Morphologie (2012) 96, 12—15
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
MISE AU POINT
Une cause rare d’occlusion aiguë du grêle : la hernie de Spiegel étranglée. Description d’un cas et revue de la littérature A rare cause of acute small bowel obstruction: Incarcerated Spieghelian hernia. Case-report and literature review D. Moszkowicz a, F. Paye a,b, P. Balladur a,b, J.H. Lefevre a,∗,b a
Département de chirurgie digestive, hôpital Saint-Antoine, Assistance publique—Hôpitaux de Paris, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France b Faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie, université de Paris-VI, 75005 Paris, France Disponible sur Internet le 22 mars 2012
MOTS CLÉS Anatomie ; Hernie de Spiegel ; Hernie latérale de l’abdomen ; Occlusion aiguë du grêle
KEYWORDS Acute small bowel obstruction; Anatomy; ∗
Résumé Nous rapportons le cas d’un malade de 73 ans, aux antécédents d’adénocarcinome du pancréas opéré par laparotomie médiane, se présentant aux urgences pour un tableau d’occlusion aiguë du grêle secondaire à une hernie antérolatérale de l’abdomen (ou hernie de Spiegel) étranglée. À la tomodensitométrie, la hernie siégeait au bord latéral du muscle droit à droite et se développait à travers un orifice étroit des aponévroses des muscles oblique interne et transverse de l’abdomen sans traverser l’aponévrose du muscle oblique externe. Une hernie de Spiegel ou hernie de la ligne semi-lunaire s’extériorisera le plus souvent au niveau du point faible situé à l’intersection entre la ligne semi-lunaire et l’extrémité latérale de la ligne arquée, au niveau d’une zone de transition dans la constitution du feuillet postérieur de la gaine rectusienne. Ce point faible est limité en bas par l’artère épigastrique inférieure. Devant une occlusion du grêle chez un malade ayant un antécédent de laparotomie, il conviendra de rechercher systématiquement une hernie antérolatérale de l’abdomen étranglée, avant d’évoquer une occlusion sur brides et adhérences postopératoires. Les hernies de Spiegel sont asymptomatiques dans neuf cas sur dix mais le risque d’étranglement est élevé imposant un traitement chirurgical systématique. La prise en charge pourra se faire, en chirurgie programmée comme en urgence, par abord direct ou par laparoscopie, avec ou sans pose de matériel prothétique. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary A 73-year-old man, who previously underwent laparotomy for pancreatic adenocarcinoma, was admitted in the emergency room for acute small bowel obstruction related to a strangulated Spieghelian hernia. On CT-scan, the hernia was located at the lateral border of the right rectus abdominis muscle below the external oblique muscle, among the transverse abdominis and internal oblique muscles layers. Spieghelian hernias (or hernia of the linea semilunaris) often occur at the level of a weak spot where the linea accurata crosses the linea
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.H. Lefevre).
1286-0115/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.morpho.2012.02.002
Hernie de Spiegel étranglée
Lateral hernia of the abdomen; Spieghel hernia; Spiegel hernia
13 semilunaris, when the posterior layer of the rectus gain changes its conformation. This weak spot is limited underneath by the inferior epigastric artery. When examining a patient with a previous history of laparotomy presenting with acute small bowel obstruction, it is mandatory to exclude a possible strangulated Spieghelian hernia before concluding to postoperative intraabdominal adhesions. Spieghelian hernias are asymptomatic in approximately 90% of cases but entail a high risk of strangulation. Consequently, herniorrhaphy through a local approach route or open/laparoscopic mesh repair is always required. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Cas clinique Nous rapportons le cas d’un malade de 73 ans, aux antécédents d’adénocarcinome ductulaire du pancréas opéré par laparotomie médiane sept ans auparavant puis réopéré quatre ans plus tard pour une cure d’éventration médiane postopératoire par hernioplastie intra-péritonéale, admis au service des urgences pour un tableau d’occlusion aiguë du grêle associant arrêt des matières et des gaz, vomissement et météorisme central. L’examen clinique révélait une tuméfaction du flanc droit douloureuse à la palpation, non impulsive à la toux et irréductible, située à distance des anciens orifices de drainage et de la cicatrice de laparotomie. Le malade n’était pas fébrile et la palpation de l’abdomen ne mettait pas en évidence de signe d’irritation péritonéale. Une tomodensitométrie abdominale permettait d’écarter une récidive d’éventration étranglée par incarcération d’anse grêle entre la paroi abdominale et la plaque et mettait en évidence une hernie de Spiegel étranglée contenant des anses jéjunales. La hernie siégeait au bord latéral du muscle droit à droite et se développait à travers un orifice étroit des aponévroses des muscles oblique interne et transverse de l’abdomen sans traverser l’oblique externe (Fig. 1). L’indication opératoire était portée en urgence et associée à la mise en place d’une sonde naso-gastrique en aspiration et à une rééquilibration hydro-électrolytique. L’intervention était réalisée par voie élective. Après incision de l’aponévrose du muscle oblique externe centrée sur la voussure, le sac herniaire, qui contenait des anses grêles ne présentant pas de signe de nécrose, était disséqué, réséqué, puis refoulé dans l’abdomen (Fig. 2). Une suture transversale du collet par des points séparés de fil non résorbable était réalisée. Les suites opératoires étaient simples et le malade quittait l’hôpital au septième jour postopératoire après reprise d’un transit intestinal normal.
Revue de la littérature Bases embryologiques et physiopathologiques Les hernies antérolatérales de l’abdomen regroupent les hernies ombilicale, épigastrique, de la ligne de Spiegel et le diastasis des muscles droits [1]. Les hernies de Spiegel (HS), ou hernies latérales de l’abdomen, représentent classiquement moins de 2 % de la pathologie herniaire, bien que l’incidence des hernies occultes ait pu être sous-estimée et atteindre 2,5 % dans une série de 201 laparoscopies pour pathologie non herniaire [2]. Ces HS sont acquises,
surviennent vers 50 ans [3] et sont favorisées par le vieillissement des tissus et par les situations à l’origine d’une hyperpression intra-abdominale (prostatisme, toux chronique, constipation). Dans deux séries récentes, un antécédent de laparotomie a été retrouvé chez au moins 50 % des malades pris en charge pour une HS [4,5]. La principale hypothèse étiopathogénique retenue est la théorie des fasciculations musculo-aponévrotiques qui soutient que les muscles oblique interne et transverse de l’abdomen ont une structure fasciculaire marquée par l’alternance de zones musculaires et de zones fibro-adipeuses de moindre résistance. D’autres théories ont été évoquées comme la théorie de la transition embryologique, au niveau de la ligne
Figure 1 Tomodensitométrie abdominale en coupe transversale, illustrant l’occlusion aiguë de l’intestin grêle (coexistence de grêle plat et de grêle dilaté, présence de pseudo-selles au sein de l’intestin, flèche épaisse), associée à un épanchement liquidien au sein du sac herniaire (tête de flèche), en rapport avec une hernie de Spiegel étranglée siégeant au bord latéral du muscle droit à droite (flèche fine) et se développant à travers un orifice des aponévroses des muscles oblique interne et transverse de l’abdomen (astérisque). In section transverse abdominal scanning, illustrating the acute obstruction of the small intestine (coexistence flat and dilated hail, presence of pseudo-saddles within the bowel, thick arrow), associated with a liquidian effusion within the hernial pocket (head of arrow), in touch with incarcerated Spieghelian hernia sitting in the side edge of the right muscle to the right (fine arrow) and developing through an opening of the aponevrosis of internal and cross-functional muscles of the belly (asterisk).
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D. Moszkowicz et al.
Figure 3 Schéma anatomique correspondant à la Fig. 1 : coupe transversale de la paroi antérolatérale de l’abdomen, sous la ligne arquée. Légendes : FS : fascia superficialis ; DA : droit de l’abdomen ; FT : fascia transversalis ; PP : péritoine pariétal antérieur ; AEI : artère épigastrique inférieure ; AO : artère ombilicale ; OE : oblique externe ; OI : oblique interne ; TA : transverse de l’abdomen. Anatomical plan according to the Fig. 1: cross section of the anterolateral wall of the belly, under the hooked line. Legends: FS: superficialis fascia; DA: right of the belly; FT: transversalis fascia; PP: previous parietal peritoin; AEI: lower epigastrical arteria; AO: umbilical internal arteria; OE: oblique extern; OI: internal oblique; TA: transverse of the belly. Figure 2 Vue peropératoire du sac herniaire (étoile), après section de l’aponévrose du muscle oblique externe (berges aponévrotiques réclinées et désignées par les têtes de flèche), s’extériorisant au niveau d’un collet herniaire étroit (astérisque). Peroperating of the hernial pocket view, after section of the aponevrosis of the external oblique muscle (inclined aponevrotic banks and indicated by the heads of arrow), expressing itself at the level of a narrow hernial snare (asterisk).
semi-lunaire, entre les muscles droits dérivés du mésoderme et les muscles larges dérivées des myotomes thoraciques inférieurs et lombaires, formant une zone de faiblesse [6].
Bases anatomiques Le chirurgien et anatomiste Adrian van der Spiegel publia la première description anatomique de la ligne semi-lunaire en 1645 [7]. La ligne semi-lunaire (de Spiegel) est la frontière sinueuse entre les portions charnue et aponévrotique antérieure du muscle transverse de l’abdomen. Cette notion est souvent confondue en pratique chirurgicale avec le bord latéral de la gaine rectusienne ou ligne blanche latérale. En fait, les frontières musculo-aponévrotiques des muscles larges ne se superposent pas tout à fait et il s’agit plutôt d’une zone que d’une ligne. Cette zone, dite aponévrose Spiegelienne, s’étend du cartilage costal de la huitième côte au pubis. Une hernie de la ligne semilunaire s’extériorisera le plus souvent au niveau du point faible situé à l’intersection entre la ligne semi-lunaire et l’extrémité latérale de la ligne arquée, au niveau d’une zone de transition dans la constitution du feuillet postérieur de la gaine rectusienne (Fig. 3). Ce point faible est limité en bas par l’artère épigastrique inférieure [8]. Ainsi, les HS sont initialement situées en arrière du muscle droit et s’extériorisent à son bord externe selon un trajet oblique en avant et en dehors. Le sac péritonéal glisse progressivement sous la ligne arquée. Au-dessus de l’ombilic, les fibres du muscle oblique interne et du muscle transverse de
l’abdomen sont orientées perpendiculairement s’opposant ainsi à la formation d’une hernie. À l’opposé, ces fibres sont plus parallèles en dessous de l’ombilic ce qui réduit leur résistance à la pression abdominale. La plupart des hernies surviennent ainsi au niveau de la ceinture Spiegelienne, une zone de 6 cm de hauteur située entre l’ombilic en haut et une ligne passant par les épines iliaques antérosupérieures an bas [9,10]. Deux formes anatomiques sont décrites. Les formes hautes, plus fréquentes, sont localisées au-dessus des vaisseaux épigastriques inférieurs. Les formes basses des HS sont situées en dessous des vaisseaux épigastriques inférieurs et sont parfois confondues avec une hernie inguinale directe. On distingue par ailleurs deux formes cliniques. Dans les hernies interstitielles, l’aponévrose de l’oblique externe est préservée et le collet herniaire est souvent petit. Leur diagnostic clinique est difficile. Dans les formes constituées, tous les plans aponévrotiques sont refoulés et le diamètre du collet peut être important. Cette dernière représente moins de 1 % des HS dans une série de 117 malades [11]. Dans notre cas, la HS était interstitielle haute.
Prise en charge chirurgicale Les HS sont asymptomatiques dans neuf cas sur dix mais le risque d’étranglement est élevé, de 17 % dans la série de Larson colligeant 81 HS chez 76 malades [12], à 40 % des cas pour d’autres auteurs [8], imposant un traitement chirurgical systématique. Différents abords chirurgicaux sont possibles : direct, par raphie ou plastie prothétique pré-péritonéale ou pré-aponévrotique ; laparoscopique, par raphie ou plastie prothétique intra-péritonéale, trans-abdomino-prépéritonéale ou extra-péritonéale. Une herniorraphie par abord direct est le plus souvent suffisante si le collet herniaire est étroit (inférieure à 2 cm). Dans le cas contraire, une réparation par abord direct ou laparoscopique transpéritonéal avec plaque double face ou pré-péritonéale est recommandée, avec un moindre risque de récidive qu’en cas de suture simple [12]. L’utilisation de matériel
Hernie de Spiegel étranglée prothétique en situation d’urgence est controversée et fait l’objet de travaux récents qui concluent que le risque infectieux ne semble pas plus élevé qu’en situation de chirurgie programmée [13]. La laparoscopie présente l’avantage de faciliter la localisation de l’orifice herniaire, de reconnaître une hernie interstitielle douloureuse mais non palpable et de mettre en évidence des orifices multiples. Elle est associée en outre à une meilleure préservation pariétale et à une moindre durée d’hospitalisation [14]. La voie extra-péritonéale expose à moins d’adhérences postopératoires que la voie trans-abdomino-pré-péritonéale mais elle est techniquement plus difficile [15]. Dans notre cas, l’antécédent de laparotomie puis de cure d’éventration par plaque intra-péritonéale exposait à la présence de nombreuses adhérences intra-abdominales ce qui nous a conduits à écarter la laparoscopie au profit d’un abord direct (Fig. 2).
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