Transition enfant-adulte au cours de la mucoviscidose

Transition enfant-adulte au cours de la mucoviscidose

Article Transition enfant-adulte au cours de la mucoviscidose Adolescents with cystic fibrosis: the approach to transition from paediatric to adult c...

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Transition enfant-adulte au cours de la mucoviscidose Adolescents with cystic fibrosis: the approach to transition from paediatric to adult care M. Murris-Espina,*, A. Le Borgnea, G. Vignala, L. Tetua, A. Didiera Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

aCRCM adulte, Service de Pneumologie-Allergologie, Unité de Transplantation Pulmonaire. Clinique des Voies Respiratoires, Hôpital Larrey, CHU de Toulouse, 24 chemin de Pouvourville, TSA 30030 - 31059 TOULOUSE Cedex 09, France

Résumé Grace à une prise en charge spécialisée précoce, la plupart des enfants porteurs de mucoviscidose arrivent désormais à l’âge adulte et doivent quitter leurs équipes de soins pédiatriques pour des CRCM (Centres de ressources et de compétences pour la mucoviscidose) pour adultes. Ce passage est un moment crucial dans leur parcours de soins. C’est l’acquisition de l’autonomie pour la gestion d’une pathologie justifiant des soins quotidiens durant toute une vie. Le transfert peut être difficile et source d’aggravation. Il doit être anticipé, partagé avec tous les acteurs : patient adolescent, parents, équipes pluridisciplinaires pédiatriques et pour adultes. Préparation précoce, éducation thérapeutique, autonomisation, partage d’information, réflexion sont indispensables pour un transfert réussi chez un patient en état stable. Des référentiels peuvent aider les équipes à optimiser et formaliser le transfert.

*Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (M. Murris-Espin).

12S54

© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2016;23:12S54-12S60

Abstract Because of early and effective therapies, an increasing numbers of young people with cystic fibrosis (CF) reach adulthood. Preparing for and maintaining high quality CF care in the adult healthcare is critical for prolonged survival. Because adverse health consequences occur when inadequate transition arrangements are in place, safely transferring patients from pediatric to adult care is a priority. Key features include an early preparation, planning and self-management skills, a coordinated approach and a detailed communication between patients, families, pediatric and adult teams. Formal transition protocols and audits can support the process and be helpful for multidisciplinary teams.

Transition enfant-adulte au cours de la mucoviscidose

1. Introduction

50  % des patients suivis en 2014 en France par les CRCM avaient

Consacrer un chapitre à la transition du secteur pédiatrique vers

récemment publiées n’en font pas mystère [6], le nombre d’adultes

la médecine pour adultes au cours d’une maladie chronique aussi

va augmenter de 75  % dans les pays occidentaux, justifiant une

grave que la mucoviscidose, c’est parler espoir, progrès médicaux

prise en charge hautement spécialisée, concernant non seulement

avérés. Si cet évènement ne concernait autrefois qu’une minorité de

les aspects respiratoires mais aussi nutritionnels, la transplantation,

patients, ce n’est plus le cas. Certes, le parcours doit encore et tou-

la fertilité, l’épanouissement professionnel et familial. La transition

jours être préparé et partagé mais les jeunes adultes transférés sont

est un point crucial sur le devenir, l’engagement du jeune patient

désormais accueillis par des équipes expérimentées depuis souvent

dans le système de santé. Il a été rapporté dans plusieurs patholo-

plus de 20  ans et, pour les plus récents des centres pour adultes,

gies chroniques, l’impact négatif d’une transition manquée sur la

depuis 2001, date de la circulaire créant les centres de ressources

mortalité et la morbidité (réduction de la présence en consultation,

et de compétences de la mucoviscidose (CRCM) pédiatriques, pour

décès prématurés, dégradation clinique) [2, 7]. Ce n’est pas toujours

adultes et mixtes [1]. L’expérience a parfois été difficile mais tou-

le cas pour la mucoviscidose [8], notamment en France actuelle-

jours riche d’enseignements grâce au partenariat avec la pédiatrie,

ment, puisque le volume expiratoire maximum par seconde (VEMS)

les parents, les acteurs libéraux. La problématique est cependant

médian des 18-30  ans est passé de 52 à 74  % en 10  ans, ce qui

différente de celles des pathologies chroniques plus fréquentes

témoigne de l’amélioration de la fonction respiratoire des patients,

telles que l’asthme. Le passage en secteur pour adulte s’accom-

même après leur transfert chez les adultes [9].

pagne d’un risque de perte de vue, d’arrêt des soins et d’aggravation

On peut donc espérer que c’est avec moins d’angoisse que les

de la maladie [2], mais il est probablement mieux appréhendé que

jeunes adultes arrivent dans les unités de pneumologie (ou de

dans d’autres pathologies chroniques plus «  banales  ». En effet,

médecine interne) pour adultes. Néanmoins, des réticences au

les maladies génétiques comme la mucoviscidose représentent

transfert existent toujours, des « représentations » ou idées reçues

des petites cohortes bien suivies, entourées d’un tissu associatif  ;

persistent  : l’équipe de pédiatrie est souvent présentée comme

les familles sont bien informées, soucieuses  d’une prise en charge

une équipe assurant les soins tout en entourant le patient, alors

optimale compte tenu du pronostic sévère, source de pression pour

que l’équipe pour adulte est perçue comme plus centrée vers la

chacun des intervenants. Le corollaire est simple  : il n’y a pas de

pathologie et le résultat, plutôt que vers l’empathie. Les parents

droit à l’erreur, à la perte de confiance, à la perte de vue.

peuvent avoir peur d’être totalement mis à l’écart, le patient d’être

Le transfert est un moment important et doit être réussi  ; c’est

mal préparé [10] ou moins bien suivi [11].

plus de 18  ans [5]) et les projections européennes et françaises,

une forme de rituel de passage pour ces jeunes adultes. Il doit être préparé avec soin pour favoriser l’autonomie, l’indépendance et l’épanouissement du patient dans toutes les dimensions de sa vie d’adulte [3].

3. Préparer le transfert La période de transition est une période critique car le patient est

2. Problématique

un adolescent, un jeune adulte en pleine construction face à cette maladie chronique. Il a spontanément des réticences, c’est pour lui un saut dans l’inconnu (lieu habituellement méconnu, équipe

L’adolescence est un moment de la vie où chaque individu construit

soignante inconnue). Il va perdre une relation privilégiée avec son

son identité, son indépendance émotionnelle, financière, met en

pédiatre, son équipe para-médicale qui le connait depuis la petite

place des relations d’adulte et trouve sa place dans la société. Pour

enfance et peut se sentir abandonné ; il peut avoir peur que le nou-

l’adolescent malade, c’est aussi le moment de devenir responsable

veau médecin ne connaisse pas sa maladie, soit moins à l’écoute, il

de sa maladie, de la comprendre et d’en évaluer la morbidité, voire

peut avoir peur de la confrontation avec d’autres patients plus âgés,

la mortalité [4]. L’adolescence accélère le temps, libère, fait grandir,

porteurs de la même maladie et plus handicapés. La plupart des

et autonomise le patient  ; elle se heurte à la maladie chronique

équipes et des consensus s’accordent pour une transition entre 16

qui arrête le temps, contraint, fait régresser et rend dépendant.

et 18  ans, à moduler individuellement selon le niveau de maturité

Avoir une maladie chronique limite les aspirations de l’adolescent

et de santé du patient [12]. Cet âge correspond fréquemment à de

et être un adolescent gêne les soins. Néanmoins, c’est à la fin de

nombreux changements  : permis de conduire favorisant l’autono-

cette période cruciale que le transfert vers les équipes de soins pour

mie, départ du domicile familial, début d’études supérieures ou

adultes a lieu.

débuts professionnels. En 2008, aux États-Unis, l’âge médian du

Les données des registres nationaux et internationaux montrent

transfert était de 19  ans, et la première discussion sur le transfert

bien la prédominance d’adultes dans la population suivie (plus de

ne survenait pas avant 17 ans [13]. 12S55

M. Murris-Espin et al.

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Plusieurs procédures de transferts ont été développées par les

décisions médicales, savoir adapter son traitement à ses besoins

centres et commencent à être évaluées. Des protocoles de transition

(quantité d’enzymes pancréatique selon les ingestats, autonomie

«  étape par étape  » ont été formalisés par certaines équipes [14],

en kinésithérapie, soins en vacances ou en l’absence des parents,

mais ne sont pas systématiques [13]. Pendant l’enfance, c’est la

renouvellement des ordonnances…), être acteur de sa santé, des

famille entière qui est engagée auprès des soignants et l’éducation

discussions et propositions médicales, pouvoir discuter le bénéfice-

est essentiellement dispensée aux parents. Pour qu’un transfert soit

risque de telle ou telle proposition thérapeutique en fonction de ses

réussi, il est indispensable que le jeune apprenne à être autonome.

aspirations, de ses possibilités. Il devra donc être «  ré-éduqué  » à

Ces apprentissages ont fait l’objet de différentes check-lists sous

chaque opportunité, en intégrant de nouvelles dimensions comme

forme d’auto-évaluation ou remplies par l’équipe de pédiatrie ou les

la tératogénicité et les modalités de contraception pour la jeune

parents [15, 16, 17, 18]. En fait elles reprennent essentiellement les

femme, les conséquences de conduites à risque…il pourra trouver

objectifs de sécurité ciblés par l’éducation thérapeutique distribuée

un soutien dans les nouvelles technologies (les forums, les sites en

en pédiatrie, auxquels s’associent les notions d’insertion sociale,

lignes…).

d’indépendance financière, de projets de vie professionnels et extraprofessionnels, de socialisation. Ces listes de compétences peuvent être utilisées dès l’âge de 10-12  ans afin de permettre une dynamique et une évaluation simple de l’acquisition de l’autonomie, et

5. Préparer les parents

de mieux cibler le moment de la transition (ni trop tôt, ni trop tard).

Même s’ils sont conscients qu’il est logique et indispensable, le

À la prise en charge médicale de l’adolescent, doit donc être

transfert est une grande cause d’inquiétude pour les parents, plus

intégrée précocement  une forme de guidance visant à préparer le

encore que pour les enfants qui sont plutôt dans le «  on verra

futur adulte et ses parents à la notion d’autonomie et au travail

bien… ». Les craintes observées sont de ne plus jouer qu’un simple

de deuil, que concrétise le transfert de l’adolescent vers un service

rôle de figurants, de ne plus être informés, d’être exclus des soins, de

pour adultes [19]. Ainsi, dès l’âge de 15 ou 16 ans, il est souhaitable

ne pas être reconnus dans leur rôle de soutien, la non observance de

que l’adolescent vienne seul aux consultations qui ont encore lieu

leur enfant et la dégradation de son état de santé [10, 19, 20, 21]. Ces

en milieu pédiatrique, après en avoir expliqué soigneusement les

angoisses sont d’autant plus importantes qu’il existe des différences

raisons à l’intéressé et à ses parents.

entre les équipes pédiatriques et pour adultes dans les procédures de prise en charge diagnostique et thérapeutique, même si ces pro-

4. Préparer le patient

cédures sont tout aussi pertinentes (contrôle des infections croisées, mise en place des cures intra-veineuses, diffusion de l’information médicale). Ce point est important et peut être source de tensions

Le patient et sa famille doivent être préparés précocement par

avec la future équipe de soins, justifiant que parents et enfants en

l’équipe de pédiatrie sur les modalités de transfert, les différences

soient informés avant la transition.

possibles de prise en charge par l’équipe adulte : « ce sera différent

En secteur pour adultes, l’interlocuteur est avant tout le patient,

et c’est bien que ce soit différent  ». Être porteur d’une maladie

la famille n’est que secondairement impliquée, et seulement si le

chronique affecte le développement affectif de l’adolescent, même

patient donne son accord. La notion de « personne de confiance » est

si cet aspect n’est que rarement abordé dans les études cliniques.

importante et légale en France. L’article L.1111-6 du Code de la santé

Ce jeune est souvent surprotégé, parfois isolé socialement en raison

publique prévoit en effet que toute personne majeure peut désigner

de la lourdeur des soins (abandon, retard ou échec scolaire). Chez lui

une personne de confiance pour l’aider dans ses décisions, recevoir

les syndromes dépressifs sont plus marqués, l’incidence du stress

l’information à sa place et être consultée lorsque l’intéressé(e) est

vis-à-vis de la mort, de l’image du corps, de l’avenir est plus élevée ;

hors d’état d’exprimer sa volonté. Cette personne peut être un parent,

néanmoins, ses aspirations sont les mêmes que celles des jeunes de

un proche, le médecin traitant…La désignation doit se faire par écrit.

son âge (amis, carrière, voyages, loisirs) ; parallèlement, il peut avoir

Elle est révocable à tout moment, même oralement et on ne peut

acquis une certaine maturité en ayant déjà fait face à l’adversité

désigner qu’une seule personne de confiance à la fois. Les mineurs

(maladie elle-même et ses contraintes, souffrance physique, deuil

et les majeurs sous tutelle ne peuvent pas désigner de personne de

par la perte d’amis porteurs de même pathologie [2, 7].

confiance. Si l’intéressé(e) le souhaite, la personne de confiance peut

En secteur pour adultes, le jeune patient devient l’interlocuteur

aussi l’accompagner dans les démarches et assister aux entretiens

principal des soignants et devra savoir expliquer son état clinique,

médicaux, afin de l’aider dans la prise de décision. Cette notion est

connaitre ses traitements et leurs effets secondaires, être capable

souvent inconnue des parents et des jeunes patients. Elle est néan-

de reconnaitre des complications et se faire aider, gérer ses ren-

moins primordiale : l’information sur l’état de santé du jeune majeur

dez-vous, savoir qui contacter en cas de problème, être acteur des

ne peut être délivrée à autrui qu’avec son accord express.

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Transition enfant-adulte au cours de la mucoviscidose

6. Importance du partenariat entre les équipes pédiatriques et pour adultes

7.1. Adaptation du moment de la transition à l’état du patient

Il peut y avoir du côté pédiatrique quelques réticences au chan-

La transition doit être la plus coordonnée possible et adaptée au cas

gement. Il s’est créé des liens affectifs avec le patient  ; la crainte

par cas. Une réflexion collégiale et multipartite est indispensable si

existe d’une moindre observance thérapeutique, d’une non-venue

le patient est en état instable, en phase d’aggravation. Le choix peut

aux consultations, d’un environnement inadapté, d’un manque

être fait d’anticiper le transfert si les capacités d’accueil en urgence

de savoir faire des équipes pour adultes (de moins en moins vrai

de l’équipe de pédiatrie ne sont pas adaptées à un grand adolescent.

en France…), du devenir à long terme du patient. Pour ces raisons,

En effet, si les équipes de pédiatrie sont très familières avec les

certaines équipes peuvent tarder à responsabiliser les patients qui

pathologies multi-organes de l’enfance, les équipes pour adultes

approchent de l’âge adulte mais connaissent moins les problèmes

sont plus à l’aise avec les spécificités d’organe et leurs complications

qui vont émerger (sexualité, insertion professionnelle, etc.) [8].

à un stade évolué (gestion d’une hémoptysie massive justifiant une

Le patient souhaite une continuité des soins, que l’ensemble de

embolisation, insuffisance respiratoire sévère en assistance ventila-

l’équipe pour adultes connaisse son parcours, son histoire médicale.

toire, projet de greffe à court terme, soins palliatifs…)

Des échanges réguliers entre les équipes sont primordiaux, pour

Si le patient change de ville pour des raisons personnelles, ce peut

la préparation au transfert (informations sur des allergies, des

être le bon moment de passer directement au centre pour adultes

difficultés d’accès veineux, une aggravation récente, des difficultés

du nouveau lieu de résidence. Cependant, s’il est encore peu auto-

psychologiques ou sociales pertinentes à connaitre pour optimiser

nome, même en phase d’aggravation, mieux vaut probablement

la continuité des soins). L’utilisation d’un dossier commun peut opti-

attendre une stabilisation pour un transfert, ce qui n’empêche pas

miser ce relai et limiter la perte d’informations. Un retour régulier

d’avancer dans le processus d’autonomisation.

sur les modalités et le déroulement des transitions déjà effectuées pour optimiser les prochains rendez-vous est très utile. Ainsi, des évaluations réalisées après transfert ont permis de souligner que

7.2. Challenges pour l’équipe pour adultes

patients et familles pouvaient se sentir un peu perdus chez les

Il s’agit de répondre aux demandes du jeune adulte sans le faire fuir,

adultes et souhaitaient en informer leurs pairs afin qu’ils soient

l’apprivoiser, réussir le passage limite les risques d’échappement

mieux préparés aux changements de rôle de chacun [21].

aux soins, de dégradation clinique en cette période à risque…  ;

La coopération étroite doit concerner tous les membres du CRCM.

assurer un suivi de qualité, aider à l’orientation professionnelle, à

L’aval de chaque intervenant est requis, notamment celui de la

l’ épanouissement familial, limiter les risques d’aggravation de la

psychologue et des acteurs sociaux. Un partenariat avec le médecin

maladie en cernant les conduites à risque (addictions, tabac, sports

traitant, dont l’implication est importante, est primordial chez

extrêmes, projets d’activité professionnels trop soutenus par rapport

l’adulte. En effet, si le pédiatre de CRCM fait souvent office de méde-

à l’état de santé), ouvrir le patient aux nouvelles thérapeutiques, à

cin traitant et peut être le seul interlocuteur de la famille pendant

la recherche clinique, s’adapter aux contraintes professionnelles et

l’enfance, le médecin de CRCM pour adultes, souvent pneumologue,

familiales, le préparer à la greffe si besoin.

avec ses cohortes saturées, ses patients plus lourds et son exercice

Récemment, une étude britannique a interrogé des jeunes de 14

très centré, ne peut en aucun cas être un médecin de proximité ni

à 22  ans, porteurs d’une pathologie chronique devant être ou

en avoir la disponibilité.

ayant été transférés de pédiatrie vers un secteur pour adultes. Quatre aspects sont ressortis de l’étude  : le désir d’une transition

7. Modalités pratiques du transfert

«  en douceur  », un certain niveau d’anxiété, un besoin d’acquérir indépendance et autonomie pendant la transition, et d’optimiser le partenariat entre pairs, famille et professionnels à cette période

Une rencontre avec l’équipe pour adultes («  trombinoscope  »),

cruciale [11]. Le jeune patient souhaite une continuité des soins,

une visite des nouveaux locaux, peuvent être proposées dans les

entouré d’une équipe sympathique, respectueuse, connaissant son

deux ans précédant le transfert. Aborder des points pratiques est

parcours médical et personnel, ouverte à ses projets avec honnêteté

très important afin de limiter l’angoisse du transfert  : où est le

et en toute confidentialité [22]. Sur un plan pratique, il souhaite une

centre pour adultes, comment prendre rendez-vous, quels sont les

liste des membres de l’équipe avec leurs coordonnées (téléphone,

numéros des interlocuteurs à connaître, comment s’y rendre, où se

mail, numéro d’urgence), des horaires de consultation les plus larges

garer, comment se déroule la consultation et combien de temps elle

possibles, être vu seul, être tenu à l’écart de patients plus âgés ou

dure ?

très infectés [21]. 12S57

M. Murris-Espin et al.

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Pour l’équipe pour adultes, il est primordial d’aborder dès les

gérer la maladie à la maison ou lors des hospitalisations, continuer

premières rencontres des points comme les projets professionnels,

à les protéger [11]. C’est donc aussi au centre pour adultes d’aider les

les choix de scolarités, la fertilité féminine, masculine. Les patients

parents à recentrer leur rôle, à faire confiance au jeune, à encoura-

transférés auront des vies d’adultes à part entière. Certains arrive-

ger son autonomie. Les parents restent souvent un soutien financier

ront probablement à l’âge de la retraite. Les informer sur le monde

important et aidant en cas de dégradation respiratoire. Il ne s’agit

du travail, leurs droits (reconnaissance du statut de handicapé, pos-

pas de passer d’une prise en charge totale à la non-implication mais

sibilité de travail à temps partiel, accès aux mutuelles, assurances

de redéfinir ensemble les rôles de chacun et trouver pour chaque

complémentaires, accès aux crédits bancaires) tous ces aspects

famille le compromis, de continuer à inclure les parents dans la prise

moins connus des équipes de pédiatrie mais qui, rapidement

en charge tout en s’assurant de la confidentialité et du respect de la

abordés, devraient permettre de moins pénaliser l’adulte dans la

vie privée du jeune [24].

construction de sa vie quotidienne. Parallèlement, une évaluation

On sait que plus la maladie est ancienne, plus le nombre quotidien

des compétences de soins doit être effectuée dès le transfert. Des

de prises médicamenteuses est élevé et moins l’adhérence au

outils développés par le Groupe éducation thérapeutique et muco-

traitement est bonne [25]. Pour renforcer l’adhésion au traitement,

viscidose (GETHEM) comme le BOBI (dispositif d’évaluation des

on doit essayer de limiter le nombre de prises, de les rendre plus

compétences du patient adulte) peuvent être utilisés. L’expérience

faciles pour la vie quotidienne, (antibiotiques inhalés en poudre

des centres souligne que ces compétences sont rarement totale-

sèche plutôt qu’en nébulisation avec moins de contraintes de temps

ment acquises chez l’adolescent et justifient la poursuite éducative

et surtout d’entretien), de cibler des priorités de prise en charge, de

[23].

fixer des rendez-vous à l’avance avec le patient et les lui rappeler

L’équipe pour adultes doit aussi faciliter l’autonomie, trouver les

(textos, mails, envoi postal…).

moyens d’optimiser la motivation et l’adhérence aux soins, instaurer un climat de confiance, maintenir le contact avec les autres spécialistes d’organes (nouveau gastro-entérologue, diabétologue, accès aux gynécologues, obstétriciens, andrologues, généticiens…)

8. Quand le transfert se passe mal

et les libéraux. Elle se doit d’être réaliste dans ses attentes tout

Plusieurs situations sont à risque :

en répondant à celles du patient. Il convient également de rester

• Hospitalisation en urgence en secteur pour adultes d’un patient

prudent et de n’accorder qu’une confiance progressive au patient

inconnu de l’équipe

en encourageant et en valorisant toute initiative positive. L’essen-

• CRCM pour adultes insuffisamment préparé ou saturé

tiel est que patient et médecin sachent la vérité quant aux soins

• Arrivée dans un CRCM pour adultes d’un patient suivi par une

réellement effectués et apprennent à gérer en bonne intelligence

équipe pédiatrique non agréée CRCM. De plus en plus rare, cette

le suivi [19].

situation est particulièrement traumatisante pour le patient et

La création d’une relation de confiance peut être facilitée par

sa famille, non au fait de la notion de pluridisciplinarité, de suivi

l’option d’un médecin référent unique, qui voit le patient seul en

multi-organes, des protocoles et consensus de suivi pluri-annuel

colloque singulier avec éventuellement une restitution secondaire

actuellement en vigueur, et des spécificités de la maladie.

aux parents, qui peut aborder tous les sujets du jeune, répondre à

• Découverte tardive d’une mucoviscidose autour de 18  ans, qui

ses préoccupations, l’aider à prendre son envol du cocon familial et

passe également par une annonce diagnostique.

son autonomisation, en devant faire preuve parfois d’une grande

• Facteurs de risque d’aggravation déjà en place  : adolescence,

disponibilité. Le vouvoiement d’emblée, non utilisé en pédiatrie, est

opposition, désocialisation, attitude de défis parfois de provocation

un outil utile pour le passage symbolique au statut d’adulte. Dans

vis-à-vis des parents, des soignants, revendication d’autonomie. Mal-

certains cas, un décalage entre l’âge et la maturité émotionnelle

gré une faible adhérence aux soins, une progression de la maladie, le

et psychologique justifie la présence des parents lors des premiers

changement d’équipe peut être le « grain de sable » qui va tout faire

contacts. Aider les parents à la transition est indispensable. Leur

dérailler et contribuer à aggraver la maladie. Pour limiter les risques

angoisse et leur omni-présence lors des soins peut être vécue

d’échappement, il faut trouver un compromis entre les aspirations

comme insupportable par les jeunes et les équipes adultes et être

du jeune, son mode de vie, les contraintes thérapeutiques avec pour

une source de tensions. Une étude britannique réalisée auprès de

objectif l’instauration d’une confiance, le maintien du contact et

jeunes patients a récemment identifié 4 missions pour les parents

des soins. Le patient doit être rassuré sur le fait que l’objectif des

après transfert en équipe pour adultes : rester un soutien psycholo-

soignants est de l’aider à « se soigner pour vivre et non vivre pour

gique, assister le patient en cas de souci de santé, être aidant pour

se soigner ».

12S58

Transition enfant-adulte au cours de la mucoviscidose

9. En pratique…

Clairement, les moyens actuellement disponibles ne permettent pas

Différentes modalités de transfert ont été proposées. Si leurs

Des recommandations sur les modalités de transition sont désormais

grandes lignes sont proches, elles restent adaptables au patient, aux

disponibles [26]. Leur existence en pédiatrie répondent aux attentes

modes de fonctionnement des centres. Des réunions avec le monde

des patients avant transfert, elles optimisent la perception de son état

associatif permettent désormais très précocement des rencontres

de santé et favorisent son autonomie ; cependant, elles ne semblent

informelles avec des parents de très jeunes enfants. À Toulouse, dans

pas pour autant diminuer l’anxiété du patient pendant cette période

les 2 ans précédant la date prévue de la transition, nous avons opté

[27]. La transition doit se faire en douceur grâce à une collaboration

pour une première prise de contact en pédiatrie par des membres

étroite entre les équipes, avec possibilité d’aller-retour, en valorisant

de l’équipe pour adultes (selon les circonstances médecin, infirmière

l’équipe pour adultes sans dévaloriser l’équipe pédiatrique lors de

de coordination, psychologue ou kinésithérapeute). Le dossier du

changements thérapeutiques. Bien géré, même si le changement

patient a été antérieurement présenté au cours d’une réunion dite

peut sembler difficile au début et n’être réellement intégré qu’au-

« de préparation au transfert ». Puis une visite des locaux du CRCM

delà des 20 ans, le transfert peut apporter beaucoup au patient, tant

pour adultes est effectuée par le patient et sa famille au cours de

sur le plan personnel (considération, respect de ses projets et en tant

laquelle une nouvelle rencontre avec les soignants est possible. Puis

qu’individu responsable) que sur le plan médical. Il peut s’agir d’un

vient le temps des consultations alternées. Les problèmes d’effectifs

déclic positif qui le conduit vers l’autonomie sous toutes ses formes.

de répondre à l’ensemble de ces problématiques.

médicaux ne nous permettent plus d’effectuer des consultations conjointes. Ces consultations alternées (une fois en pédiatrie, une fois chez les adultes) sont facilitées par l’utilisation d’un dossier de suivi commun, permettant un accès direct aux informations et

Liens d’intérêts

ont lieu durant un à deux ans. Pour les patients les plus graves, en

M. Murris-Espin : Essais cliniques : en qualité d’investigateur princi-

cas d’hospitalisation pour cure d’antibiotiques, le début du séjour

pal, coordonnateur ou expérimentateur principal (Aradigm)  ; Essais

est effectué en pédiatrie puis en secteur d’hospitalisation pour

cliniques  : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non

adultes  ; ce choix permet de faire également au patient de faire

principal, collaborateur à l’étude (Vertex) ; Interventions ponctuelles :

connaissance avec les soignants de l’unité. C’est le patient qui « a le

rapports d’expertise (Vertex)  ; Interventions ponctuelles  : activités

curseur » pour déclencher le transfert définitif. Il décide de la date

de conseil (Aptalis, Zambon, Novartis)  ; Conférences  : invitations en

de la dernière consultation en pédiatrie, celle où il dira au revoir à

qualité d’intervenant (Aptalis, Zambon, Novartis) ; Conférences : invi-

toute l’équipe. Il est informé qu’un retour d’information est systé-

tations en qualité d’auditeur (frais de déplacement et d’hébergement

matique, notamment par courrier de consultation, jusqu’à ce que

pris en charge par une entreprise) (Aptalis, Zambon, Novartis, Vertex).

lui-même décide de l’arrêter.

A. Le Borgne : aucun. G. Vignal : aucun.

10. Conclusion

L. Tetu : Essais cliniques  : en qualité d’investigateur principal, coordonnateur ou expérimentateur principal (Actelion, GSK)  ; Essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal,

Si la transition est l’affaire de chacun, il n’en demeure pas moins que

collaborateur à l’étude (Actelion) ; Interventions ponctuelles : rapports

son succès passe aussi par un accès facile aux soins. Les cohortes

d’expertise (Novartis, Actelion, MSD).

d’adultes augmentent sans que le nombre des soignants des équipes

A. Didier : aucun.

pour adultes suive la même courbe. Les équipes sont déjà pour la plupart en difficulté pour accueillir de nouveaux patients, a fortiori les plus sévères qui demandent beaucoup de soins et de disponibilité. Les perspectives démographiques concernant la mucoviscidose soulignent l’importance de centres pour adultes adaptés et suffisamment dotés en personnels médicaux et paramédicaux, pour répondre aux besoins des patients, être capables d’informer, éduquer, adapter les horaires de consultation à leur disponibilité, organiser des soins de proximité de qualité, être en capacité d’accueillir rapidement en hospitalisation les patients atteints d’une forme sévère justifiant une prise en charge pluridisciplinaire très consommatrice de temps et de moyens, notamment humains, et continuer à se former [6].

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