Bull Cancer 2015; 102: 898–905
Article original
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Prévalence, indication et conformité aux recommandations de prescription d'héparine de bas poids moléculaire en oncologie Jérôme Danklou 1, Geoffrey Strobbe 2, Stéphanie Delbey 2, Danièle Lefebvre-Kuntz 1, Guillaume Marliot 2
Reçu le 30 avril 2015 Accepté le 11 septembre 2015 Disponible sur internet le : 21 octobre 2015
1. Centre Oscar-Lambret, département d'anesthésie, réanimation et algologie, 3, rue Combemale, 59020 Lille cedex, France 2. Centre Oscar-Lambret, service de pharmacie, 3, rue Frédéric-Combemale, BP 307, 59020 Lille cedex, France
Correspondance : Guillaume Marliot, centre Oscar-Lambret, service de pharmacie, 3, rue FrédéricCombemale, BP 307, 59020 Lille cedex, France.
[email protected]
Mots clés Cancer Thrombose Héparine de bas poids moléculaire
898
Keywords Cancer Thrombosis
Résumé Introduction > La maladie thromboembolique veineuse représente une complication fréquente au cours du cancer et en est la deuxième cause de décès après les infections. L'héparine de bas poids moléculaire est le traitement de premier choix dans la maladie thromboembolique veineuse au cours du cancer. Ce travail avait pour but d'évaluer la prévalence des prescriptions d'héparines de bas poids moléculaire à dose curative ainsi que la conformité de nos pratiques au regard des recommandations. Méthodes > Une étude rétrospective a été menée, sur un trimestre, concernant les patients adultes présentant une thrombose et bénéficiant d'un traitement par héparine de bas poids moléculaire à dose curative. Résultats > Une prévalence de prescription d'héparine de bas poids moléculaire à dose curative de 4 % a été retrouvée. Les résultats montraient une découverte fortuite de la maladie thromboembolique veineuse dans 64 % des cas sur un bilan d'imagerie. L'indication la plus fréquente était le traitement d'une thrombose veineuse profonde (51 % des cas). La conformité globale des prescriptions est estimée à 55 %, compte tenu de la posologie. Discussion > Le taux de découverte fortuite retrouvé (64 %) est cohérent avec les données de la littérature qui confirment l'incidence importante des thromboses asymptomatiques. Le taux de non-conformité des prescriptions (45 %) résulterait d'un manque de réévaluation et d'adaptation des posologies. Ces résultats confirment la nécessité de sensibiliser davantage les praticiens quant au diagnostic et à la prise en charge adaptée de la maladie thromboembolique veineuse.
Summary Prevalence, indication and compliance with the recommendations of prescription of low molecular weight heparin in oncology
tome 102 > n811 > novembre 2015 http://dx.doi.org/10.1016/j.bulcan.2015.09.003 © 2015 Société Française du Cancer. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction > Venous thromboembolism is a common complication in cancer and is the second cause of death below infection. Low molecular weight heparin is the gold standard in venous thromboembolism during cancer. This work aimed to evaluate the prevalence of prescription of low molecular weight heparin used at curative dose and the compliance of our practices with the recommendations. Methods > A retrospective study was led over a 3-month period, on adult patients suffering from venous thromboembolism who had received low molecular weight heparin at curative dose. Results > A 4% prevalence of prescription of low molecular weight heparin at curative doses has been reported. The results showed an incidental discovery of venous thromboembolism on routine restaging scans in 64% cases. The most found indication was the treatment of deep vein thrombosis (51% cases). According to the dosage, overall compliance of prescription is estimated at 55%. Discussion > The incidental discovery rate (64%) is consistent with the literature that confirms the high incidence of asymptomatic thrombosis. The rate of non-compliant prescriptions could result from a lack of re-evaluation and adjustment of dosages. These results confirm the need to educate practitioners in diagnosing and managing venous thromboembolism.
Introduction
Méthode
La maladie thromboembolique veineuse (MTEV) représente une complication fréquente au cours du cancer et en est la deuxième cause de décès après les infections. Quinze à 20 % des patients cancéreux développent une MTEV. Le risque postopératoire est multiplié par deux et le risque de récidive de thrombose est quant à lui multiplié par trois [1]. Par ailleurs, l'incidence de survenue de la MTEV au cours du cancer n'a cessé d'augmenter ces dernières années, phénomène que l'on peut expliquer par : l'augmentation de l'espérance de vie, l'administration de cures de chimiothérapies, l'utilisation d'inhibiteurs de tyrosine kinase antiangiogéniques, l'utilisation croissante de cathéters veineux centraux, l'amélioration des moyens diagnostiques permettant de détecter les embolies pulmonaires même asymptomatiques et la sensibilisation des praticiens concernant le lien entre cancer et thrombose [2,3]. Les recommandations internationales et françaises préconisent le choix d'une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) en première intention dans le traitement de la MTEV au cours du cancer en l'absence de contre-indication [4–8]. Même si les HBPM ont l'avantage d'entraîner peu d'interactions médicamenteuses contrairement aux antivitamine K (AVK), ces thérapeutiques peuvent provoquer des accidents hémorragiques graves pouvant être potentialisés par une thrombopénie chimioinduite. De plus, il existe peu de données sur le respect des recommandations et la prescription des HBPM dans la MTEV au cours du cancer en France [9,10]. Afin de mieux évaluer la prescription des HBPM dans la MTEV, une évaluation des pratiques professionnelles a été menée au sein de notre établissement, spécialisé dans la prise en charge des tumeurs solides. Les objectifs étaient de connaître la prévalence de la prescription d'HBPM, d'en connaître les indications et la conformité d'utilisation au regard des recommandations.
Population de l'étude
tome 102 > n811 > novembre 2015
Une étude rétrospective a été menée sur une période de trois mois (septembre à novembre 2014), concernant les patients adultes atteints de cancer ayant bénéficié d'un traitement par HBPM à dose curative. Les patients concernés étaient hébergés dans les divers services d'hospitalisation conventionnelle médicale hors chirurgie (67/220 lits) de notre établissement.
Recueil des données Une requête de la base de données de notre logiciel de prescription DxCare® (MEDASYSTM) a été réalisée. Pour chaque patient bénéficiant d'une anticoagulation HBPM à dose curative, tous les séjours d'hospitalisation pendant la période concernée ont été pris en compte. Les critères d'exclusion étaient la prescription d'une HBPM à dose curative pour une indication autre que la MTEV (fibrillation atriale, compression veineuse et syndrome cave supérieur, cardiopathie ischémique, antécédent d'accident vasculaire cérébral, pontage artériel). La grille de recueil de l'étude comportait les items suivants : les données sociodémographiques et anthropométriques (âge, sexe, poids), les données sur la pathologie néoplasique (localisation, histologie, statut métastatique), les antécédents de MTEV et de thrombopénie induite par l'héparine (TIH), l'état de la fonction rénale, le motif d'hospitalisation, la prise en charge antitumorale en cours (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie inférieure à trois mois, curiethérapie), l'HBPM prescrite (spécialité, dosage, posologie, circonstances d'instauration du traitement), le mode de découverte de la thrombose et les complications liées au traitement.
899
Low molecular weight heparin
Article original
Prévalence, indication et conformité aux recommandations de prescription d'héparine de bas poids moléculaire en oncologie
Article original
J. Danklou, G. Strobbe, S. Delbey, D. Lefebvre-Kuntz, G. Marliot
Analyse des dossiers
TABLEAU I
L'analyse des dossiers a été réalisée par un groupe pluridisciplinaire (médecins, pharmaciens). Toute prescription était considérée comme conforme si la posologie de l'HBPM était celle de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) (10 %) et s'il n'y avait pas d'insuffisance rénale sévère (clairance à la créatinine inférieure à 30 mL/min). Les caractéristiques des patients ont été présentées avec les méthodes classiques de la statistique descriptive : pourcentages pour les variables catégorielles ; médianes et valeurs extrêmes pour les variables continues. Pour les variables qualitatives, la corrélation entre la posologie et les facteurs prédictifs a été étudiée à l'aide du test du Chi2 quand l'effectif théorique dans chaque groupe était supérieur ou égal à 5 et dans le cas contraire par le test de Fisher exact. Pour les variables quantitatives, la corrélation entre la posologie et les facteurs prédictifs de non-conformité a été étudiée à l'aide du test de Student quand les variables étaient normales ou du test de KruskallWallis dans le cas contraire. Le seuil de significativité a été fixé à p < 0,05 pour tous les tests. Les analyses statistiques ont été réalisées à l'aide du logiciel Stata v13.1 (StataCorp. 2009. Stata Statistical Software : release 11. College Station, TX : StataCorp LP).
Caractéristiques démographiques, thromboemboliques
Résultats
Type histologique
Population de l'étude Sur la période d'étude, 1633 séjours d'hospitalisation ont eu lieu dans les services concernés. Quatre-vingt quinze de ces séjours comportaient une prescription d'HBPM à dose curative, parmi lesquels, 74 ont été retenus en raison des critères d'inclusion, ce qui correspondait à une prévalence de prescription de 4 %. L'ensemble de ces dossiers concernait un total de 47 patients. Le nombre de séjours d'hospitalisation par patient sur la période de l'étude s'étalait d'un à quatre. L'ensemble des caractéristiques démographiques est regroupé dans le tableau I.
Caractéristiques oncologiques et thromboemboliques Les tumeurs les plus fréquentes dans cette étude étaient les cancers digestifs et gynécologiques et le type histologique le plus fréquent était l'adénocarcinome (tableau I). La grande majorité des patients (96 %) présentait un stade métastatique. Un antécédent de MTEV était retrouvé chez 34 % d'entre eux. Sur les 47 patients, 20 (43 %) présentaient une embolie pulmonaire, 24 (51 %) une thrombose veineuse profonde (TVP) et trois (6 %) avaient une thrombose sur dispositif intraveineux central. Par ailleurs, le diagnostic de l'événement thromboembolique chez 64 % des patients était de découverte fortuite sur un bilan d'imagerie.
oncologiques
et
n (%)
Caractéristiques Démographie Nombre de patients
47
Sex-ratio
0,88
Nombre d'hommes
22
Nombre de femmes
25
Âge médian (ans)
61 [24–83]
Tumeur primitive Poumon
5 (11)
Sein
6 (13)
Digestif
9 (19)
Urologique
7 (15)
Gynécologique
8 (17)
ORL
3 (6)
Autres
9 (19)
Adénocarcinome
18 (38)
Autres carcinomes
15 (32)
Sarcome
11 (24)
Autres
3 (6)
Stade métastatique et antécédents de MTEV Métastases
45 (96)
Antécédents de MTEV
16 (34)
MTEV en cours de traitement Embolie pulmonaire
20 (43)
Thrombose veineuse profonde
24 (51)
Dont membres supérieurs
4 (17)
Dont membres inférieurs
8 (33)
Dont veine iliaque
4 (17)
Dont veine cave
8 (33)
Thrombose sur dispositif intraveineux central
3 (6)
Découverte fortuite Découverte fortuite sur bilan d'imagerie
30 (64)
Données relatives aux séjours étudiés
900
Les principaux motifs d'hospitalisation étaient la réalisation d'une cure de chimiothérapie (46 %), l'altération de l'état
tome 102 > n811 > novembre 2015
TABLEAU II
Article original
Prévalence, indication et conformité aux recommandations de prescription d'héparine de bas poids moléculaire en oncologie
n = 60 séjours
Données relatives aux séjours étudiés
40% 35%
Caractéristiques
n (%)
30% 25%
Séjours
20%
Nombre de séjours
74
Oncologie médicale
69 (93)
Unité de soins palliatifs
5 (7)
15% 10%
5% 0%
< 1 mois
Motifs d'hospitalisation 34 (46)
Radiothérapie
3 (4)
Altération de l'état général
6 (8)
Infection
5 (7)
Dyspnée
3 (4)
MTEV
5 (7)
Soins de supports et autres
18 (24)
Prise en charge oncologique Chimiothérapie en cours
45 (61)
Dont thérapie antiangiogénique
0 (0)
Radiothérapie en cours
9 (12)
Curiethérapie en cours
1 (1)
Chirurgie inférieure à 3 mois
6 (8)
Pas de prise en charge spécifique
13 (18)
général (8 %), la prise en charge d'une infection (7 %) et la suspicion d'une MTEV (7 %) (tableau II). La majorité des patients (73 %) bénéficiait en parallèle d'un traitement spécifique antitumoral (chimiothérapie 61 %, radiothérapie 12 %). Aucun patient n'était traité par thérapie antiangiogénique au moment de l'étude. Sur l'ensemble des séjours, cinq survenaient dans l'unité de soins palliatifs (USP).
Répartition des durées de traitement
prescriptions de tinzaparine, 55 % des posologies étaient comprises entre 166 et 199 UI AXa/kg, et 23 % étaient supérieures à 200 UI AXa/kg. Un pourcent des posologies n'a pas pu être déterminé en raison de l'absence d'enregistrement du poids du patient dans les dossiers (fig. 3). Au total, 55 % des prescriptions étaient conformes au regard des données posologiques et de clairance à la créatinine. Aucune différence statistiquement significative n'a été retrouvée, quel que soit le facteur prédictif de non-conformité testé (tableau III). Trois cas d'accidents hémorragiques mineurs étaient survenus pendant l'ensemble des séjours sans lien avec un surdosage, une insuffisance rénale ou un traitement concomitant antiangiogénique.
Discussion Cette évaluation des pratiques professionnelles a permis, par l'analyse informatique exhaustive des dossiers patients, de mettre en évidence une prévalence de prescription d'HBPM à dose curative de 4 %. De plus, les résultats montraient une découverte fortuite par imagerie de la MTEV dans 64 % des cas. L'indication la plus fréquemment retrouvée était le traitement d'une TVP (51 % des cas). La conformité globale des
Données sur l'attitude thérapeutique
tome 102 > n811 > novembre 2015
> 6 mois
Figure 1
1%
L'ensemble des patients inclus dans l'étude a bénéficié d'un traitement par la tinzaparine (seule HBPM à dose curative référencée dans notre établissement sur la période). Sur les 47 patients de l'étude, le traitement était instauré pour 40 d'entre eux dans notre établissement, soit 85 %. La durée médiane de traitement était de 64 jours (de deux à 531 jours). Dans 12 % des cas, la durée du traitement était supérieure à six mois (fig. 1). Sur le nombre total de séjours, 13 % de cas d'insuffisance rénale modérée à sévère étaient identifiés avec 1 % de cas de clairance de Cockcroft < 30 mL/min (fig. 2). Concernant les
3 - 6 mois
n = 74 séjours 12% < 30 mL/min 30-60 mL/min > 60 mL/min
87%
Figure 2 Répartition des valeurs de clairance à la créatinine (Cockroft) observées
901
Chimiothérapie
1 - 3 mois
Article original
J. Danklou, G. Strobbe, S. Delbey, D. Lefebvre-Kuntz, G. Marliot
n = 74 séjours 60% 50% 40%
30% 20% 10% 0%
≤ 165 UI AXa/kg
166 - 199 UI AXa/kg
≥ 200 UI AXa/kg
Non déterminée
Figure 3 Répartition par posologie des prescriptions de tinzaparine
902
prescriptions (reconduction et instauration de traitement) est estimée à 55 %, compte tenu de la posologie et de la clairance à la créatinine. Les cancers les plus thrombogènes retrouvés au sein de la cohorte étaient les cancers digestifs (19 %), gynécologiques (17 %) et urologiques (15 %). Les cancers du poumon n'étaient retrouvés que dans 11 % des cas. Les cancers du sein, bien que représentant 32 % des cancers suivis dans notre établissement, n'étaient retrouvés que dans 13 % des cas dans la population de l'étude. Les résultats concernant les sites tumoraux sont transposables à ceux de l'étude Carmen en dehors des cancers du poumon et gynécologiques retrouvés respectivement dans 21 % et 10 % des cas [11]. Comme attendu dans la littérature, les principaux facteurs de risques de thrombose au cours du cancer retrouvés dans notre étude sont : le type adénocarcinome (38 %), les antécédents de MTEV (34 %), le stade métastatique (96 %) et la chimiothérapie (61 %). Selon les recommandations formulées par l'Institut national du cancer (INCa), l'Association francophone pour les soins oncologiques de support (AFSOS) et l'American Society of Clinical Oncology (ASCO), le choix doit être porté sur une HBPM en première intention pour le traitement d'une MTEV en cas de cancer [4,12,13]. De plus, les études CLOT et Lite, comparant respectivement l'efficacité de la dalteparine et de la tinzaparine à un AVK, ont démontré la supériorité de ces HBPM dans la prévention de la récidive de la MTEV chez les patients cancéreux [14,15]. Malgré ces recommandations, des méta-analyses avaient retrouvé des données divergentes chez des patients cancéreux présentant une thrombose : dans une étude française réalisée à Poitiers, concernant 145 patients cancéreux, Belhadj Chaidi et al. avaient retrouvé 23 % de patients sous AVK et 15 % sous fondaparinux [16]. Dans l'étude italienne Multicenter Advanced Study for a ThromboEmbolism Registry (MASTER), 64 % des 424 patients atteints d'un cancer et présentant une MTEV étaient traités par AVK et dans l'étude espagnole RIETE, 32 % des 5483 patients présentant une MTEV étaient traités par AVK [17,18]. Dans notre étude, les patients bénéficiant d'une
anticoagulation par AVK n'ont pas pu être identifiés ; les critères de sélection de l'étude ne permettant d'identifier que les patients bénéficiant d'une HBPM à dose curative. Concernant les posologies, des non-conformités ont été retrouvées : 20 % des posologies étaient sous-dosées et 23 % supérieures à 200 UI AXa/kg (AMM à 175 UI AXa/kg pour la tinzaparine). Aucune justification de réduction de doses notamment dans le cadre d'une hémorragie ou d'augmentation des doses pour une récidive de la MTEV n'était retrouvée dans les dossiers étudiés [19]. Ces non-conformités de posologies peuvent être expliquées par la non-prise en compte de la variation du poids des patients au cours des différents séjours ou par la reconduction des posologies antérieures sans réévaluation. Quant à la fonction rénale, 13 % des patients inclus présentaient une insuffisance rénale modérée à sévère avec 1 % de cas avec une clairance inférieure ou égale à 30 mL/min, ce qui constitue une contre-indication absolue selon l'AMM. Malgré cette altération de la fonction rénale et les posologies parfois non adaptées, il n'y avait pas d'accidents hémorragiques majeurs observés dans les dossiers. Une étude avait démontré l'intérêt des HBPM dans l'insuffisance rénale chronique et surtout de la tinzaparine qui serait l'HBPM de premier choix dans l'insuffisance rénale quel qu'en soit le stade, en raison d'une non-accumulation [20]. La durée médiane des traitements initiés avant l'hospitalisation était de 64 jours avec une durée maximale de 531 jours. L'INCa recommande une anticoagulation d'au moins six mois, voire audelà, tant que la maladie cancéreuse est active [4]. Dans notre étude, sept cas dont la durée de traitement était supérieure à six mois sont rapportés. Parmi ces cas, seuls trois cas concernaient des patients en cours de chimiothérapie. L'anticoagulation curative au long-cours devrait donc bénéficier d'une meilleure réévaluation. Concernant le caractère fortuit de la découverte de la MTEV, le taux de 64 %, retrouvé dans notre étude, est cohérent avec les données de la littérature qui confirment la prévalence importante des MTEV asymptomatiques. Dans une cohorte rétrospective concernant des patients traités par chimiothérapie à base de cisplatine, 44 % des évènements thromboemboliques retrouvés étaient de découverte fortuite [21]. Dans une étude de Singh et al. de 2010, 50 % de thrombose veineuses profondes asymptomatiques et 32 % d'embolie pulmonaires asymptomatiques étaient retrouvés [22]. Cependant, une étude de O'Connell et al. rapportent que la majorité des embolies pulmonaires découvertes fortuitement dans sa cohorte (75 %) étaient en réalité symptomatiques mais confondues avec les symptômes de la pathologie tumorale (asthénie et dyspnée) [23]. La prise en charge des MTEV asymptomatiques fait l'objet de plusieurs études et des recommandations récentes structurant cette prise en charge préconisent le même traitement que les MTEV symptomatiques [24–27]. Par ailleurs, la prévalence de prescription d'HBPM à dose curative pour une MTEV retrouvée dans notre évaluation (4 %) se
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TABLEAU III Facteurs de non-conformité de prescription d'HBPM à dose curative chez des patients atteints de cancer p F = Fisher K = Kruskall-Wallis
Conformité de prescription Non
Oui n = 41 séjours
Sous dosage n = 15 séjours
Sur dosage n = 17 séjours
n (%)
n (%)
n (%)
Établissement
37 (60)
12 (20)
12 (20)
Extérieur
4 (33)
3 (25)
5 (42)
Article original
Prévalence, indication et conformité aux recommandations de prescription d'héparine de bas poids moléculaire en oncologie
Instauration
0,43(F)
Prescripteur Interne
29 (60)
10 (21)
9 (19)
Senior
12 (48)
5 (20)
8 (32) 0,08(F)
Service Oncologie générale
20 (61)
6 (18)
7 (21)
Cervicofacial
4 (44)
4 (44)
1 (12)
Sénologie
3 (25)
4 (33)
5 (42)
Soins palliatifs
2 (50)
0 (0)
2 (50)
Urodigestif
12 (80)
1 (7)
2 (13) 0,57(F)
Mois du séjour Septembre
17 (53)
5 (16)
10 (31)
Octobre
13 (56)
5 (22)
5 (22)
Novembre
11 (61)
5 (28)
2 (11) 0,20(F)
Fonction rénale IR modérée
4 (44)
1 (12)
4 (44)
IR sévère
0 (0)
0 (0)
1 (100)
Normale
37 (59)
14 (22)
12 (19) 0,06(K)
Âge Médiane – min/max
59 24-79
64 55-83
55 24–79
Moyenne – écart-type
57,5 13,6
66,3 8,8
57,2 17,7
tome 102 > n811 > novembre 2015
propre recrutement et ses propres modalités de prise en charge. Aucun facteur prédictif de non-conformité significatif n'a pu être identifié. Ceci pourrait s'expliquer par le faible effectif de notre cohorte. Toutefois, le mode de recueil des informations via la prescription informatisée garantit l'exhaustivité des données.
Conclusion De nombreuses recommandations cadrant la prise en charge de la MTEV chez le patient cancéreux existent. Ce travail avait pour but d'évaluer la prévalence des prescriptions d'HBPM à dose curative ainsi que la conformité de nos pratiques en regard de ces recommandations. Une prévalence de prescription de (4 %) a été identifiée et le diagnostic de la MTEV a été fait fortuitement
903
rapproche des données rapportées dans une étude de Khorona et al., publiée en 2007 dans laquelle 3,4 % de plus d'un million de patients atteints de cancer hospitalisés présentaient une thrombose [28]. Dans notre étude, 7 % des séjours ont été réalisés en USP. De ce fait, la problématique du maintien d'une anticoagulation curative a été soulevée. Il n'existe pas encore en France de recommandations officielles sur l'intérêt de la poursuite de l'anticoagulation curative en soins palliatifs. En revanche, une étude française a suggéré que l'emploi d'HBPM, même en prophylaxie, n'était pas forcément légitime au stade palliatif [29]. Notre étude présente la limite d'être unicentrique et ne reflète que la situation d'un établissement bien particulier, avec son
Article original
J. Danklou, G. Strobbe, S. Delbey, D. Lefebvre-Kuntz, G. Marliot
dans 64 % sur un bilan d'imagerie. Le taux de non-conformité des prescriptions de 45 % résulterait d'un manque de réévaluation et d'adaptation des posologies. Ces résultats confirment la nécessité de sensibiliser davantage les praticiens quant au diagnostic et à la prise en charge adaptée de la MTEV. Des réunions de concertation pluridisciplinaires voient le jour dans certaines villes [30]. Cette démarche pourrait être un support permettant de prendre en charge de manière optimale les patients cancéreux atteints de MTEV.
Remerciements : Tous nos remerciements au Dr Nicolas Penel pour sa relecture et ses conseils avisés. Nous remercions Kathleen Lorthios pour son aide lors de la compilation des données recueillies, Émilie Bogart pour l'analyse statistique des données et Amy Dericquebourg pour sa participation à la rédaction initiale de la grille de recueil. Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
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Article original
Prévalence, indication et conformité aux recommandations de prescription d'héparine de bas poids moléculaire en oncologie