Journal de Mycologie Médicale (2012) 22, 185—188
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CAS CLINIQUE/CASE REPORT
Les mucormycoses sous-cutanées à Lichtheimia corymbifera : à propos d’un cas chez un enfant immunocompétent The subcutaneous mucormycosis due to Lichtheimia corymbifera: A case report in an immunocompetent child S. Razouk a,1,*, S. Sebbani a,1, A. Agoumi a, T. Benouchen c, A. Malihi b, A. Nacir b, A. Abouhafsse d, Z. Al Hamany b, H. Tligui a a
ˆ pital d’enfants de Rabat, Rabat, Maroc Laboratoire de parasitologie et mycologie, ho ˆ pital d’enfants de Rabat, Rabat, Maroc Laboratoire d’anatomopathologie, ho c ´ diatrie IV, ho ˆ pital d’enfant de Rabat, Rabat, Maroc Service de pe d ´ diatrique, Rabat, Maroc Service de chirurgie pe b
ˆt 2010 ; rec¸u sous la forme re´vise´e le 17 January 2012; accepte´ le 20 janvier 2012 Rec¸u le 6 aou Disponible sur Internet le 23 mai 2012 ]
MOTS CLÉS Infection sous-cutanée ; Mucormycose ; Immunocompétent ; Lichtheimia corymbifera ; Enfant
KEYWORDS Under cutaneous infections; Mucormycose;
Résumé La mucormycose à Lichtheimia (ex Absidia) corymbifera est une infection fongique rare, survenant le plus souvent dans un contexte de déficience immunitaire, plus rarement chez un immunocompétent. Elle se présente sous différentes formes cliniques fréquemment trompeuses, d’où l’intérêt d’un examen anatomopathologique et mycologique bien conduit qui permet de poser le diagnostic de certitude. Le traitement de cette pathologie doit être instauré précocement car il conditionne le pronostic vital et fonctionnel chez le patient. Dans cette étude, les auteurs rapportent un cas de mucormycose chez un enfant âgé de dix ans et immunocompétent avec un tableau clinique moins sévère que celui des cas rapportés dans la littérature. # 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. Summary Mucormycosis due to Lichtheimia (ex Absidia) corymbifera is a rare fungal infection, occurring most often in an environment of immune deficiency, rarely in an immunocompetent patient. It comes in different clinical forms, frequently misleading, hence the interest of a pathological and mycological examination that allows the diagnosis of certainty. The management of this condition should be introduced early because it affects the functional
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Razouk). 1 Les deux auteurs ont participé de façon covalente dans la rédaction de cet article. 1156-5233/$ — see front matter # 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.mycmed.2012.01.006
186 Immunocompetent; Lichtheimia corymbifera; Child
S. Razouk et al. prognosis of the patient. In this study, the authors report a case of mucormycosis in a 10-yearold child, and with clinical immunocompetent less severe than the cases reported in the literature. # 2012 Published by Elsevier Masson SAS.
S.O., enfant de sexe masculin âgé de dix ans, originaire de Tiddes, région rurale de Khmisset à 70 km de Rabat, a été admis à l’hôpital d’enfants de Rabat le 10 janvier 2010 pour une tuméfaction de la région inguinale droite évoluant depuis le mois d’octobre 2009 associée à un œdème diffus du membre correspondant (Fig. 1). Le patient avait comme antécédent une plaie cutanée de la malléole interne droite bien cicatrisée au moment du diagnostic et dont la nature n’a pas été précisée au moment de l’admission à l’hôpital d’enfant de Rabat (HER) (Fig. 2).
Cette tuméfaction avait fait l’objet d’une biopsie à l’hôpital de Khmisset et étiquetée initialement, sans preuve formelle, d’origine tuberculeuse, malgré l’absence de germe. L’enfant avait été mis sous traitement antibacillaire, sans évolution favorable. Cela a motivé un nouvel examen des prélèvements de biopsie par le service d’anatomopathologie lors de l’admission de l’enfant à l’HER. L’examen a révélé la présence de filaments mycéliens, entourés de réaction granulomateuse sans manchon éosinophile (Fig. 3). Une échographie de la masse tumorale avait montré un processus tumoral ilio-fémoral mal limité de 62/49/88 cm hétérogène englobant le pédicule vasculaire. L’écho-doppler a objectivé des axes vasculaires perméables. Le bilan biologique normal fait d’une glycémie, une numération de la formule sanguine et de l’étude des souspopulations lymphocytaires permet de conclure que le patient est immunocompétent. Le 20 janvier 2010 une seconde biopsie a été pratiquée dans la masse tumorale et a permis de recueillir trois fragments de tissu sous-épidermique d’une taille variant entre 5 et 10 mm de diamètre. Le matériel a été placé dans du sérum physiologique stérile et délité en fragments de 1 mm de diamètre en moyenne. Quelques-uns de ces derniers ont été soumis après écrasement à l’examen mycologique direct entre lame et lamelle dans la potasse à 30 %. Cet examen montre la présence de filaments mycéliens épais non septés de 5 à 7 mm de diamètre à division dichotomique à angle droit rappelant ceux d’un mucorale. L’examen anatomopathologique des pièces de la biopsie a révélé le même aspect que
Figure 1 Infiltration œdémateuse du pied droit. Edematous infiltration of the right foot.
Figure 2 Lésion initiale de la malléole interne. Initial lesion of the extern malleolus.
Introduction La mucormycose est une infection opportuniste rare due à un champignon de la classe des zygomycètes et du groupe des mucorales [19]. Cette infection survient chez deux groupes de patients de profils différents : le plus souvent un terrain fragilisé par une pathologie préexistante (diabète surtout), et chez l’immunocompétent avec la notion d’une porte d’entrée (plaie traumatique ou chirurgicale, brûlure. . .) [11,15]. Le diagnostic de cette pathologie repose sur des données anatomopathologiques et mycologiques [2,3,17,19]. L’observation rapportée dans cette étude intéresse le cas d’un enfant atteint d’une mucormycose à Lichtheimia (ex Absidia) corymbifera (L. corymbifera).
Observation
Les mucormycoses sous-cutanées à Lichtheimia corymbifera
187 mucormycose, l’enfant a été mis sous kétoconazole à la dose de 300 mg/j pendant un mois. Passé ce délai, l’évolution de la maladie semble stationnaire et sans amélioration, ce qui a poussé les cliniciens à le mettre sous itraconazole à la dose de 200 mg/j avec, au bout de trois mois, une régression à peine perceptible des mensurations prises aux différents niveaux du membre atteint.
Discussion
Figure 3 Aspect histologique de la biopsie. Histological appearance of biopsy.
celui décrit précédemment. Les filaments mycéliens étaient entourés de cellules inflammatoires polymorphes. Plusieurs autres fragments de tissus prélevés ont été mis en culture sur milieu de Sabouraud simple répartis en trois tubes. Ces tubes ont été mis en incubation à 37 8C et inspectés quotidiennement. La pousse sur milieu de culture était rapide. L’examen macroscopique a révélé dès le troisième jour d’incubation un aspect floconneux de la souche envahissant tout le tube de culture dès la première semaine. La couleur des colonies était beige au recto, incolore au verso. La microscopie optique d’un fragment de colonie de culture a montré la présence de sporocystophores longs à aspect ramifié formant des sortes de corymbes. Le sporocyste est celui d’un mucorale avec une apophyse très marquée rappelant l’aspect d’une « coupe de champagne ». Les spores sont ovalisées, voire globuleuses (Fig. 4). Devant ce faisceau d’arguments, le genre Lichtheimia (ex Absidia) (L. corymbifera) a été retenu. L’amphotéricine B n’étant pas disponible à la pharmacie de l’hôpital et devant le traitement non standardisé de la
Figure 4 Aspect au microscope optique (objectif 40) d’un fragment d’une colonie. Direct examination ( 40) of a fab of culture.
Les mucormycoses à Absidia corymbifera, récemment renommé Lichteimia, sont rares en pathologie humaine, elles surviennent sur un terrain d’immunodépression, exceptionnellement chez un immunocompétent [6,9,15]. Les autres genres impliqués dans ces affections sont : Rhizopus, Mucor, Cunninghamella, Rhizomucor et Apophysomyces [1,12]. Ils sont omniprésents dans l’environnement contaminant ainsi la terre, les végétaux en décomposition et les produits d’origine animale [10,14]. La transmission se fait essentiellement par voie respiratoire par inhalation de spores, cutanée suite à une plaie ou une brûlure, ou plus rarement digestive [4,13]. Chez cet enfant, l’éventualité d’une contamination par une piqûre d’épine est à ne pas écarter vu que le patient vit à la campagne. L’âge jeune du patient fait la particularité de cette observation. Le sexe ne semble pas être un facteur de prédilection dans la survenue de la pathologie car les cas décrits dans la littérature intéressent les deux sexes. Ces atteintes se présentent sous différentes formes cliniques, dont la plus fréquente est la localisation rhino-orbitocérébrale dans 39 % des cas, et l’atteinte pulmonaire dans 22 % des cas [14]. La localisation cutanée est trouvée dans 10 à 19 % des cas, entraînant des infections des tissus cutanés et sous-cutanés par des éléments fongiques ayant une forte capacité d’angioinvasion et qui donnent des microthrombis responsables de nécrose tissulaire [10,16,22]. La présentation clinique varie de la forme bénigne à la forme agressive et rapidement progressive avec des symptômes variés et non spécifiques : érythème, vésicules, cellulite, œdème. . . [18], d’évolution pratiquement toujours fatale sans traitement, avec un taux de mortalité atteignant 50 % et un taux de morbidité élevé [6]. Néanmoins, il ne semble pas exister de différence dans l’évolution en fonction du genre ou de l’espèce incriminée. Le patient ayant fait l’objet de cette étude a présenté un tableau clinique inhabituel, fait d’une lésion initiale bien circonscrite, suivie d’une infiltration œdémateuse intéressant tout le membre avec une masse inguinale ayant fait évoquer au début une tuberculose cutanée, ce qui a retardé le diagnostic. La mucormycose à Lichtheimia est une pathologie de diagnostic difficile, souvent tardif et qui repose sur [2,3,8,10,19] : l’examen anatomopathologique qui met en évidence l’envahissement tissulaire par des filaments mycéliens sans manchon éosinophile ; l’examen mycologique permet de préciser les caractères de ces filaments qui sont courts, peu ou pas septés à parois épaisses et ramifiés souvent à angle droit.
188 L’identification du champignon responsable fait appel à la culture sur milieu de Sabouraud (sans actidione). Après incubation à 37 8C, on examine les tubes au bout de deux à trois jours à la recherche des caractères macro- et microscopiques des colonies obtenues [5]. Le traitement doit être précoce afin de préserver le pronostic vital du patient [7], il est médical et consiste en l’administration d’antifongiques, dont l’amphotéricine B liposomale est le traitement de référence dans la mesure de sa disponibilité, à la dose de 1 mg/kg par jour, avec un contrôle rigoureux de la fonction rénale [19—21]. Le cas traité dans cette étude a bénéficié d’un traitement à base de kétoconazole, puis d’itraconazole sans évolution spectaculaire. Ce traitement médical est souvent associé à une exérèse chirurgicale large des tissus nécrosés et infectés, suivi de gestes de reconstitution ultérieure. Chez le patient ayant fait l’objet de cette étude, l’exérèse chirurgicale semble inéluctable et n’est pas envisagée dans l’immédiat.
En conclusion La rareté et l’atypie des lésions engendrées par les mucorales font souvent retarder le diagnostic de cette affection dont l’issue est souvent fatale, d’où l’intérêt d’un examen mycologique bien conduit qui permet de poser le diagnostic.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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