur de la moelle et du sac dural ni l’élargissement de l’espace épidural postérieur. Néanmoins, plusieurs arguments plaident en faveur de la maladie d’Hirayama : le terrain, l’atteinte neurogène motrice et l’installation progressive suivie d’une phase de stabilisation, caractéristiques de la maladie. De plus, les diagnostics différentiels ont été successivement réfutés. Les signes de dénervation à l’EMG éliminent une atteinte myogène. Une atteinte tronculaire unique ne peut expliquer l’ensemble de la symptomatologie, le triceps étant innervé par le nerf radial et le muscle grand dentelé par le nerf thoracique long. L’atteinte du plexus brachial a été infirmée par la réalisation d’une IRM plexique négative. Une forme juvénile de sclérose latérale amyotrophique (SLA) a également été discutée. L’absence de fasciculations, de signes bulbaires, d’atteinte neurologique centrale et la stabilisation clinique de la maladie ont infirmé ce diagnostic. Les autres causes d’atteinte de la moelle cervicale antérieure comme le spondylolisthésis, la syringomyélie, et une tumeur médullaire ont été éliminés par l’IRM en position neutre qui retrouve les signes cardinaux de la maladie, notamment le défaut d’accolement postérieur du sac dural. La normalité de l’IRM en flexion n’exclut pas le diagnostic puisqu’il est démontré que celle-ci se normalise après plusieurs années d’évolution [3]. La maladie d’Hirayama est rare et probablement sous diagnostiquée. Si la pathologie est évoquée tardivement, le diagnostic ne peut être posé que sur la clinique et l’IRM en position neutre. Le port d’un collier cervical rigide ralentit significativement la progression de la maladie [14]. Une alternative par décompression chirurgicale a été proposée, avec des résultats encourageants [15].

331 Il est important de reconnaître précocement cette maladie étant donné l’existence de mesures préventives efficaces [16].

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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