Une cause rare d’obstruction de la filière oro-pharyngée

Une cause rare d’obstruction de la filière oro-pharyngée

Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2011) 128, 378—381 IMAGES, QUESTIONS ET RÉPONSES Une cause rare d’obst...

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Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2011) 128, 378—381

IMAGES, QUESTIONS ET RÉPONSES

Une cause rare d’obstruction de la filière oro-pharyngée夽 I. Azendour ∗, M. Boulaich , A. Oujilal , L. Essakalli , M. Kzadri Service d’ORL, hôpital des spécialités, avenue Maelainine, Souissi-Rabat, Maroc

Histoire clinique Une femme de 22 ans, sans antécédents pathologiques, a vu apparaître progressivement depuis une année une gêne à la déglutition, une modification du timbre de sa voix et un ronflement nocturne. L’examen à la laryngoscopie directe montrait une masse sessile de la base de langue d’aspect rougeâtre et de consistance ferme. Une imagerie par résonance magnétique cervicofaciale a été réalisée et est soumis à votre interprétation (Fig. 1).

Questions Question no 1 : Quelle est votre interprétation radiologique ? Question no 2 : Quels sont les examens complémentaires à demander ? Question no 3 : Quel est votre diagnostic ? Question no 4 : Quelle est votre attitude thérapeutique ?

DOI de l’article original : 10.1016/j.anorl.2011.02.017. Ne pas utiliser pour citation la référence franc ¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (I. Azendour). 夽

1879-7261/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.aforl.2011.06.002

Une cause rare d’obstruction de la filière oro-pharyngée

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Figure 1

Quel est votre diagnostic ?

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Réponses Réponse no 1 : Quelle est votre interprétation radiologique ? L’IRM cervicofaciale en coupe sagittale montre une masse oblongue occupant l’oropharynx, développée sur la base de langue. La lésion est hypo-intense en séquences pondérées T1 (A : coupe sagittale) et hyperintense en séquences pondérées T2 (B : coupe axiale). La masse se rehausse d’une manière intense et homogène après injection du gadolinium (C : coupe sagittale ; D : coupe coronale).

Réponse no 2 : Quels sont les examens complémentaires à demander ? L’échographie cervicale montre une loge thyroïdienne vide. Il n’y a pas de signes cliniques de dysthyroïdie. Le taux de thyroid stimulating hormone (TSH)-us est normal à 1,80 mUI/l, ainsi que les taux de T3 et T4 (respectivement de 4,4 et 11,2 pmol/l).

Réponse no 3 : Quel est votre diagnostic ? Un goitre sur thyroïde ectopique basilinguale.

Réponse no 4 : Quelle est votre attitude thérapeutique ? L’indication chirurgicale a été justifiée par les manifestations cliniques et le volume tumoral. Après réalisation d’une trachéotomie, l’exérèse complète de la lésion a été faite par pharyngotomie médiane par voie sus-hyoïdienne et en conservant l’os hydoïde. L’examen histopathologique a confirmé la nature thyroïdienne bénigne de la masse basilinguale. La patiente a été décanulée au cinquième jour et la sonde nasogastrique a été retirée au quinzième jour après avoir vérifier cliniquement l’absence de trouble de déglutition ou de dyspnée. Une hormonothérapie substitutive à base de 100 ␮g de Levothyroxine® a été instaurée. Apres trois mois, la cicatrisation était bonne et il n’y avait plus de troubles de la déglutition.

Commentaires La thyroïde ectopique basilinguale est une entité clinique d’origine embryologique rare décrite la première fois par Hickman en 1869 et depuis moins de 400 cas ont été rapportés dans la littérature [1,2]. Elle est due à un défaut de migration de la glande thyroïde dans le tractus thyréoglosse au cours de la vie intra-utérine. La base de langue représente 90 % des sites des ectopies thyroïdiennes avec une prévalence qui varie entre 1/100000 et 1/300000 [3]. Cette prévalence semble être sous-estimée, car les études autopsiques ont montré la présence de cellules thyroïdiennes au niveau de la base de langue chez 10 % des cadavres [1]. Il s’agit d’une pathologie qui touche quatre fois plus le sexe féminin de la quatrième décennie [1—4]. L’étiopathogénie

I. Azendour et al. est mal élucidée. Cependant, l’action des anticorps anti-thyroïdiens secrétés au cours de la vie intra-utérine pourrait empêcher la migration de l’ébauche thyroïdienne depuis la deuxième poche oro-pharyngée vers la loge thyroïdienne [4]. La prévalence élevée de cette pathologie dans le sexe féminin est expliquée par les modifications hormonales au cours de la puberté, menstruation et la grossesse. La synthèse des hormones thyroïdiennes par le tissu ectopique peut être suffisante dans des conditions physiologiques de l’organisme, alors qu’elle peut être insuffisante lorsque les besoins métaboliques de l’organisme deviennent accrus. Cela induit une hypersécrétion de la TSH ayant comme conséquence une hypertrophie du tissu ectopique qui peut compenser le déficit hormonal d’où l’euthyroïdie observée dans les deux tiers des cas rapportés dans la littérature [1—5]. Dans cette situation, le mode de révélation est l’effet de masse de la glande ectopique qui serait à l’origine d’un syndrome de masse obstructive de la filière oro-pharyngée [1,3]. Un saignement récidivant ou cataclysmique a été décrit dans la littérature, alors que la dégénérescence maligne des goitres ectopiques est exceptionnelle [1]. La thyroïde ectopique peut siéger à n’importe quel endroit le long du trajet thyréoglosse, et préférentiellement au niveau de la base de la langue. Des ectopies exceptionnelles au niveau du médiastin, œsophage, cœur et du diaphragme ont été décrites [1]. Sur le plan clinique, la présence de tissu thyroïdien ectopique au niveau de la base de langue peut être asymptomatique [4]. Souvent le mode de révélation est représenté par un syndrome obstructif oro-pharyngé, associant une dysphagie, dyspnée, sensation de corps étranger oro-pharyngé et rarement des hémoptysies. L’hypothyroïdie est observée dans un tiers des cas [2]. L’échographie et surtout le scanner cervical avec injection de produit de contraste permettent de poser le diagnostic dans la plupart des cas. L’IRM cervicofaciale peut être utilisée en première intention lorsque le diagnostic de goitre ectopique est évoqué devant la présence d’une masse de la base de langue. Les séquences pondérées (Sp) T1 et T2 sont de grande sensibilité et spécificité. La thyroïde ectopique paraît comme une masse bien limitée en iso- ou hypersignal par rapport au muscle en SpT1 avec un rehaussement modéré parfois hétérogène au gadolinium et en léger hypersignal en SpT2 sans signe d’invasion des tissus avoisinants. Elle permet aussi de définir la taille et le siège exact de l’ectopie ainsi que les rapports avec les muscles de la langue et, par conséquence, un choix adéquat de la voie d’abord chirurgicale [5]. Des études ont montré que la thyroïde linguale est associée dans 30 % des cas à une thyroïde cervicale en place [1]. Cependant, la scintigraphie à l’Iode 131 ou au Technitium99 permet de localiser l’ectopie, d’objectiver la vacuité de la loge thyroïdienne et de rechercher d’autres sites ectopiques [2]. La présence d’une masse de la base de langue ayant les caractéristiques IRM citées précédemment et associée à une vacuité de la loge thyroïdienne est très évocatrice d’une ectopie thyroïdienne. Cependant, des diagnostics différentiels doivent être évoqués : L’hypertrophie du tissu lymphoïde des amygdales palatines, les tumeurs des glandes salivaires accessoires et les tumeurs de la base de la langue [2]. Le traitement de l’ectopie n’est pas systématiquement chirurgical. L’abstention et la surveillance sont indiquées

Une cause rare d’obstruction de la filière oro-pharyngée pour les petites lésions peu ou asymptomatiques [2]. Le traitement médical seul peut être suffisant dans le cas des goitres avec signes cliniques et biologiques de dysthyroïdie en absence de signes obstructifs ou d’hémorragie menac ¸ants. Il permet la régression du volume du goitre ectopique avec disparition de la symptomatologie obstructive [1,2]. La cure chirurgicale est indiquée dans les formes obstructives et sans dysthyroïdie. L’exérèse complète du goitre peut être réalisée par voie intrabuccale, cervicale sus-hyoïdienne ou une association des deux voies. Le choix de la technique dépend du volume tumoral et de l’extension cervicale. L’intubation, qu’elle soit par voie orale ou nasale, est potentiellement à risque et nécessite la présence du chirurgien. La voie nasale présente l’avantage de faciliter l’abord chirurgical par voie buccale. Une trachéotomie préopératoire évite le risque de détresse respiratoire par ptose, hématome ou hémorragie d’origine linguale [5]. L’alimentation postopératoire par sonde nasogastrique réduit le risque de pharyngostome. Lorsque la chirurgie n’est pas indiquée, un suivi régulier avec des contrôles cliniques, endoscopiques, biologiques (TSH) et radiologiques (IRM) sera nécessaire pour détecter les signes de dysfonctionnement thyroïdien et l’augmentation de volume de la glande. La transformation maligne connue comme fréquente au niveau des thyroïdes ectopiques a été exceptionnellement rapportée dans les localisations basilinguales [1,2].

Conclusion Le goitre basilingual reste une pathologie rare, mais qui doit être évoquée devant la présence d’une masse de la base de

381 la langue ayant les caractéristiques radiologiques de bénignité. Le traitement chirurgical n’est indiqué que dans les formes obstructives et en absence de signes de dysthyroïdie. L’évolution clinique est favorable après un traitement bien conduit.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Mussak EN, Kacker A. Surgical and medical management of midline ectopic thyroid. Otolaryngol—Head Neck Surg 2007;136: 870—2. [2] Dasari SD, Bashetty NK, Prayaga NSM. Radiofrequency ablation of lingual thyroid. Otolaryngol—Head Neck Surg 2007;136: 498—9. [3] Williams JD, Sclafani AP, Slupchinskij O, et al. Evaluation and management of the lingual thyroid gland. Ann Otol Rhinol Laryngol 1996;105:312—6. [4] Oueslati S, Douira W, Charada L, et al. Thyroïde ectopique. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 2006;123:195—8. [5] Takashima S, Ueda M, Shibata A, et al. MR imaging of the lingual thyroid: comparison to other submucosal lesions. Acta Radiol 2001;42:376—82.