Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 134 (2017) 333–335
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Cas clinique
La maladie de Kikuchi-Fujimoto, une cause rare d’adénopathie en Afrique. Description de la première observation au Sénégal et revue de la littérature夽 C.-A. Lame a,∗ , B. Loum a , A.-K. Fall b , J. Cucherousset c , A.-R. Ndiaye b a
Service ORL, hôpital Principal de Dakar, 11, rue Jean-Mermoz, Dakar, Sénégal Service de médecine interne, hôpital Principal de Dakar, 11, rue Jean-Mermoz, Dakar, Sénégal c Service de pathologie, GHI Le Raincy – Montfermeil, 10, rue du Général-Leclerc, 93370 Montfermeil, France b
i n f o
a r t i c l e
Mots clés : Maladie de Kikuchi-Fujimoto Lymphadénite histiocytaire nécrosante Adénopathies cervicales Afrique noire
r é s u m é Introduction. – La maladie de Kikuchi-Fujimoto est une lymphadénite histiocytaire nécrosante. Cette pathologie bénigne atteint le plus souvent le sujet féminin d’âge mûr. Elle se manifeste généralement par des adénopathies cervicales fébriles. Elle doit être évoquée dans notre contexte d’exercice dominé par la fréquence des adénopathies tuberculeuses et des hémopathies malignes. Observation. – Nous rapportons le cas d’une femme sénégalaise âgée de 33 ans qui a présenté des adénopathies cervicales subaiguës dans un contexte fébrile. Il existait un syndrome inflammatoire biologique. Les bilans sérologique et tuberculeux étaient négatifs. L’analyse histopathologique d’une biopsie ganglionnaire, après échec d’un traitement antibiotique non spécifique, concluait à une maladie de Kikuchi-Fujimoto. L’évolution était favorable sous corticothérapie. Conclusion. – En Afrique noire, l’association de polyadénopathies et de syndrome fébrile doit faire penser et rechercher, après la tuberculose et les lymphomes à des pathologies rares comme la maladie de KikuchiFujimoto. © 2017 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
1. Introduction La maladie de Kikuchi-Fujimoto est une lymphadénite nécrosante à l’origine d’adénopathies qui survient le plus souvent chez le sujet jeune. C’est une maladie très rare qui mérite d’être connue des praticiens particulièrement en Afrique où la tuberculose est encore fréquente. Les auteurs rapportent ici une observation de la maladie de Kikuchi-Fujimoto décrite chez une jeune femme sénégalaise. 2. Observation Madame N.N.F., âgée 33 ans, sans antécédent particulier, a consulté pour des adénopathies latéro-cervicales gauches fermes et sensibles, évoluant depuis 8 semaines dans un contexte de
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2017.02.007. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C.-A. Lame). http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2016.12.003 1879-7261/© 2017 Publie´ par Elsevier Masson SAS.
fièvre vespérale associée à des sueurs nocturnes sans notion d’amaigrissement. L’hémogramme retrouvait une leucopénie à 2730 globules blancs par mm3 sans anémie associée ni anomalie plaquettaire. La vitesse de sédimentation était respectivement de 54 et 97 mm à la 1re et à la 2e heure. Les sérodiagnostics de la toxoplasmose et de la rubéole étaient négatifs. L’intradermo-réaction à la tuberculine revenait aussi négative. La radiographie thoracique était normale et le scanner cervical confirmait la présence de plusieurs adénopathies latéro-cervicales gauches sans autre lésion associée. Devant la persistance des adénopathies cervicales, après un traitement antalgique (paracétamol) associé à une antibiothérapie probabiliste (amoxicilline + acide clavulanique) et un mois de surveillance, une biopsie ganglionnaire était décidée. L’analyse histopathologique et l’étude immunohistochimique de 2 ganglions concluaient en une lymphadénite nécrosante (Fig. 1 et 2) ou maladie de Kikuchi-Fujimoto. Un bilan pré thérapeutique précédait une corticothérapie par de la prednisolone à raison de 60 mg par jour pendant 5 jours. L’évolution, au bout d’un mois, était favorable marquée par la disparition des adénopathies et des signes généraux, tandis que la biologie se normalisait.
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Fig. 1. Architecture ganglionnaire avec nécrose à prédominance paracorticale renfermant de nombreux débris cellulaires, associée à un infiltrat lymphohistiocytaire marqué sans polynucléaires neutrophiles (hématoxyline éosine safran HES × 100).
Fig. 2. Architecture ganglionnaire avec nécrose à prédominance paracorticale renfermant de nombreux débris cellulaires, associée à un infiltrat lymphohistiocytaire marqué sans polynucléaires neutrophiles (hématoxyline éosine safran HES × 400).
3. Commentaires La maladie de Kikuchi-Fujimoto est une lymphadénite histiocytaire nécrosante décrite en 1972 simultanément par les japonais Kikuchi et Fujimoto [1]. Elle siège avec prédilection au niveau de la région cervicale [2]. Elle est plus fréquente en Asie particulièrement au Japon sans que l’association ethnique et géographique ne soit clairement expliquée. Certains auteurs ont identifié les allèles HLA de classe II (DPA101 et DPB102) comme associés à la maladie et plus fréquents chez les asiatiques [1–3]. C’est une pathologie du sujet jeune de moins de 40 ans avec un âge moyen de survenue à 21 ans et une prédominance féminine [1,4]. La symptomatologie clinique est principalement caractérisée (80 % des cas) par des adénopathies cervicales fermes, douloureuses, mobiles, non fluctuantes, jamais purulentes [1]. Les signes généraux sont surtout représentés par la fièvre (1 cas sur 3). L’amaigrissement est très rare. Les autres signes possibles sont le rash cutané maculopapuleux, urticarien ou morbiliforme ; les arthralgies, les myalgies, les sueurs, la splénomégalie et l’hépatomégalie [1,5]. Les atteintes systémiques sont plus rares [4], mais des cas de maladie de Kikuchi-Fujimoto associés au lupus cutané subaigu ou discoïde sont décrits dans la littérature [1,5].
Les formes disséminées ont été rapportées et semblent concerner surtout des patients ayant un certain degré d’immunodéficience [1,5]. Les adénopathies cervicales n’ont aucun caractère spécifique à l’imagerie. L’échographie et la tomodensitométrie cervicales retrouvent des adénopathies ovalaires non nécrotiques mesurant généralement entre 1 et 3 cm. Les anomalies biologiques au cours de la maladie de KikuchiFujimoto, sont caractérisées par un syndrome inflammatoire avec une leucopénie à l’hémogramme. La leucopénie modérée est observée dans 25 à 50 % des cas. Elle est en rapport avec une neutropénie qui semble associée à une fièvre prolongée [1,4,6]. L’hyperleucocytose est plus rare et est observée dans 2 à 5 % des cas [1,4]. Un tiers de ces patients présentent des lymphocytes atypiques sur le frottis de sang périphérique [4]. Les sérodiagnostics de la toxoplasmose, de la rubéole, du VIH, de la syphilis et de la mononucléose infectieuse sont souvent négatifs. Mais, l’association avec une infection à VIH est possible [1,5]. Le diagnostic de la maladie de Kikuchi-Fujimoto est anatomopathologique après biopsie exérèse d’une adénopathie. Macroscopiquement, la coupe du ganglion peut révéler des foyers jaunâtres de nécrose. Microscopiquement, l’architecture ganglionnaire est partiellement respectée et 3 aspects peuvent être observés : la forme nécrosante (plus de 50 % des cas), la forme proliférative (30 %) et la forme xanthogranulomateuse (< 20 %) [1,3,4]. Selon certains auteurs, ces différentes formes constituent un spectre évolutif de la maladie avec une phase proliférative puis nécrosante (phase résorptive) suivie de la phase terminale qui est xanthogranulomateuse [1,7,8]. L’absence de polynucléaires neutrophiles et éosinophiles est un élément constant, important pour le diagnostic. L’étude immunohistochimique confirme l’abondance de cellules histiocytaires CD68+ ; les lymphocytes des zones pathologiques sont essentiellement de type T suppresseurs (CD8+) [9]. L’étude anatomopathologique permet aussi et surtout en Afrique subsaharienne d’éliminer d’importants diagnostics différentiels comme les nécroses ganglionnaires infectieuses (notamment la tuberculose), la maladie des griffes du chat et les lymphomes [4]. La maladie de Kikuchi-Fujimoto évolue spontanément vers la guérison en quelques semaines dans la majorité des cas [1,2,4]. Des décès sont survenus au cours de formes systémiques de la maladie [1,5,10]. Sur le plan thérapeutique, les antibiotiques n’influencent pas le cours de la maladie, ceci a été démontré chez notre patiente. Les AINS sont suffisants sur le plan symptomatique dans la forme localisée. Certains auteurs considèrent la biopsie exérèse comme un acte thérapeutique. L’exérèse accélérerait la guérison en supprimant ou neutralisant les stimuli responsables de la réaction immunologique [1,4]. Mais lorsque la maladie se présente dans sa forme systémique, une corticothérapie de courte durée est préconisée à la posologie de 20 mg/jour à 1 mg/kg/j pendant 3 à 6 jours. Le traitement par immunoglobulines intraveineuses a été proposé dans les formes sévères et résistantes à de fortes doses de corticoïdes (trois bolus de 1 g de méthylprednisolone) associées à la thalidomide 200 mg/j [2,3].
4. Conclusion En Afrique, la présence d’adénopathies chroniques fébriles chez un sujet jeune, doit faire évoquer en premier lieu une étiologie infectieuse, en particulier la tuberculose ganglionnaire. La maladie de Kikuchi-Fujimoto est exceptionnelle dans notre contexte. Cette observation en est la première publication faite au Sénégal. Il faut savoir y penser devant des adénopathies cervicales avec une fièvre souvent prolongée chez un sujet jeune. Le diagnostic de la maladie de Kikuchi-Fujimoto repose sur l’anatomopathologie et
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son évolution est habituellement bénigne. Mais elle mérite d’être mieux connue du fait de la possibilité non négligeable de survenue de formes d’emblée sévères et graves ou des cas d’association avec une connectivite comme le lupus qui est fréquent dans les populations noires. La corticothérapie préconisée dans les formes systémiques n’est pas anodine surtout en milieu tropical du fait de risques graves, en particulier infectieux. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Viallard J-F, Parrens M, Lazaro E, et al. Lymphadénite histiocytaire nécrosante ou maladie de Kikuchi-Fujimoto. Presse Med 2007;36:1683–93. [2] Astudillo L. La maladie de Kikuchi-Fujimoto. Rev Med Interne 2010;31:757–65.
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