La Revue de médecine interne 30 (2009) 486–491
Article original
Les neuropathies optiques au cours de la maladie de Behc¸et : à propos de 18 cas Optic neuropathy in Beh¸cet’s disease: A series of 18 patients M. Frigui a,∗ , M. Kechaou a , M. Jemal a , Z. Ben Zina b , J. Feki b , Z. Bahloul a a b
Service de médecine interne, CHU Hédi-Chaker, route Ain km 1,5, 3029 Sfax, Tunisie Service d’ophtalmologie, CHU Habib-Bourguiba, route Ain km 1,5, 3029 Sfax, Tunisie Disponible sur Internet le 17 avril 2009
Résumé Introduction. – L’objectif de ce travail est de déterminer la fréquence et les particularités des neuropathies optiques au cours de la maladie de Behc¸et. Méthodes. – Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 376 malades tunisiens présentant une maladie de Behc¸et. Le diagnostic de maladie de Behc¸et a été retenu selon les critères du Groupe international d’étude sur la maladie de Behc¸et. Le diagnostic d’atteinte du nerf optique repose sur l’examen clinique et/ou angiographique et/ou fonctionnel (champ visuel, potentiels évoqués visuels). Résultats. – Dix-huit patients (4,7 %) ont présenté une atteinte du nerf optique. L’âge moyen de nos patients (dix hommes et huit femmes) au moment du diagnostic était de 39,1 ± 12,9 ans (extrêmes 17 à 73 ans). L’atteinte était bilatérale dans 11 cas (61 %). L’acuité visuelle initiale moyenne était de 4,2/10 ± 2,9, elle était inférieure à 1/10 dans 34,5 % des yeux. La neuropathie optique était antérieure chez 89 % des malades (26 yeux, 90 %), postérieure chez un patient (2 yeux, 7 %), alors qu’un malade (1 œil, 3 %) avait une atrophie optique. La neuropathie optique était associée à d’autres atteintes oculaires dans 13 cas (72,2 %). Le mécanisme lésionnel de la neuropathie optique était précisé dans la moitié des cas : une origine inflammatoire dans quatre cas (22,3 %) et une neuropathie optique de stase dans cinq cas (27,8 %). Dix-sept malades (94,4 %) ont rec¸u une corticothérapie à forte dose, associée au cyclophosphamide intraveineux dans six cas (33,3 %) et à un traitement anticoagulant chez un malade (5,6 %). Après un recul évolutif moyen de 79 mois (extrêmes : trois mois à 12 ans), un tiers des malades (8 yeux, 27,5 %) ont perdu toute vision utile. Conclusion. – Les neuropathies optiques sont des atteintes oculaires rares au cours de la maladie de Behc¸et. Elles peuvent être secondaires à divers mécanismes lésionnels : inflammatoire, ischémique et neuropathies optiques de stase. Leur association fréquente aux autres atteintes oculaires peut entraîner un retard de leur diagnostic. Leur traitement médical consiste en des fortes doses de corticoïdes associées, dans les formes résistantes, aux immunosuppresseurs. Le pronostic reste réservé, une cécité est notée chez un tiers des patients. © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Neuropathie optique ; Maladie de Behc¸et
Abstract Introduction. – The objective of this study was to analyse the incidence and the main characteristics of optic neuropathy in Behc¸et’s disease. Methods. – A retrospective review of a well-documented population of 376 Tunisian patients with Behc¸et’s disease was performed. All patients fulfilled three or more criteria defined by the International Study Group for Behc¸et’s Disease. The diagnosis of optic neuropathy was based on the clinical examination, visual field, visual evoked potentials and retinal angiography. Results. – Eighteen patients (4.7 %) presented an optic nerve involvement. The mean age at presentation of these patients (10 men and nine women) was 39.11 ± 12.9 years (range 17 to 73). The mean vision at presentation was 4.2/10 ± 2.9, the vision was less than 1/10 in 34.5 % of eyes. The optic neuropathy was anterior in 89 % cases (26 eyes, 90 %), posterior in one case (2 eyes, 7 %); one patient (1 eye, 3 %) presented an optic atrophy. The optic neuropathy was associated with other ocular lesions in 13 cases (72.2 %). It was an inflammatory neuropathy in four cases (22.3 %) and a stasis papilledema complicating a benign intracranial hypertension in five cases (27.8 %). Corticosteroids were administrated in
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Frigui).
0248-8663/$ – see front matter © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2008.12.021
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17 cases (94.4 %), cyclophosphamide in six cases (33.3 %) and anticoagulant therapy in one patient (5.6 %). After a mean duration of 79 months (range: three months to 12 years), a third of the patients (8 eyes, 27.5 %) have a visual loss. Conclusion. – Optic neuropathy is a rare ocular involvement in Behc¸et’s disease. It can be related to an inflammatory neuropathy, a stasis papilledema complicating a benign intracranial hypertension or an ischemic neuropathy. The association of optic neuropathy with other ocular lesions could be responsible for a diagnostic delay. Its treatment relies on systemic corticosteroids and immunosuppressive drugs. The prognosis remained poor, with a third of the patients having lost their sight. © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Optic neuropathy; Behc¸et’s disease
1. Introduction La maladie de Behc¸et (MB) est une vascularite systémique d’origine multifactorielle, multigénique et environnementale [1]. Elle se caractérise par une aphtose buccale et/ou génitale associée à des manifestations systémiques diverses [1]. L’atteinte oculaire est bien connue et fait partie des critères diagnostiques de la maladie [2]. Il s’agit essentiellement d’une uvéite antérieure aiguë, d’une hyalite et d’une atteinte du segment postérieur à type de vascularite rétinienne [3] ou, plus rarement, de thrombose veineuse rétinienne [4]. L’atteinte du nerf optique est moins fréquente et s’intègre parmi les manifestations neuroophtalmologiques de cette affection. Le but de ce travail est de faire le point sur les neuropathies optiques (NO) au cours de la MB.
Le début de la NO était considéré comme : • aigu : apparition de la NO en moins de 24 heures ; • subaigu : apparition de la NO entre un jour et une semaine ; • progressif : installation de la NO en plus d’une semaine. L’évolution de l’AV était définie par : • une récupération complète : AV finale à 10/10e ; • une récupération partielle : récupération de l’AV d’au moins 1/10e ; • une stabilisation : absence d’amélioration ou d’aggravation de l’AV ; • une bilatéralisation : atteinte du nerf optique controlatéral ; • une cécité : AV < 1/10e .
2. Patients et méthodes Il s’agit d’une étude rétrospective réalisée dans le service de médecine interne de Sfax (Tunisie) et qui a inclus les patients présentant une MB hospitalisés de janvier 1996 à décembre 2007. Le diagnostic de MB a été retenu selon les critères du Groupe international d’étude sur la MB [2]. Parmi 376 cas de MB, 18 patients présentaient une atteinte du nerf optique objectivée par l’examen clinique et/ou angiographique et/ou fonctionnel (champ visuel, potentiels évoqués visuels [PEV]). Nous avons exclu de cette étude les malades dont le fond d’œil n’était pas accessible à l’examen clinique et ceux qui présentaient une autre pathologie pouvant altérer le nerf optique, telle qu’une hypertonie oculaire primaire ou secondaire ou une NO d’autre origine. Tous les malades ont bénéficié d’un examen ophtalmologique complété, au besoin, par les examens complémentaires suivants : • le champ visuel automatisé ou de Goldmann en fonction de l’acuité visuelle (AV) corrigée du patient et de ses capacités de coopération ; • l’angiographie rétinienne à la fluorescéine ; • les PEV. En cas de suspicion clinique d’hypertension intracrânienne (HTIC), la pression du liquide céphalorachidien était mesurée en décubitus et en utilisant un tube vertical rattaché à une aiguille de ponction lombaire. Une HTIC était définie par une pression supérieure à 15 cm d’eau.
Les calculs statistiques ont été sous SPSS version 13.0. Nous avons utilisé le test du Khi2 avec correction de Fisher en cas de nécessité pour la comparaison des effectifs et le test de Student pour la comparaison des moyennes. La significativité a été retenue pour des valeurs de p ≤ 0,05. 3. Résultats 3.1. Données épidémiologiques L’atteinte du nerf optique était notée chez 18 des 376 patients présentant une MB, soit une fréquence de 4,7 %. Il s’agissait de dix hommes (55,6 %) et huit femmes (44,4 %) avec une sex-ratio H/F de 1,25. L’âge moyen au moment du diagnostic de la NO était de 39,1 ± 12,9 ans (extrêmes : 17–73). 3.2. Données cliniques Le début de l’atteinte du nerf optique était aigu dans six cas (33,3 %), subaigu dans cinq cas (27,8 %) et progressif dans sept cas (38,9 %). La NO était concomitante du diagnostic de MB dans cinq cas (27,7 %), précédait ce diagnostic d’une durée moyenne de 28 mois (extrêmes : 24–36) dans trois cas (16,8 %) et lui succédait d’une durée moyenne de 9,8 ans (extrêmes : 1–16) dans dix cas (55,5 %). La baisse de l’AV a fait révéler l’atteinte du nerf optique chez tous nos malades ; elle était associée à une douleur aux mouvements du globe oculaire dans deux cas (11,1 %).
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Tableau 1 Acuité visuelle initiale (AV) chez 18 patients ayant une neuropathie optique compliquant une maladie de Behc¸et.
Tableau 4 Données du champ visuel chez les patients explorés pour une neuropathie optique au cours de la maladie de Behc¸et.
AV
Nombre des yeux
%
Anomalies du champ visuel
Nombre des cas (n = 10)
%
< 1/10 1/10 ≤ AV ≤ 7/10 > 7/10
10 11 8
34,5 38 27,5
Élargissement de la tache aveugle Scotome cæcocentrale Déficit fasciculaire Déficit non systématisé
2 4 3 1
20 40 30 10
Tableau 2 Les atteintes oculaires associées à la neuropathie optique chez 18 patients ayant une maladie de Behc¸et. Lésions associées
Uvéite antérieure Hyalite Uvéite postérieure Vascularite rétinienne Absence de lésions oculaires associées
Malades
Yeux
n = 18
%
n = 29
%
8 10 4 10 5
44,5 55,5 22,2 55,5 27,7
13 15 7 14 10
45 52 24 48 35
L’atteinte du nerf optique était unilatérale dans sept cas (39 %) et bilatérale dans 11 cas (61 %). Ainsi, le nombre total des yeux atteints était 29. À l’examen, 34,5 % des yeux avaient une AV inférieure à 1/10 et seulement 27,5 % avaient une AV dépassant 7/10 (Tableau 1). Au fond d’œil, 89 % des malades (26 yeux, 90 %) avaient un œdème papillaire (NO antérieure) et un seul patient (2 yeux, 7 %) avait un fond d’œil normal (NO postérieure). Un malade (1 œil, 3 %), qui n’a pas présenté d’uvéite ni de vascularite rétinienne, avait un aspect séquellaire à type d’atrophie optique. La NO était associée à d’autres atteintes oculaires chez 13 patients (72,2 %). Les lésions oculaires associées à l’atteinte du nerf optique étaient dominées par la vascularite rétinienne, observée chez 55,5 % des patients (14 yeux, 48 %) et l’hyalite dans 55,5 % des cas (15 yeux, 52 %) (Tableau 2). Les signes systémiques associés à l’atteinte du nerf optique étaient dominés par les signes mucocutanés retrouvés chez tous nos malades, suivis des signes articulaires (33,3 %). En comparant les patients présentant ou non une NO, aucune différence statistiquement significative de fréquence des différentes atteintes systémiques n’était retrouvée (Tableau 3).
3.3. Données paracliniques 3.3.1. Champ visuel Il a été réalisé chez dix malades, soit 55 % des cas. Les troubles étaient plus ou moins systématisés à type de déficit fasciculaire dans 30 % des cas ou de scotome cæcocentral dans 40 % des cas. L’élargissement de la tache aveugle était retrouvé dans 20 % des cas (Tableau 4). 3.3.2. Potentiels évoqués visuels Ils ont été réalisés chez quatre malades, soit 22,2 % des cas. Ils ont mis en évidence un retard de latence de l’onde P100 avec diminution de l’amplitude du tracé dans tous les cas. 3.3.3. Angiographie rétinienne à la fluorescéine Elle a été réalisée chez 13 malades, soit 72,2 % des cas. Elle a permis de confirmer la présence de l’œdème papillaire dans 86,6 % des cas et de mettre en évidence des lésions de vascularite rétinienne dans 77 % des cas. 3.3.4. IRM et angio-IRM cérébrales Ces examens ont été demandés chez 12 malades, soit 66,6 % des cas. Un patient avait un signe du delta en rapport avec une thrombose du sinus longitudinal et un autre avait une anomalie de signal de la substance blanche. Chez dix malades, l’IRM et l’angio-IRM cérébrales étaient normales. 3.4. Mécanisme lésionnel du nerf optique Au terme de l’examen clinique et des explorations paracliniques, le mécanisme lésionnel de la NO a pu être précisé dans la moitié des cas. Il s’agissait :
Tableau 3 Atteintes systémiques de la maladie de Behc¸et en fonction de la présence ou non d’une neuropathie optique (NO). Manifestations cliniques
Neuropathies optiques n = 18 (%)
Pas de neuropathie optique n = 358 (%)
p
Aphtes buccaux Aphtes génitaux Pseudo folliculite nécrosante Test pathergique positif Uvéite Vascularite rétinienne Atteinte articulaire Thrombophlébite Thrombose artérielle Atteinte neurologique centrale en dehors de la NO
100 61 66 77,7 55,5 55,5 33,3 16,6 0 27,7
100 69 74,4 80,7 44,6 41,3 31,2 19 1,4 23,7
NS NS NS NS NS NS NS NS NS NS
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Tableau 5 Évolution de l’AV chez 18 patients ayant une neuropathie optique compliquant une maladie de Behc¸et.
• une bilatéralisation de la NO dans un cas (2,5 %) (2 yeux, 10 %).
AV
Initiale 29 yeux Nombre (%)
Évolution 29 yeux Nombre (%)
< 1/10 1/10 ≤ AV ≤ 7/10 > 7/10
10 (34,5) 11 (38) 8 (27,5)
8 (27,5) 8 (27,5) 13 (45)
Dans les cas de NO secondaire à une HTIC, quatre patients ont été traités par une corticothérapie à forte dose initiée par des bolus de méthylprednisolone dans trois cas. Un traitement anticoagulant a été administré chez le malade présentant une HTIC secondaire à une thrombose veineuse cérébrale. L’évolution était marquée par une récupération complète de l’AV dans quatre cas, l’AV était stationnaire chez le malade présentant une atrophie optique initiale. Au total, après un recul évolutif moyen de 79 mois (extrêmes : trois mois à 12 ans), un tiers des patients (8 yeux, 27,5 %) ont perdu toute vision utile (Tableau 5).
• d’une NO inflammatoire dans quatre cas (22,3 %). La nature inflammatoire de la NO a été confirmée par l’allongement de l’onde P100 dans les quatre cas ; • d’une NO de stase dans cinq cas (27,8 %). Tous les malades ont présenté une baisse de l’AV bilatérale, des céphalées et un œdème papillaire. L’HTIC était confirmée par la mesure pression du liquide céphalorachidien. Il s’agissait d’une HTIC de la bénigne dans quatre cas et une d’HTIC secondaire à une thrombose veineuse cérébrale dans un cas. Chez les neuf autres patients, les PEV n’ont pas été réalisés et il n’existait pas de signes d’HTIC. Cependant, l’association à une uvéite présumait une extension de la réaction inflammatoire oculaire vers le nerf optique. 3.5. Traitement et évolution Dans les cas de NO associée à d’autres atteintes oculaires (13 malades, 19 yeux), tous les malades ont rec¸u une corticothérapie à la dose de 1 mg/kg par jour initiée par des bolus de méthylprednisolone, à la dose de 1 g/j pendant trois jours successifs, dans 12 cas (92 %). Des bolus mensuels de cyclophosphamide ont été indiqués devant la gravité des autres atteintes oculaires dans six cas. L’évolution était marquée par : • une récupération complète de l’AV chez un malade (2,5 %) (1 œil, 5 %) ; • une récupération partielle de l’AV dans quatre cas (30,7 %) (6 yeux, 32 %) ; • un état stationnaire dans sept cas (54 %) (10 yeux, 53 %) ;
3.6. Étude analytique du pronostic visuel (Tableau 6) Bien que la différence ne soit pas statistiquement significative, l’âge élevé, l’AV initiale inférieure à 1/10e et l’association à une hyalite étaient associés à l’absence d’amélioration de la vision sous traitement. (Tableau 6). 4. Discussion Les NO font partie à la fois des atteintes oculaires et des manifestations neurologiques de la MB. Alors que la fréquence de l’atteinte oculaire varie entre 50 et 80 % [3,5], les NO sont rares, observées dans seulement environ 5 % des cas [6,7]. Néanmoins, la fréquence de la NO en présence d’une autre atteinte oculaire et en cas de neuro-Behc¸et est respectivement de 37 [8] et 40 % [9]. En présence d’une atteinte oculaire, la fréquence des NO peut être sous-estimée lorsque le fond d’œil est inaccessible du fait d’une uvéite antérieure ou d’une hyalite dense [10]. Dans notre série, la NO était constatée avant ou lors du diagnostic de MB chez huit de nos 18 patients (44,4 %), alors qu’elle survenait après un délai moyen d’évolution de 9,8 ans dans 55,5 % des cas. Dans une série de 148 patients, Lamari et al. trouvent que l’atteinte du nerf optique est inaugurale dans uniquement 7 % des cas [8]. Le mode de début de la NO est variable. La baisse de l’AV s’est installée rapidement, au bout de 24 heures, chez cinq patients (27,7 %) alors qu’elle s’est installée dans une période
Tableau 6 Comparaison des malades ayant une neuropathie optique compliquant une maladie de Behc¸et selon l’évolution de l’AV. Paramètres
Absence d’amélioration AV n=8
Sexe masculin Âge moyen Délai diagnostique AV < 1/10 Autres atteintes oculaires Uvéite Uvéite antérieure Hyalite Uvéite postérieure Vascularite rétinienne
6 43,1 ± 16,5 ans 63,9 jours 5 7 6 4 6 2 5
Amélioration AV
p
%
n = 10
%
75
2 35,9 ± 8,7 ans 45,3 jours 2 6 4 4 4 2 5
25
62,5 87,5 75 50 75 25 62,5
20 60 10 40 40 20 50
0,1 0,18 0,14 0,08 0,31 0,18 0,52 0,19 0,61 0,66
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inférieure à une semaine dans six cas (33,3 %) et d’une fac¸on progressive s’étalant sur plusieurs semaines chez sept patients (39 %). Au plan clinique, aucun signe fonctionnel n’est spécifique des NO. La baisse de l’AV et les douleurs oculaires sont les signes les plus fréquemment décrits par les patients [11]. La baisse de l’AV est évocatrice lorsque l’examen ophtalmologique ne trouve pas de lésions oculaires pouvant l’expliquer. Les douleurs oculaires et/ou périoculaires accompagnant la mobilisation du globe oculaire sont en faveur du caractère inflammatoire de la NO [11]. Elles touchent 14 % des patients de Lamari et al. et 11 % de nos malades [8]. L’absence de ces douleurs n’élimine, cependant, pas une lésion inflammatoire du nerf optique. L’examen du fond d’œil permet de localiser la lésion du nerf optique et il peut montrer : • un œdème papillaire témoignant d’une localisation antérieure de la NO. Il est dû à une stase, une ischémie [12] ou une inflammation du nerf optique [13] ; • un fond d’œil normal dans les NO rétrobulbaires ou postérieures : ischémiques [10,14] ou inflammatoires [13] ; • une pâleur papillaire ou une atrophie optique qui traduit une atteinte séquellaire du nerf optique, ce qui explique la difficulté de déterminer le caractère antérieur ou postérieur de l’atteinte du nerf optique. La localisation antérieure de la NO est plus fréquente que la localisation postérieure dans la plupart des séries de la littérature [8,13]. Leurs fréquences dans notre série et dans celle de Lamari et al. [8] sont respectivement de 88,8 et 46 % pour la NO antérieure et 5,6 et 7 % pour la localisation rétrobulbaire. Observée dans 45 % des cas de la série de Lamari et al. [8] et dans 15,3 % dans la série de Janati et al. [7], l’atrophie optique n’est notée que dans 5,6 % des cas de notre série, ce qui témoigne du caractère récent des NO chez nos patients. La NO, inflammatoire ou ischémique, isolée sans autre atteinte oculaire ni neurologique centrale est rare [10,14–16]. Les lésions oculaires associées à l’atteinte du nerf optique sont dominées par l’uvéite (66 %) et la vascularite (55,6 %). L’angiographie rétinienne à la fluorescéine a un triple intérêt, d’abord de confirmer un éventuel œdème papillaire, d’orienter vers son étiologie ischémique ou inflammatoire et de chercher des signes associés (vascularite, œdème du pôle postérieur. . .) pouvant orienter le diagnostic étiologique lorsque l’atteinte oculaire est isolée [17]. Les PEV par flashes ou damiers sont constamment altérés. On retrouve une augmentation de latence de l’onde P100 traduisant une atteinte inflammatoire et une extinction de ces ondes en cas d’atteinte axonale de type ischémique [18,19]. Les examens de neuro-imagerie (IRM et angio-IRM cérébrales) permettent d’éliminer un processus expansif intracrânien et une thrombose veineuse cérébrale en présence d’une HTIC [20,21]. En l’absence d’anomalies à l’imagerie cérébrale, la NO est rattachée à l’HTIC bénigne. Au terme de ces investigations, trois formes cliniques s’individualisent :
• la neuropathie optique antérieure aiguë, rencontrée dans 61 % des cas dans notre série. Elle est en rapport avec une ischémie du nerf optique par vascularite des capillaires papillaires et/ou extension de l’inflammation du pôle postérieur. La baisse de l’AV est majeure avec, au fond d’œil, un œdème papillaire [22], associé à un œdème du pôle postérieur dans la neurorétinite. L’évolution est en général péjorative. Une atrophie optique est notée dans 23,6 % des cas dans la série de NO associée à une atteinte uvéale [6] ; • la neuropathie optique rétrobulbaire, identifiée chez 5,6 % des patients dans notre série. Elle est due à une ischémie du nerf optique secondaire à une vascularite [18] ou à une inflammation de ce nerf réalisant une névrite optique rétrobulbaire. La papille optique est souvent normale au fond d’œil ; • un œdème papillaire de stase secondaire à une HTIC, retrouvé chez 27,8 % de nos malades. L’AV est conservée au début. La baisse de l’AV s’installe lorsque l’œdème papillaire persiste [17]. Les PEV sont normaux au début. Les examens de neuro-imagerie s’imposent à la recherche d’une étiologie (thrombose du sinus longitudinal, thrombose artérielle. . .). Au plan thérapeutique, bien que la NO soit considérée comme une atteinte oculaire grave de la MB, son traitement reste mal codifié. Par analogie avec les autres atteintes oculaires et l’atteinte nerveuse centrale, l’instauration précoce de corticothérapie à forte dose permet un gain dans l’AV finale [14,23]. L’association aux immunosuppresseurs est justifiée devant la présence des autres atteintes oculaires ou neurologiques sévères, ou secondairement après l’échec des corticoïdes. Le cyclophosphamide, la ciclosporine et l’interféron-␣ sont les plus utilisés [10,23]. Sous traitement, 25 % de nos patients ont une AV finale inférieure à 1/10e , alors que cette évolution est notée chez 44 % des cas colligés dans un milieu ophtalmologique [8]. Cette différence évolutive peut être expliquée par la précocité de la prise en charge de la NO dans notre série comme en témoigne également le faible pourcentage d’atrophie optique (5,6 % contre 45 %). 5. Conclusion Les NO sont des atteintes oculaires rares au cours de la MB. Elles peuvent être secondaires à divers mécanismes lésionnels : inflammatoire, ischémique et stase. Leur association fréquente aux autres atteintes oculaires peut entraîner un retard diagnostique. Le traitement médical consiste en de fortes doses de corticoïdes, associées, dans les formes résistantes, aux immunosuppresseurs. Le pronostic reste réservé, une cécité est notée chez un tiers des malades. Un diagnostic précoce est nécessaire pour garantir un meilleur pronostic visuel. Références [1] Hamza M. Maladie de Behc¸et. In: Maladies et syndromes systémiques. Médecine-Sciences Flammarion; 2001. [2] International Study Group for Behc¸et’s Disease. Criteria for diagnosis of Behc¸et disease. Lancet 1990;335:1078–80. [3] Cassoux N, Fardeau C, Lehoang P. Manifestations oculaires de la maladie de Behc¸et. Ann Med Interne (Paris) 1999;150:529–34.
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