Les patients experts : quelle réalité ? Quel rôle ?

Les patients experts : quelle réalité ? Quel rôle ?

34 Dossier thématique « Santé publique » Les patients experts : quelle réalité ? Quel rôle ? Expert Patients: What reality? Which role? C. Avril Di...

80KB Sizes 0 Downloads 36 Views

34

Dossier thématique « Santé publique »

Les patients experts : quelle réalité ? Quel rôle ? Expert Patients: What reality? Which role?

C. Avril Directrice générale, Fédération Française des Diabétiques, Paris.

Résumé Ce texte décrit les différentes dimensions du concept de patient expert selon la Fédération Française des Diabétiques : Patient Expert de sa propre maladie, Bénévole patient expert, et enfin, Expertise Collective. Mots-clés : Diabète – Fédération Française des Diabétiques – patient expert.

Summary This text describes the different dimensions of the concept of expert patient according to the French Federation of Diabetics: Patient Expert of its own disease, Expert Patient Volunteer, and Collective Expertise. Key-words: Diabetes – French Federation of Diabetics – expert patient.

Introduction

Correspondance Carole Avril Fédération Française des Diabétiques 37, av. Ledru Rollin 75012 Paris [email protected] © 2017 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

r Ce texte distingue trois types d’expertise : – expertises individuelles, d’une part, avec le patient expert de sa propre maladie, et le Bénévole Patient Expert de la Fédération Française des Diabétiques ; – expertises collectives, d’autre part, dont la finalité est d’être au service du patient. r Le patient expert de sa propre maladie améliore sa compréhension du diabète dans le but de mieux le réguler, de l’adapter à son cadre de vie habituel, d’être plus autonome après que la maladie a bouleversé son existence.

r Le Bénévole Patient Expert de la Fédération Française des Diabétiques est un patient expert formé par la Fédération, un pair dont la mission est d’aider l’autre à comprendre et à résoudre les problèmes auxquels il est confronté. r L’ e x p e r t i s e c o l l e c t i v e d e la Fédération Française des Diabétiques : in fine, l’expertise collective de la Fédération Française des Diabétiques a pour objectif d’étoffer l’expertise individuelle, à l’image du travail international qui s’efforce d’agréger et de qualifier les savoirs produits par les patients et les associations dans le cadre de l’Evidence based activism [1].

Médecine des maladies Métaboliques - Février 2017 - Vol. 11 - N°1

Les patients experts : quelle réalité ? Quel rôle ?

Le patient expert de sa propre maladie r Au fil des ans, les patients développent une véritable expertise, notamment les patients atteints d’un diabète de type 1 (DT1). Le plus souvent, celui-ci se déclare tôt dans la vie, contraignant l’enfant ou le jeune adulte à se prendre en charge lui-même, à acquérir des gestes techniques qui ne vont pas de soi. Cette expertise «  profane  », ce savoir « expérientiel », se fortifiera avec les années. r La vie d’un patient diabétique est jalonnée d’épreuves : l’entrée souvent brutale dans la maladie (dans le cas du DT1)  ; les complications potentielles du diabète (cardiovasculaires, micro-angiopathiques, le risque podologique de plaie, etc.) ; l’addition des maladies chroniques avec l’avancée en âge. Autant d’expériences qui font que le patient éprouvera le besoin d’être accompagné pour conforter et confronter son expertise, alléger le poids de l’attention de tous les instants à laquelle l’oblige le diabète. r L’éducation thérapeutique évolue donc avec la maladie et la complexité croissante des schémas thérapeutiques. On sait le rôle et l’impact de la situation de précarité sur l’expérience de la maladie des patients atteints de diabète de type 2 (DT2) [2]. Avec le concours d’une psychologue sociale de la santé, l’Association française des diabétiques (AFD) d’Aix-en-Provence a mené une recherche-action pour dénouer la complexité de ces situations de vie où les difficultés socio-économiques et psychosociales se mêlent au diabète. Le défi à relever excède la seule problématique des recommandations et de l’organisation du système de soins, notamment dans le DT2 dont la gestion optimale requiert l’implication du patient. Pour ces personnes, l’accès aux soins n’est pas facile, et la santé n’est pas une priorité. Aussi faut-il commencer par créer des conditions favorables à l’établissement d’un contact. r C’est un travail de longue haleine que ce combat auquel les Bénévoles Patients Experts formés à l’accompagnement par la Fédération peuvent apporter une contribution décisive.

La formation des Bénévoles Patients Experts de la Fédération Française des Diabétiques r L’accompagnement des patients par les pairs est au cœur du modèle associatif de la Fédération, et la formation de ces « pairs aidants », une priorité. Travaux théoriques et expériences étrangères confirment l’impact positif de l’éducation des patients par leurs pairs, en particulier sur l’autonomie et la qualité de vie de ces patients. Parmi ces expériences [3], certaines ont souligné la valeur ajoutée d’un partenariat de soins entre patients et professionnels de santé, lequel va jusqu’à considérer le patient comme un partenaire, membre à part de l’équipe de soins. r Ceux qui ont suivi des séances d’éducation thérapeutique à l’hôpital savent que les échanges entre patients y sont très féconds, et que le contenu des discussions n’est pas le même en présence et hors de la présence des professionnels de santé. Ces partages d’expériences seront d’autant plus fructueux qu’ils seront conduits par des patients experts formés à l’accompagnement, à l’écoute des patients, à l’animation de groupes, à la recherche de solutions afin, notamment, que les patients puissent, avec leurs professionnels de santé, adapter leur traitement à leur quotidien et à leur projet de vie social, affectif, et professionnel. r En France, comme à l’international, les notions d’experts et d’expertise sont de mieux en mieux cernées. – C’est ainsi que les travaux d’Olivia Gross ont identifié deux types de patients experts. Les uns se consacreront aux problématiques biomédicales, les autres à l’accompagnement social et à l’organisation du système de soins. Tous ont en commun d’être «  des acteurs sociaux passionnés et altruistes, qui poursuivent l’objectif d’améliorer la prise en charge de la maladie et/ou sa prévention, qui déploient à cet effet des compétences interculturelles, émotionnelles et de l’autonomie, et qui assurent des rôles d’interface, de porte-voix et d’éclaireurs. » [4].

Médecine des maladies Métaboliques - Février 2017 - Vol. 11 - N°1

- Citons également le travail de Philippe Barrier1 qui, lui aussi, tend à préciser le point de vue du patient expert. Dans tous les cas de figure, il s’agit de patients expérimentés et volontaires, intervenant en tant qu’éducateur auprès de leurs pairs. r Ajoutons que d’autres mouvements associatifs s’engagent dans cette voie, à savoir l’intégration de patients chroniques aux équipes soignantes, non pas en tant que témoins « convoqués » par le corps médical, mais en tant qu’experts. – Tel est le cas de l’association François Aupetit, qui se consacre au soutien des malades et à la recherche sur les Maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI), dont les principales sont la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. – L’association française des hémophiles (AFH) se mobilise également dans ce sens, avec ces « patients ressources ». r Ce n’est pas l’effet de liste qui est ici recherchée, mais la volonté de convaincre les professionnels de la diabétologie que les réflexions de la Fédération sur la notion de patient expert recouvrent bel et bien une réalité, puisque telle était l’une des interrogations de cet article – une réalité nationale et internationale, une réalité associative et universitaire, faite de recherches théoriques et appliquées. r Dès 2005, la Fédération Française des Diabétiques s’est attelée à la création d’un programme de formation de bénévoles souhaitant accompagner leurs pairs. Ce programme comprend plusieurs étapes, d’une durée de 70 heures, ayant pour objectif de permettre aux Bénévoles Patients Experts d’être en capacité d’aider les pairs qu’ils accompagneront à mobiliser toutes leurs ressources personnelles pour améliorer la prise en charge de leur diabète et leur qualité de leur vie.

1

Philosophe et docteur en sciences de l’éducation, Philippe Barrier est aussi un patient chronique possédant une longue expérience de la vie avec la maladie. Il a obtenu le prix IDS Santé de l’Académie de médecine en 2011 pour La blessure et la force (Presses Universitaires de France; 2010). En 2014, chez ce même éditeur, il a publié Le patient autonome.

35

36

Dossier thématique « Santé publique » – La première étape de ce cursus débute par une autoformation à distance, réalisée grâce à un logiciel comprenant 10 modules thématiques sur les diabètes, complétés par une journée en présentiel passée avec d’autres bénévoles afin de revisiter collectivement les savoirs acquis au cours de cette autoformation. – L’étape suivante permet aux candidats d’acquérir des compétences d’éducation thérapeutique du patient (ETP), d’animation d’entretiens individuels et de groupes de rencontre, durant 5 jours en présentiel. – La formation est complétée par des éléments spécifiques d’accompagnement sur les personnes en situation de précarité abordés en e-learning. – Cette formation initiale se termine par un stage pratique réalisé au sein d’un programme d’ETP nécessitant la remise d’un écrit au Siège fédéral. Au terme de cette validation pratique, sont délivrés un certificat de «  Bénévole Patient Expert  », et une attestation de formation «  justifiant de l’acquisition des compétences nécessaires pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient » prévue par l’article 2 de l’arrêté ministériel du 2 août 2010. Depuis 2015, la formation est désormais certifiante en éducation thérapeutique du patient. r Depuis 2008, 250 Bénévoles Patients Experts ont suivi le Cursus Patient Expert, lequel a largement évolué au cours des années et concerne aujourd’hui 50 départements.

L’action des Bénévoles Patients Experts de la Fédération Française des Diabétiques r L’action des patients experts formés par nos soins comprend deux grands volets : – un programme d’accompagnement des patients (Élan Solidaire), soutenu dès 2008 par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) et la Direction Générale de la Santé (DGS), d’une durée de 8 à 9 mois ; – l’éducation thérapeutique du patient (ETP).

r Nous les encourageons à être plus présents dans la coordination, la formalisation, la mise en œuvre des programmes d’ETP. Cette présence active n’empiète pas sur le savoir des professionnels de la santé. Les rôles respectifs du médecin et du patient expert se complètent et convergent vers un même but, l’autonomie et l’amélioration de la qualité de vie. Celle-ci sera meilleure si le patient modifie sa représentation de la maladie et adapte son mode de vie à sa maladie, ou mieux, sa maladie à son mode de vie. Et si le patient, accompagné par un pair, est amené à réinterroger son médecin sur un schéma thérapeutique, ce sera parce qu’il juge qu’à l’épreuve du quotidien, ce schéma l’empêche de bien vivre. Les patients experts savent le poids existentiel de ces enjeux.

Les experts de la Fédération : bénévoles aujourd’hui, professionnels demain ? r La formation pensée par la Fédération Française des Diabétiques est dispensée par l’Association française pour le développement de l’éducation thérapeutique (AFDET)2. Tout comme les actions menées par les patients experts, ces formations sont validées, auditées, évaluées. Évaluations qui mettent en exergue un triple bénéfice : – pour les patients accompagnés, dont la qualité de vie s’améliore ; – pour les patients formés, dont l’expertise s’approfondit ; – pour les associations locales, dont le positionnement en tant qu’acteur de santé de leur territoire se renforce. r On peut penser que l’évolution de l’expertise du patient expert bénévole relève d’un nouveau métier [5], tant des compétences spécifiques sont mises à l’œuvre. Cet accompagnant est appelé à interagir davantage avec

2

L’AFDET est une association à but non lucratif qui regroupe des professionnels de santé, mais aussi des psychologues, des sociologues, des éducateurs médico-sportifs et les représentants d’associations de patients

l’équipe chargée de l’éducation thérapeutique des patients, au même titre que l’infirmière, le podologue, le diabétologue, etc. Il est formé par l’association, et non pas par les médecins, il accompagne ses pairs, il peut être amené à co-organiser un programme d’ETP, il débriefe avec les professionnels de santé…

De l’expertise collective à l’expertise individuelle r Du point de vue de la production et de la reconnaissance des savoirs dans le domaine de la santé, une étape supplémentaire consiste à impliquer les patients et leurs expériences de vie au service de la conception, du développement et des innovations qui leur sont destinées. r Tel est le sens de l’initiative « Diabète LAB », un dispositif conçu et animé par et pour les patients. Nous sommes partis du constat que les patients étaient trop souvent les oubliés de l’innovation : les avancées technologiques, les nouveaux services, sont pensés et développés par des experts (médecins, scientifiques, industriels, etc.), sans que la personne atteinte de diabète, c’est-à-dire l’utilisateur final, soit véritablement consulté. r La santé connectée, les progrès de l’électronique, et les nouveaux outils de communication et d’information, ouvrent des possibilités dans l’accompagnement des patients. À condition toutefois que les libertés fondamentales des patients soient préservées, et que la finalité première de ces outils permette à ces patients d’assurer leur autonomie. En effet, le risque est grand de considérer ces outils comme une manière de verrouiller l’adhésion des patients au traitement prescrit, de contrôler leur comportement, à rebours de l’autonomie visée par l’accompagnement. L’innovation est une chose, l’impact de celle-ci sur le quotidien du patient en est une autre. Qui mieux que ce dernier est en mesure d’en juger ! Mettre le patient au cœur de l’innovation, c’est imaginer les usages et les solutions de demain, et donc améliorer la prise en charge, le suivi, et la qualité de vie des personnes atteintes de diabète.

Médecine des maladies Métaboliques - Février 2017 - Vol. 11 - N°1

Les patients experts : quelle réalité ? Quel rôle ?

Conclusion r Au terme de ce parcours, nous avons identifié trois types d’expertise, trois réalités, trois rôles, lesquels ne s’excluent pas l’un l’autre, au contraire : – le patient expert de sa maladie ; – le patient expert formé à l’accompagnement par la Fédération Française des Diabétiques ; – l’expertise collective consécutive à l’intégration de la personne diabétique dans la conception, le développement, et l’évaluation des innovations la concernant. r Qu’elle se déploie dans notre « Diabète LAB », ou au niveau international avec l’élaboration

Références et la diffusion de connaissances consolidées par l’Evidence based activism [1], cette intelligence collective enrichit, elle aussi, l’expertise individuelle des patients, accompagnés ou accompagnants.

[1] Rabeharisoa V, Moreira T, Akrich M. Evidencebased activism: Patients’ organizations, users’ and activist’s groups in knowledge society. Paris: Papiers de Recherche du CSI – CSI Working Papers Series 2013;033:1-27. [2] Peze V, Dany L, Lumediluna ML, Thill JC. Rôle et impact de la situation de précarité sur l’expérience de la maladie des patients atteints de diabète de type 2. Médecine des maladies Métaboliques 2015;9:523-8. [3] Flora L. Le «  Montreal model  »  : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé. Santé Publique 2015;27(Suppl.1):41-50. [4] Gross O. Experts et expertise : le cas des patients : Contribution à la caractérisation du patient-expert et de son expertise. Thèse de doctorat en Santé Publique, Paris 13 (dans le cadre de l’École doctorale Érasme). Janvier 2014.

Déclaration d’intérêt L’auteure déclare être employée de la Fédération Française des Diabétiques.

Médecine des maladies Métaboliques - Février 2017 - Vol. 11 - N°1

[5] Flora L. Le patient formateur  : élaboration théorique et pratique d’un nouveau métier de la santé. Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, Paris 8. Novembre 2012.

37