Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique 100 (2014) 351–356
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Mémoire original
Coûts directs de prise en charge des scolioses infantiles et juvéniles sévères : estimations en fonction de l’utilisation des tiges de croissance conventionnelles ou des tiges de croissance magnétiques夽 Direct costs associated with the management of progressive early-onset scoliosis: Estimations based on gold standard technique or with magnetically controlled growing-rods C. Charroin a , K. Abelin-Genevois b , V. Cunin b , J. Berthiller c,d , H. Constant a , R. Kohler b , G. Aulagner a,e , H. Serrier c,d , X. Armoiry c,∗,e a
Hospices Civils de Lyon, groupement hospitalier Est, service pharmaceutique, avenue du Doyen-Lépine, 69500 Bron, France Hospices Civils de Lyon, groupement hospitalier Est, service chirurgie orthopédique pédiatrique, université Claude-Bernard Lyon 1, avenue du Doyen-Lépine, 69500 Bron, France c Hospices Civils de Lyon, délégation à la recherche clinique et à l’innovation, cellule innovation, avenue du Doyen-Lépine, 69500 Bron, France d Hospices Civils de Lyon, pôle information médicale évaluation recherche, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron, France e Université Claude-Bernard Lyon 1, UMR-CNRS 5510/MATEIS, Bron, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Accepté le 4 juin 2014 Mots clés : Scoliose sévère infantile et juvénile Coûts directs médicaux Tiges de croissance rachidiennes Tiges de croissance magnétiques
r é s u m é Contexte. – L’inconvénient majeur de la prise en charge des scolioses graves de survenue précoce (SGP) par la technique sans fusion avec distraction chirurgicale (tige de croissance conventionnelle) est la nécessité de recourir à des chirurgies itératives pendant l’enfance. La diffusion récente des tiges de croissance magnétiques (TCM) offre la possibilité d’éviter de telles chirurgies et par conséquent, d’améliorer la qualité de vie des patients. Hypothèse. – Malgré le coût élevé des TCM et considérant leur impact potentiel sur la diminution du nombre de séjours hospitaliers, l’utilisation de ces tiges est susceptible de réduire la consommation de ressources médicales à long terme en comparaison des tiges de croissance conventionnelles (TCC). Matériel et méthode. – Un modèle d’évaluation médicoéconomique a été construit afin d’évaluer et comparer le coût des deux stratégies. Ce coût a été estimé à partir des probabilités de consommation de ressources médicales tirées d’une analyse de la littérature ainsi que des données d’une cohorte de patients avec SGP traités dans notre centre. Certaines ressources médicales ont également été estimées à dire d’experts. Un horizon temporel de quatre ans à partir de la première implantation chirurgicale a été retenu. Les coûts ont été évalués selon la perspective de l’assurance maladie franc¸aise (en utilisant les tarifs de l’année 2013) et ont été actualisés avec un taux annuel de 4 %. Des analyses de sensibilité ont été conduites sur les différents paramètres du modèle afin d’évaluer sa robustesse. Résultats. – Sur un horizon temporel de quatre ans, les coûts directs estimés pour les stratégies TCC et TCM ont été de 49 067 euros et 42 752 euros respectivement, soit un différentiel de coût de −6135 euros en faveur de la stratégie TCM. Dans le premier cas, les coûts étaient principalement représentés par les séjours hospitaliers (83,9 %), alors que dans la stratégie TCM, le coût de la tige a contribué pour 59,5 % du montant total. L’analyse de sensibilité univariée a permis d’identifier les paramètres ayant la plus grande influence sur le différentiel de coût en particulier : le coût des séjours hospitaliers, le coût des TCM, et la fréquence des distractions chirurgicales.
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.otsr.2014.05.006. 夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Orthopaedics &Traumatology : Surgery & Research, en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (X. Armoiry). http://dx.doi.org/10.1016/j.rcot.2014.06.009 1877-0517/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Discussion. – La stratégie TCM est une technique récente et prometteuse dans la prise en charge des SGP. En plus d’améliorer la qualité de vie des patients, son utilisation dans le traitement des SGP est susceptible d’être associée à une moindre consommation de ressources médicales. Niveau de preuve. – Niveau IV, étude médicoéconomique, étude rétrospective. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
1. Contexte Les scolioses graves de survenue précoce (SGP) peuvent induire des déformations rachidiennes majeures susceptibles de provoquer un syndrome d’insuffisance cardiothoracique de pronostic péjoratif en l’absence de traitement [1,2]. La stratégie thérapeutique demeure complexe puisque l’objectif est de réduire et contrôler la courbure scoliotique, tout en permettant la croissance du rachis jusqu’à ce que l’arthrodèse vertébrale soit indiquée [3]. Le traitement conventionnel des SGP, en cas d’échec du traitement orthopédique, consiste en la mise en place chirurgicale de tiges de croissance rachidiennes conventionnelles (TCC). Cette chirurgie sans fusion permet une réduction de la courbure rachidienne et un maintien de la correction par le biais de distractions chirurgicales itératives [4]. Bien qu’efficaces, les chirurgies de scoliose utilisant des tiges de croissance traditionnelles peuvent conduire à des complications sévères et affecter la qualité de vie des patients en raison du nombre élevé de chirurgies et d’hospitalisations induites [5–7]. C’est dans ce contexte qu’ont été développées des tiges innovantes de distraction magnétique (TCM) afin de permettre une correction et un maintien de la courbure scoliotique, tout en évitant les chirurgies de distraction itératives [8,9]. Un dispositif de ce type ayant récemment obtenu le marquage CE est disponible en France, mais son utilisation est aujourd’hui limitée par son coût élevé actuellement non remboursé par l’assurance maladie franc¸aise [10]. Malgré le coût des TCM et considérant leur impact potentiel sur la réduction des hospitalisations, nous avons fait l’hypothèse que l’utilisation de ces tiges pourrait réduire les consommations de ressources médicales sur un horizon temporel long, en comparaison des tiges conventionnelles. Compte tenu qu’aucune étude sur les coûts actuels de prise en charge des SGP n’est disponible, une analyse médicoéconomique a été conduite de manière à évaluer si la stratégie TCM pourrait être moins coûteuse que la stratégie TCC à long terme. 2. Méthode Le cas d’un jeune patient, présentant une scoliose sévère (angle de Cobb supérieur à 45◦ ) progressive malgré un traitement conservateur optimal (progression de la courbure rachidienne de plus de 5◦ sur une période de 12 mois), chez lequel une stratégie chirurgicale sans fusion, que ce soit par TCC ou TCM est décidée, a été considéré, sans distinction du type d’étiologie de la scoliose. Un modèle médicoéconomique a été construit pour évaluer et comparer le coût au long court des stratégies TCC et TCM en se limitant aux seuls coûts directs. Cette analyse a été réalisée selon la perspective de l’assurance maladie franc¸aise. L’horizon temporel retenu a été de 4 ans à partir de la première procédure chirurgicale. Tous les coûts ont été exprimés en euros, considérant les tarifs de l’année 2013, et en appliquant un taux d’actualisation annuel de 4 % conformément aux recommandations du guide méthodologique de la Haute Autorité de santé [11]. 2.1. Consommation de ressources médicales pour la stratégie TCC La consommation de ressources médicales a été estimée à partir des données d’une cohorte de patients avec SGP traités dans
notre centre (hôpital Femme-Mère-Enfant, Lyon, France) par TCC sur la période 2003–2010 et suivis au moins 12 mois après la chirurgie initiale. Les données cliniques et les consommations médicales ont été collectées rétrospectivement à partir des dossiers médicaux et des données d’information médicale. Le nombre moyen et la durée des séjours hospitaliers, le type d’instrumentation chirurgicale implantée, ainsi que le nombre de consultations externes et de radiographies ont été considérés. Huit patients (6 garc¸ons, 2 filles) avec un âge moyen à la première chirurgie de 5,9 ± 2,6 ans, ont été sélectionnés. Les scolioses étaient non idiopathiques avec différentes étiologies : neurologique (38 %), syndromique (38 %) ou congénitale (25 %). La durée moyenne de suivi depuis l’implantation de la chirurgie (75 % avec montage simple/25 % avec montage double) jusqu’aux dernières nouvelles a été de 4,4 ± 2,9 ans. Les consommations de ressources médicales liées à des évènements non programmés ont été considérées en se limitant aux fractures de tige rachidienne [12]. Comme cet évènement n’est pas survenu dans notre cohorte locale, la probabilité associée a été estimée à partir d’une revue de la littérature. Dans l’hypothèse d’une fracture de tige, une chirurgie en urgence avec utilisation d’un connecteur a été considérée pour la réparation de la tige, mais il a été estimé que cet évènement ne modifierait pas la fréquence des distractions chirurgicales (par exemple, si une fracture de tige était observée 3 mois après la dernière distraction chirurgicale, une chirurgie serait réalisée mais la suivante n’interviendrait pas avant 6 mois). Enfin, certaines consommations de ressources médicales ont été estimées sur la base d’avis de 2 chirurgiens orthopédiques pédiatriques expérimentés dans la prise en charge des scolioses sévères, et ont inclut : • corset rachidien : il a été considéré que chaque patient bénéficiait d’un corset sur mesure tous les 18 mois ; • consultation kinésithérapique : il a été considéré que chaque patient avait une séance par semaine ; • transports sanitaires : il a été considéré que 50 % des patients nécessitaient un transport sanitaire après la première chirurgie, et que 25 % bénéficiaient d’un transport après chaque distraction chirurgicale, sur la base d’une distance moyenne de 60 km. Ces hypothèses ont été reportées dans le Tableau 1. 2.2. Consommation de ressources médicales pour la stratégie TCM L’utilisation d’un système TCM nommé MAGEC (Ellipse Technologies, DB2 C France) a été considérée pour cette stratégie. Le dispositif MAGEC consiste en une tige de croissance magnétique qui, une fois implantée, est contrôlable grâce à une télécommande externe placée sur le dos du patient, autorisant des distractions non invasives [4]. Ce dispositif médical a obtenu le marquage CE en septembre 2010. Pour les besoins du modèle, nous avons fait l’hypothèse d’une prise en charge de ce dispositif par l’assurance maladie franc¸aise en sus des prestations d’hospitalisation. Les consommations de ressources médicales avec le système MAGEC ont été estimées sur la base des données de l’expérience
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Tableau 1 Valeurs de référence des ressources médicales consommées, et valeurs extrêmes pour l’analyse de sensibilité. Ressources médicales consommées
Valeur de base
Valeurs extrêmes pour l’analyse de sensibilité Minimum
Source
Maximum
Source
CL CL CL [12]
1,9 1,9 1,9 2,7
CL CL CL AE
2,6 3,4 3,9 4,5
CL CL CL AE
6 6 4,7
CL CL [9]
3,8 Non appliqué 3,5
[9]
8 12 5,8
AE AE AE
0,75/0,25 2,5/3,75 1 par 18 mois 1 par semaine
AE AE AE AE
0,5/0,5 Non appliqué Non appliqué Non appliqué
AE
1/0 Non appliqué Non appliqué Non appliqué
AE
50 25
AE AE
Non appliqué Non appliqué
Stratégie TCC Chirurgies (dont implantation initiale) (par patient-année) Consultations médicales (par patient-année) Radiographies vertébrales (fréquence par an) Fracture de tige (%/année)
2,3 2,5 2,8 3,6
Stratégie TCM Consultations pour distractions magnétiques (par patient-année) Radiographies vertébrales (fréquence par an) Fracture de tige (%/année) Stratégies TCC et TCM Tige simple/tige double (proportion moyenne à l’implantation) Vis/crochets (nombre moyen à l’implantation) Corset (fréquence de remplacement) Séances de kinésithérapie (fréquence) Transports sanitaires Après implantation (% de patients en bénéficiant) Après distraction (% de patients en bénéficiant)
Source
AE
Non appliqué Non appliqué
CL = données issues de notre centre (cohorte locale) ; AE = valeur issue d’avis d’expert.
britannique qui correspond à la cohorte la plus importante publiée à ce jour (34 patients ; 13 garc¸ons/21 filles ; âge moyen à la première chirurgie : 8 ans ; suivi moyen de 15 mois) [9]. Les données de notre cohorte locale de patients ayant bénéficié de ce dispositif ont également été utilisées (5 patients, 4 garc¸ons/1 fille ; âge moyen à la première chirurgie : 9, 7 ans ; durée moyenne de suivi : 8 mois). Comme pour la stratégie TCC, nous avons considéré pour l’implantation initiale le matériel nécessaire pour un montage simple dans 75 % des cas et double dans 25 % des cas en plus de l’instrumentation habituelle (vis, crochets ou connecteurs). Après la chirurgie initiale, les ressources médicales considérées ont été les consultations externes et les radiographies totales du rachis utilisant des systèmes à faible dose d’irradiation. La capacité des TCM à maintenir dans le temps une correction scoliotique après distraction magnétique externe a été décrite dans des données publiées à 2 ans de suivi. Nous avons considéré que cette efficacité était maintenue au-delà. Comme pour la stratégie TCC, les ressources médicales observées dues à des évènements non programmés, ont été prises en compte en se limitant aux fractures de tige à partir des données de la cohorte britannique. Dans l’hypothèse d’une rupture de tige, une chirurgie urgente a été considérée pour réparer la tige avec un connecteur, et une chirurgie a ainsi été comptabilisée dans
la prise en charge des patients. Enfin, les mêmes hypothèses que pour la stratégie TCC ont été utilisées concernant les transports, le suivi par kinésithérapie et les corsets sur mesure. Ces hypothèses ont été reportées dans le Tableau 1. 2.3. Valorisation des ressources médicales consommées Les ressources médicales consommées ont été valorisées sur la base suivante : • séjours hospitaliers : nous avons considéré les tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS) pour la chirurgie de scoliose (coût d’un séjour simple avec faible niveau de sévérité : 4313 euros, coût d’un séjour avec niveau de sévérité moyen : 5763 euros) ; • dispositifs médicaux implantables : les coûts ont été estimés sur la base des tarifs officiels sachant que les dispositifs conventionnels sont remboursés en sus des prestations d’hospitalisation. Les coûts ont été valorisés en fonction du type de montage (78 euros par tige, 185 euros par vis, 154 euros par crochet, 73 euros par connecteur). Pour la stratégie TCM, nous avons pris en compte le tarif actuel du système MAGEC : 22 772 euros pour une tige simple et 33 404 euros pour un montage double. Ces
Tableau 2 Valeurs de référence et valeurs extrêmes de coûts. Ressources médicales consommées
Séjours hospitaliers Séjour hospitalier standard de sévérité moyenne Séjour hospitalier standard de faible sévérité Dispositifs médicaux TCC TCM simple* TCM double* Vis Crochet Connecteur Corset (orthèse et moulage) Autres Consultations médicales Séances de kinésithérapie Radiographies totales du rachis Transports sanitaires
Valeur de base (D)
5763 4315
Valeurs extrêmes pour l’analyse de sensibilité Minimum (D)
Maximum (D)
4322 3237
7203 5394
78 22772 33404 185 154 73 1018
Non appliqué 17079 25053 Non appliqué Non appliqué Non appliqué Non appliqué
23 27 57 66
Non appliqué Non appliqué Non appliqué Non appliqué
* : incluant la mise à disposition de la télécommande externe par le fournisseur franc¸ais pour chaque distraction.
28465 41755
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• •
• •
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tarifs incluent la mise à disposition par le distributeur franc¸ais de la télécommande externe ; corset sur mesure : nous avons utilisé les tarifs officiels (1018 euros pour le moulage du corset) ; consultations de kinésithérapie et consultations médicales autres : les coûts ont été considérés sur la base des tarifs officiels franc¸ais (23 euros pour les visites médicales et 27 euros pour les consultations de kinésithérapie) ; radiographies rachidiennes complètes : les coûts ont été ceux correspondant aux tarifs officiels franc¸ais (57 euros) ; transports sanitaires : les coûts ont été estimés selon le mode de transport le plus probable des patients (ambulance 42 %, véhicule sanitaire 23 %, taxi 31 %, autres 4 %). Une distance moyenne de 30 km entre l’établissement et le domicile du patient a été considérée, correspondant à un coût total de 66 euros.
Fig. 1. Coûts cumulés en fonction de l’horizon temporel pour les stratégies TCM et TCC.
Les valeurs de coût ont été reportées dans le Tableau 2. 2.4. Analyse statistique et analyse de sensibilité Un coût incrémental, correspondant à la différence de coût entre la stratégie TCM et la stratégie TCC, a été calculé. L’impact de la variation de l’horizon temporel sur les coûts cumulés a été examiné. Une analyse de sensibilité univariée a été conduite pour évaluer l’effet d’un changement de paramètre sur le coût incrémental et a été représentée par un diagramme de Tornado. Les valeurs extrêmes des paramètres utilisées dans l’analyse de sensibilité ont été issues dans la mesure du possible des différentes cohortes de patients, ou estimées à dire d’experts. Dans ce cas, une variation de ± 25 % a été appliquée aux paramètres. Les valeurs extrêmes des paramètres ont été renseignées dans le Tableau 1. Une analyse de sensibilité a également été réalisée pour le coût des TCM (± 25 %), le taux d’actualisation (de 0 à 5 %) et les coûts d’hospitalisation standards (± 25 %). Enfin, une analyse de sensibilité trivariée a été menée sur les trois paramètres qui avaient individuellement le plus d’impact sur le coût incrémental. L’analyse a été réalisée avec Microsoft Excel 2010. 3. Résultats
diagramme de Tornado, sur la base des hypothèses précédemment décrites (Fig. 2). L’axe vertical représente le coût incrémental entre les deux stratégies quand les paramètres sont fixés aux valeurs de référence précédemment décrites. De haut en bas, les paramètres sont classés en fonction de leur degré de sensibilité, la barre horizontale du haut étant celle avec la plus grande incertitude. Les paramètres identifiés comme les plus influents sur le coût incrémental ont été : le coût des séjours hospitaliers, le coût des TCM, la fréquence des distractions chirurgicales, et l’utilisation d’un montage simple ou double. Pour ces quatre variables, l’amplitude du différentiel de coût était de 16 575 euros, 12 715 euros, 11 491 euros et 5277 euros respectivement. À l’exception des coûts d’hospitalisation, le diagramme montre que la variation de ces paramètres un par un n’inverse pas la tendance. En considérant le scénario le plus pessimiste (−25 % pour le tarif des séjours hospitaliers, + 25 % pour le tarif TCM et une fréquence de distraction chirurgicale de 1,9 par patient/année), l’analyse de sensibilité trivariée permet d’estimer un coût incrémental entre les deux stratégies à 13268 euros. En considérant le scénario le plus optimiste (+ 25 % pour le tarif d’hospitalisation, −25 % pour le tarif des TCM et une fréquence de distraction chirurgicale de 2,6 par patient/année), le coût incrémental est estimé à −27108 euros.
3.1. Estimation des coûts pour chacune des stratégies Sur la base des hypothèses des Tableaux 1 et 2, le coût direct de prise en charge des patients par TCC a été de 49 067 euros sur 4 ans, et était principalement représenté par les dépenses hospitalières (41 148 euros par patient, soit 83,9 %). En revanche, les coûts correspondant aux dispositifs médicaux, consultations médicales ou radiographies vertébrales étaient mineurs, représentant respectivement 1148 euros (2,3 %), 230 euros (0,5 %), et 638 euros (1,3 %) du montant total. Pour la stratégie TCM, le coût direct a été estimé à 42 752 euros sur 4 ans et était principalement représenté par le coût du dispositif médical (59,5 %). Sur la base de ces résultats, le coût incrémental entre les deux stratégies a été estimé à −6135 euros. Le diagramme de la Fig. 1 illustre les coûts cumulés de chacune des stratégies en fonction de l’horizon temporel : il est ainsi observé que le coût incrémental diminue avec le temps (de 20 146 euros la première année à −6135 euros la quatrième année). À trois ans de suivi, le coût cumulé entre les deux stratégies devient comparable puis la tendance s’inverse à partir de cette date en faveur de la stratégie TCM. 3.2. Analyse de sensibilité L’analyse de sensibilité univariée sur le coût incrémental entre la stratégie TCC et la stratégie TCM a été représentée dans un
4. Discussion Le système de tige de distraction magnétique est une technique prometteuse dans la prise en charge des scolioses sévères de survenue précoce. Sa capacité à permettre une distraction non invasive a été montrée initialement dans un modèle porcin [8]. Dans la première étude publiée chez l’homme, Cheung et al. ont décrit des résultats encourageants sur l’utilisation des TCM montrant une bonne efficacité et tolérance chez deux patients jusqu’à 2 ans de suivi [4]. Plus récemment, Dannawi et al. ont rapporté les résultats cliniques de l’utilisation des TCM sur 34 patients avec SGP, suivis de manière prospective, permettant de confirmer la capacité du dispositif à stabiliser et maintenir la courbure scoliotique après une durée moyenne de suivi de 15 mois. Par ailleurs, le taux de complications sévères a été très faible [9]. Un des objectifs principaux de notre étude était de fournir des arguments médicoéconomiques en faveur du remboursement de cette technique. En effet, le coût actuel des TCM en France est bien plus élevé que celui mentionné dans la littérature (environ 5200 euros dans l’expérience chinoise) [4,13]. Par ailleurs, comme les tiges TCM ne sont pas encore remboursées en France, leur utilisation est actuellement à la seule charge des établissements de santé. Enfin, cette évaluation a été justifiée par l’absence de toute donnée publiée sur les coûts actuels de prise en charge des patients avec SGP.
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Fig. 2. Diagramme de Tornado évaluant la sensibilité des paramètres sur le différentiel de coût.
Notre étude montre que la prise en charge par la stratégie TCC conduit à des coûts substantiels pour l’assurance maladie franc¸aise, même si le fardeau économique global est limité du fait de la rareté des cas de SGP traités de fac¸on chirurgicale. Malgré le coût majeur des tiges magnétiques, nos résultats montrent que l’utilisation de ces tiges pourrait conduire à un coût direct inférieur à celui de la stratégie TCC sur la base d’un horizon temporel de 4 ans. La typologie des ressources médicales consommées devrait être fortement modifiée par l’utilisation des TCM puisque cette technique ne nécessite pas de réaliser des chirurgies de distraction chirurgicale. Il est intéressant de constater que les procédures TCM induisent une très forte dépense au début de la prise en charge, puis les coûts évoluent de manière faible, à la différence de la stratégie TCC. Nous avons choisi une durée d’étude de 4 ans qui nous semble être en phase à la fois avec la croissance de l’enfant et avec le potentiel d’allongement de la tige. En effet, la période à laquelle sont implantées ces tiges correspond en général à la phase de croissance lente qui précède la poussée de croissance pubertaire. Au cours de cette période, le rachis thoracique et lombaire de T1 à L5, grandit en moyenne de 14 mm par an soit 0,82 mm par an pour une vertèbre [14]. Notre stratégie est de réaliser des distractions le plus régulièrement possible pour diminuer le risque d’enraidissement de la zone allongée responsable de la règle du diminishing return décrite avec les tiges classiques [15]. Nous réalisons les allongements en consultation tous les deux mois. L’amplitude de distraction varie avec le nombre de vertèbres inclues dans le montage. Pour une vertèbre, nous réalisons un allongement de 0,205 mm tous les 2 mois, ce qui correspond à un allongement de 1,23 mm chaque année dont 0,82 mm correspond à la croissance théorique d’une vertèbre et 50 % supplémentaire pour essayer de diminuer au fur et à mesure l’angle de la scoliose. Dans notre cohorte de patients traités par TCC, le nombre moyen de vertèbres intéressées par la tige de croissance était de 9,5 vertèbres avec des extrêmes de 4 à 14. Nous avons considéré cette moyenne de 9,5 pour simuler l’usage que nous aurions pu faire pour cette même cohorte avec une tige de croissance magnétique. Si un allongement de 1,23 mm par vertèbre et par an est réalisé, cela correspond à une distraction de 11,685 mm par année. Le potentiel de croissance des tiges magnétiques étant
actuellement de 48 mm, il sera pratiquement totalement utilisé à la fin des 4 années d’observation. Cette étude a plusieurs limites. La principale est que notre comparaison de coûts n’est pas basée sur des données issues d’une étude prospective randomisée comparant des patients traités par TCC et TCM. Cette méthodologie apporterait le plus haut niveau de preuve pour démontrer l’efficience de la stratégie TCM. Cependant, nous considérons que ce type d’étude a très peu de chance d’être mis en œuvre du fait de difficultés d’acceptabilité et de faisabilité. La scoliose de type SGP est une affection sévère et associée à un handicap potentiellement lourd de l’enfant. Dans le contexte difficile où l’enfant, après échec d’un traitement orthopédique, et sa famille se verraient proposer par le chirurgien un geste chirurgical consistant en l’implantation d’une ou deux tiges vertébrales de distraction, nous considérons que la présentation des options thérapeutiques, l’une nécessitant des chirurgies itératives d’allongement (tous les 6 mois) et l’autre se faisant uniquement en consultation externe n’est pas de nature à permettre un fort taux d’acceptabilité. Compte tenu de la lourdeur de prise en charge de ces patients (moins de 50 cas/an traités en France), le faible taux attendu d’acceptabilité en cas d’étude randomisée ne permettrait donc pas de garantir la faisabilité d’une telle étude dans des délais acceptables. Enfin, sur la base des centres franc¸ais actuellement experts dans la SGP, l’utilisation de la stratégie TCM est devenue prédominante au cours des 18 derniers mois. À ce jour, aucune étude comparative de cette nature n’a été initiée d’après le site ClinicalTrials.gov. Par conséquent, nous avons proposé un modèle de comparaison de coûts sur la base d’une simulation en considérant les données obtenues dans la littérature et notre expérience locale. Même si les coûts que nous avons décrits peuvent sembler théoriques, la modélisation est une méthode couramment utilisée en économie de la santé [11]. D’autres limites peuvent être soulignées. Premièrement, nous n’avons pas considéré les coûts directs de prise en charge ambulatoire tels que le coût des médicaments ou des consultations médicales ambulatoires. Deuxièmement, les coûts indirects, tel que la perte de productivité liée aux arrêts de travail des parents auraient été intéressants à considérer mais demeurent difficiles à estimer. Enfin, il aurait été pertinent de conduire l’évaluation sur un horizon temporel plus long, jusqu’à l’arthrodèse vertébrale.
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C. Charroin et al. / Revue de chirurgie orthopédique et traumatologique 100 (2014) 351–356
Le manque de données publiées au long court sur les patients traités par TCM nous a par conséquent conduit à considérer que ces tiges avaient la capacité de maintenir une courbure scoliotique à 3 et 4 années de suivi. Ceci doit être confirmé par d’autres études cliniques. Enfin, les coûts associés aux infections cutanées n’ont pas été pris en compte. Ceci est lié au fait que cet évènement n’aurait pas pu être correctement estimé avec la stratégie TCM, puisque la plus grande cohorte publiée (expérience britannique) a mentionné seulement deux cas d’infection superficielle cutanée sur 34 patients traités, et aucun cas de plaie profonde. Cependant, cet évènement est en principe une complication de la chirurgie. Il est donc attendu que le taux d’infection cutanée, ainsi que les coûts associés, soit considérablement diminué par l’utilisation des tiges TCM. Peu d’éléments sont connus concernant les possibilités mécaniques du dispositif ainsi que la capacité à s’allonger de manière fiable et régulière. Des différences peuvent être visibles entre la capacité d’allongement indiquée par la télécommande et l’allongement réel obtenu par mesure radiographique. Ceci a été en effet décrit dans notre centre en fonction notamment de la corpulence des patients et du type de déformation rachidienne. Notre protocole est une base théorique repère qui évoluera au fur et à mesure de notre usage de ce dispositif en fonction des capacités de la tige et des propriétés mécaniques de chaque scoliose. L’intérêt des tiges magnétiques est de permettre un maintien de la courbure scoliotique tout en évitant le recours à des chirurgies itératives, ce qui devrait permettre un gain de qualité de vie majeur par rapport aux tiges classiques. Par conséquent, des études de type coût/utilité incluant la qualité de vie mesurée par un questionnaire spécifique [16] seraient d’un grand intérêt, mais une telle approche supposerait également une étude prospective comparative. L’amélioration de la qualité de vie pourrait être indirectement estimée, considérant qu’environ 2 chirurgies par patient/année pourraient être évitées avec la technique TCM. Bien que le service médical attendu de cette nouvelle technique semble très important, des données à long terme sur l’efficacité des TCM font actuellement défaut. Notre étude apporte des données originales sur une pathologie rare et des éléments en faveur de la prise en charge financière des tiges magnétiques. Si l’efficience de cette technique est confirmée par la suite, la stratégie innovante de distraction par tige de croissance magnétique pourrait s’inscrire dans un des rares cas de figure où une technologie de rupture permet une nette amélioration de la qualité de prise en charge des patients tout en diminuant les dépenses pour l’assurance maladie. 5. Conclusion La prise en charge des scolioses sévères avec tiges de croissance conventionnelles est caractérisée par un coût substantiel par patient, en raison des chirurgies de distraction itératives et des
hospitalisations associées. Par ailleurs, malgré leur efficacité sur le contrôle de la courbure scoliotique, la prise en charge est associée à des taux de complications élevés dont la fréquence est proportionnelle aux nombres de chirurgies et de distractions réalisées. Cette morbidité spécifique milite en faveur de techniques de distraction non invasives. Dans ce contexte, l’utilisation des tiges de croissance magnétique semble prometteuse. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Marks DS, Qaimkhani SA. The natural history of congenital scoliosis and kyphosis. Spine 2009;34:1751–5. [2] Akbarnia BA, Emans JB. Complications of growth-sparing surgery in early-onset scoliosis. Spine 2010;35:2193–204. [3] Gomez JA, Lee JK, Kim PD, Roye DP, Vitale MG. Growth friendly spine surgery: management options for the young child with scoliosis. J Am Acad Orthop Surg 2011;19:722–7. [4] Cheung KM-C, Cheung JP-Y, Samartzis D, Mak KC, Wong YW, Cheung WY, et al. Magnetically controlled growing-rods for severe spinal curvature in young children: a prospective case series. Lancet 2012;379:1967–74. [5] Greggi T, Lolli F, Di Silvestre M, Martikos K, Vommaro F, Maredi E, et al. Complications incidence in the treatment of early-onset scoliosis with growing spinal implants. Stud Health Technol Inform 2012;176:334–7. [6] Bess S, Akbarnia BA, Thompson GH, Sponseller PD, Shah SA, El Sebaie H, et al. Complications of growing-rod treatment for early-onset scoliosis: analysis of one hundred and forty patients. J Bone Joint Surg Am 2010;92:2533–43. [7] Phillips JH, Knapp Jr DR, Herrera-Soto J. Mortality and morbidity in early-onset scoliosis surgery. Spine 2013;38(4):324–7. [8] Akbarnia BA, Mundis Jr GM, Salari P, Yaszay B, Pawelek JB. Innovation in growing-rod technique: a study of safety and efficacy of a magnetically controlled growing-rod in a porcine model. Spine 2012;37:1109–14. [9] Dannawi Z, Altaf F, Harshavardhana NS, El Sebaie H, Noordeen H. Early results of a remotely-operated magnetic growth rod in early-onset scoliosis. Bone Joint J 2013;95–B:75–80. [10] Armoiry X, Abelin-Genevois K, Charroin C, Aulagner G, Cunin V. Magnetically controlled growing-rods for scoliosis in children. Lancet 2012;380(9849): 1229. [11] HAS. Choix méthodologique pour l’évaluation économique à l’Haute Autorité de santé; 2011. [12] Yang JS, Sponseller PD, Thompson GH, Akbarnia BA, Emans JB, Yazici M, et al., Growing Spine Study Group. Growing-rod fractures: risk factors and opportunities for prevention. Spine 2011;36(20):1639–44 [Phila Pa 1976]. [13] Shilla and MAGEC systems for growing children with scoliosis: a review of the clinical benefits and cost-effectiveness. Canadian agency for drugs and technologies in health; 2013. http://www.cadth.ca/media/pdf/htis/jan-2013/ RC0421 RR RiB PedScoliosis e.pdf [14] Dimeglio A. Growth in pediatric orthopaedics. J Pediatr Orthop 2001; 21(4):549–55. [15] Sankar WN, Skaggs DL, Yazici M, Johnston II CE, Shah SA, Javidan P, et al. Lengthening of dual growing-rods and the law of diminishing returns. Spine 2011;36(10):806–9. [16] Corona J, Matsumoto H, Roye DP, Vitale MG. Measuring quality of life in children with early-onset scoliosis: development and initial validation of the early-onset scoliosis questionnaire. J Pediatr Orthop 2011;31(2):180–5.