Louis-Henri Vaquez

Louis-Henri Vaquez

HISTOIRE DE LA MÉDECINE par Jean-Jacques Monsuez Louis-Henri Vaquez À la suite de son internat et de son clinicat dans le service d’Edouard Potain, V...

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HISTOIRE DE LA MÉDECINE par Jean-Jacques Monsuez

Louis-Henri Vaquez À la suite de son internat et de son clinicat dans le service d’Edouard Potain, Vaquez devient l’un des fondateurs de la cardiologie française et du premier journal de cardiologie.

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ouis-Henri Vaquez est né le 27 août 1860 à Paris, où ses parents, François-Ernest Vaquez et Léontine-Marie, née Fessard, exploitent un commerce de soieries. Au cours de sa scolarité au lycée Condorcet, il se lie d’amitié avec Fernand Widal (1862-1929). Inscrit à la faculté de médecine de Paris, il est reçu à l’Internat des Hôpitaux de Paris le 26 décembre 1884 (dans la même promotion que F. Widal) et débute sa formation en pathologie cardiovasculaire à l’hôpital de La Charité, dans le service d’Edouard Potain (1825-1901). A cette époque Potain, qui vient de se voir confier la première chaire de pathologie médicale, travaille surtout sur la sémiologie cardiaque, les bruits

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du cœur, dédoublements, galops, insuffisance tricuspide, et n’a pas encore orienté ses recherches vers l’exploration de la tension artérielle (voir AMCP N° 161). Dans le service, Vaquez rencontre Marfan, lui aussi interne et élève de Potain ainsi que Léon Daudet, externe, qui gardera Vaquez comme médecin de famille et l’introduira dans les milieux artistiques et culturels parisiens. Médaillé de l’internat en 1889, Vaquez devient chef de clinique dans le service de Potain, après y avoir soutenu sa thèse de doctorat en médecine en 1890, « De la thrombose cachectique », publiée peu après (141 pages, Paris, Steinheil, 1890). « Frais émoulu de l’Internat, rapporte Laubry, il abordait les phlébites. Il en bouleversait la pathogénie avec Widal, son condisciple, son ami, son frère de toujours. […] Il en préparait un chapitre dans les Cliniques de La Charité, qui, digne de ces magistrales leçons de Potain, que sous l’œil du Maître, il avait en partie rédigées. » [1]. Les premières publications de Vaquez datent de son clinicat. La plus célèbre, Sur une forme spéciale de cyanose s’accompagnant d’hyperglobulie excessive et persistante [2] décrit la polyglobulie primitive, appelée aujourd’hui malaFIG. 1 – Le cardiologue Vaquez et son assisdie de Vaquez. « Le cas tant le docteur Parvu à l’hôpital de la Pitié par E. Vuillard (© Musée de l’Assistance auquel nous faisons allusion consiste en celui d’un Publique à Paris). AMC pratique n° 169 juin 2008

malade entré à plusieurs reprises dans le service de notre maître, M. le professeur Potain, et que nous avons pu étudier depuis près de deux ans […] Ses extrémités bleuissaient. […] Un autre phénomène nous frappa : c’était l’augmentation considérable du volume du foie et de la rate. […] Quant à l’examen du sang, le nombre de globules rouges égale 8 450 000 » [2]. On peut aussi remarquer que Vaquez, encore chef de clinique, figure en premier auteur des Leçons et mémoires de la Clinique de La Charité, par le professeur Potain et ses collaborateurs [3], publiées en 1894, ce qui rend certainement compte de la confiance et de l’intérêt que Potain (très grand travailleur, à l’écriture très facile) lui portait. Aussi la délégation de cette tâche n’avait-elle probablement pour seul but que de valoriser un élève qui présentait le médicat des Hôpitaux l’année suivante. Devenu médecin des Hôpitaux en 1895, Vaquez reste aux côtés de son maître. S’il publie un petit ouvrage sur les coagulations sanguines intravasculaires en 1896 [4], c’est surtout la préparation de l’agrégation qui marque cette période, et le soutien de son « patron » explique là aussi l’orientation claire de l’exposé de titres et travaux qu’il présente en 1898 : Concours pour l’agrégation. Section de pathologie interne et de médecine légale, janvier 1898. Exposé des titres et travaux du Dr Henri Vaquez. Hygiène des maladies du cœur, Ed G Steinheil, Paris 1898. La même thématique fait l’objet, un an plus tard, alors que Vaquez vient d’être nommé professeur agrégé, d’une nouvelle publi-

HISTOIRE DE LA MÉDECINE cation, Hygiène des maladies du cœur, préfacée par Potain [5]. Il est évidemment tentant de placer à ce moment, et en raison des liens qui devaient certainement unir un maitre et un élève si brillants et si dévoués l’un à l’autre, le virage cardiologique de Vaquez. Potain meurt en effet très peu de temps après (1901), et, comme l’indique C. Laubry, Vaquez poursuit naturellement sa thématique de recherche : « Potain vient de disparaître. Vaquez porte son effort sur la tension artérielle. Il sait, par son habileté se mettre à l’abri des causes d’erreur dans l’usage du sphygmomanomètre de Potain » [1]. Les années qui suivent, à La Charité puis Saint-Antoine (1902) jusqu’au départ à la Pitié (1920), sont marquées par l’importance des travaux cardiologiques, avec Battements du cœur et arythmies (1909), De la valeur comparée de l’orthodiagraphie et de la percussion du cœur dans le rétrécissement mitral pur (1909), Les arythmies (Ed. J.-B. Baillière, 1911), Le cœur et l’aorte, études de radiologie clinique (Ed. J.-B. Baillière, 1913), Comment se constitue une lésion valvulaire du cœur ? (Semaine médicale, 1914). En 1908, Vaquez fonde les Archives des maladies du cœur, des vaisseaux et du sang, avec Charles Laubry, Charles Aubertin (rédacteurs en chef) et Jean Heitz (secrétaire de rédaction). Cette publication spécialisée dans la pathologie cardiovasculaire précède d’une trentaine d’années la parution des autres journaux de cardiologie, nés avec la création des sociétés de cardiologie au milieu des années trente. Le projet qu’expose Vaquez, directeur du Comité de rédaction, dans le programme du premier numéro, est double : présenter « des travaux originaux qui, disséminés dans des revues de médecine générale, passent souvent inaperçus du public qu’ils voudraient le plus directement intéresser ; grouper à l’adresse de ce même public,

soit par des comptes rendus détaillés de Sociétés savantes, soit par des analyses suffisamment longues, soit par une bibliographie consciencieuse, les travaux relatifs aux maladies de l’appareil circulatoire et du sang » [6]. La carrière de Vaquez, orientée très tôt par son maître Edouard Potain, a bénéficié de plusieurs atouts personnels majeurs, au rang desquels figure d’abord une intelligence supérieure. « Servi jusqu’au bout et sans défaillance par sa magnifique intelligence », indique C. Laubry, « il n’admettait aucune diminution de son activité » [1]. Vaquez est aussi fidèle, dans FIG. 2 – Louis-Henri Vaquez, par E. Pirou ses engagements aux côtés (© Bibliothèque interuniversitaire de d’un maître qui ne l’est pas médecine, Univeristé Paris V). moins, et avec ses élèves. « Estce le fait d’avoir vécu à ses côtés pendant près de quarante ans », de sa science, de son enthousiasme, de rapporte C. Laubry au début de son son idéal, autant il était peu jaloux de éloge dans les Archives en 1936, ses amitiés ». Des amitiés, il en a en fait « d’avoir vieilli avec lui dans une intibeaucoup, en particulier dans les mité qui entretient pour les êtres milieux artistiques, où il emmène son aimés l’illusion que le temps les élève, puis adjoint Laubry : « Il fut avec épargne ? » [1]. Dans ses amitiés aussi. son frère Lucien un des premiers pèleS’il se marie assez tard (ayant sans rins de Bayreuth, mais il était un fidèle doute privilégié auparavant sa vie prode Bach et de Beethoven. En même fessionnelle), c’est encore Fernand temps qu’il me faisait connaître Widal qui est témoin de son mariage le Cézanne, Monet, Renoir, Toulouse26 juillet 1913. Lautrec, je l’accompagnais au Louvre Faute de documents, mais sans auprès de nos grands français. Je le doute aussi du fait de sa discrétion, suivis en Belgique, en Hollande. […] nous ne savons pas grand-chose de la Au cours de ses nombreux voyages en place qu’occupait la part « humaItalie, en Grèce, en Egypte, il fut un niste » dans l’exercice médical de merveilleux ambassadeur de la médeVaquez. Laubry souligne cependant cine et de la pensée française » [1]. « que son esprit n’était pas seulement Parmi les amis de Vaquez, le curieux de sa science favorite, mais de peintre Edouard Vuillard, de huit ans tout ce qui console et de ce qui embelplus jeune que lui, occupe une place à lit la vie ». S’il ne s’agit pas d’une part. Les deux hommes se seraient hagiographie comparable à celle de rencontrés, d’après J.-L. Binet, le Daudet en éloge à Potain (voir AMCP 16 décembre 1894, lors d’une consulN° 162), c’est néanmoins précis. tation auprès de la sœur du peintre, « Autant, ajoute-t-il, il était peu avare Marie, qui présente une crise AMC pratique n° 169 juin 2008

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d’éclampsie [6]. En 1896, Vaquez commande à Vuillard quatre grands panneaux peints pour la bibliothèque de son appartement, rue du général Foy, aujourd’hui exposés au musée du Petit-Palais : Le travail, Le choix des livres, dit aussi La bibliothèque, L’intimité et La musique. « Ces quatre panneaux sur toile (212,5 x 154,5 cm, don de madame V. en 1936) ornaient une petite pièce, probablement la bibliothèque d’un cardiologue parisien, médecin de Daudet puis de Marcel Proust, le docteur Henri Vaquez, amateur passionné d’art moderne ». En 19181921, Vuillard peint le célèbre

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tableau Le cardiologue Vaquez et son assistant le docteur Parvu à l’hôpital de la Pitié, actuellement exposé au musée de l’Assistance Publique à Paris. L’œuvre est superbe, plus vivante que n’importe quelle photographie, mais elle nous apporte aussi un témoignage supplémentaire et unique de Vaquez réalisant un enregistrement sur cylindre graphique de la pression artérielle au chevet d’un malade, en un mot de Vaquez à l’œuvre, à son œuvre. Remerciements : La bienveillance et l’aide de madame Guillemette UtardWlerick (BIUM) a permis la documentation de cet article. ■

Références

1. Laubry C. LouisHenri Vaquez : 18601936. Arch Mal Cœur Vaiss 1936. 2. Vaquez H. Sur une forme spéciale de cyanose s’accompagnant d’hyperglobulie excessive et persistante. Compte rendus des séances de la Société de biologie et de ses filiales 1892, 44 : 384-8. 3.Vaquez LH, Potain PCE, Suchard EG, François-Franck CA. Clinique de La Charité. Leçons et mémoires de la par le professeur

Potain et ses collaborateurs. Ed. G. Masson, Paris, 1894. 4.Vaquez H. Des coagulations sanguines intravasculaires. Ed. Crépin-Leblond, Nancy 1896. 5.Vaquez H. Hygiène des maladies du cœur. Préface du professeur Potain. Ed. Masson, Paris, 1899. 6.Vaquez H. Programme. Arch Mal Cœur Vaiss Sang 1908, 1 : 1. 7. Binet JL. Vuillard et Vaquez. Lettre Académie des Beaux Arts 2004, N°39 : 15.