Revue des Maladies Respiratoires (2012) 29, 953—955
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ÉDITORIAL
La pneumopathie d’hypersensibilité d’origine domestique Home-related hypersensitivity pneumonitis
La pneumopathie d’hypersensibilité (PHS) est une pneumopathie de mécanisme immuno-allergique complexe dû à l’inhalation de substances antigéniques le plus souvent organiques auxquelles le sujet a été préalablement sensibilisé. Elle requiert l’inhalation chronique, mais parfois intermittente, de concentrations élevées de microorganismes bactériens ou fongiques ou de substances aviaires. Ces conditions d’exposition sont réalisées le plus souvent en milieu professionnel (maladie du poumon de fermier par exemple) ou lors d’activités dites récréatives, comme la maladie des éleveurs d’oiseaux [1,2]. Dans ce contexte, le diagnostic pose rarement de problème. Il en est autrement des PHS domestiques, c’est-à-dire survenant « à la maison », qui, si l’on excepte des situations d’exposition para-professionnelles (de type agricole ou la présence d’oiseaux à domicile. . .) sont sources d’hésitations et de spéculations diagnostiques qui ne sont souvent levées qu’au terme d’une enquête multidisciplinaire, qui débute, dans la mesure du possible, par l’intervention d’un conseil médical en environnement intérieur [3]. Les PHS sont considérées comme des maladies rares, a fortiori les PHS domestiques. Mais, tout pneumologue, quel que soit son mode d’exercice, y est confronté. Leur fréquence exacte n’est pas connue et ne peut même être estimée car la plupart du temps les observations ne sont pas publiées et il n’y a pas d’étude épidémiologique en population générale qui leur soit consacrée. Un rapport de cas cliniques diagnostiqués avec preuves histopathologiques à la Mayo Clinic a classé l’étiologie domestique au quatrième
rang (10 % des cas) après la maladie des éleveurs d’oiseaux, le poumon des jacuzzis ou spas et la maladie du poumon de fermier [4]. La fréquence avec laquelle le laboratoire de Besanc ¸on est sollicité pour des enquêtes microbiologiques et/ou immunologiques témoigne également d’une pathologie généralement sous-estimée, en tout cas trop rarement abordée dans la littérature médicale récente. C’est tout le mérite de l’article de Caillaud et al. publié dans ce numéro de la Revue des Maladies Respiratoires, qui, à notre connaissance, est le seul en langue franc ¸aise à s’y consacrer [5]. Parmi les étiologies que les auteurs abordent, nous souhaitons apporter quelques précisions sur les PHS liées aux moisissures et sur le poumon des jacuzzis, dont la fréquence ne peut qu’augmenter dans les pays industrialisés comme la France. Ainsi que l’indiquent les auteurs, un habitat insalubre est parfois évident dans les suites d’un dégât des eaux ou d’une inondation ou encore lorsque des odeurs de moisi se dégagent d’un vide sanitaire ou d’une pièce froide et humide. Mais, dans notre expérience, l’identification d’une atmosphère contaminée en moisissures a souvent été une surprise pour le patient mais parfois également pour le spécialiste. Il faut se souvenir des facteurs de risque classiques de contamination fongique : froid (pour la plupart des moisissures pathogènes), humidité, manque de lumière directe, confinement ou défaut d’aération et richesse en matières organiques [6]. Il faut ajouter l’utilisation de plus en plus courante de bois dans la construction, de plaques de plâtre dans les murs et les plafonds et plus généralement de zones réservées à l’isolation, qui peuvent cacher
0761-8425/$ — see front matter © 2012 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2012.09.003
954 les moisissures. Le développement nécessaire des habitats économiques en énergie lié notamment à la hausse continue du prix des combustibles fossiles peut conduire à des habitats insalubres si cela ne s’accompagne pas d’un assainissement des locaux par des systèmes de renouvellement d’air performants. Si l’on excepte les épidémies d’une forme particulière dénommée la fièvre d’été (summer-type fever) due dans la majorité des cas à une moisissure du genre Trichosporon [7] et qui a la particularité de ne survenir pratiquement qu’au Japon et l’été, les PHS domestiques sont d’apparition sporadique. Cela témoigne probablement de l’importance des facteurs individuels d’origine génétique, qui par ailleurs restent obscurs. La présentation de ces PHS n’a pas de spécificité et s’intègre dans les formes de type I décrites récemment par Lacasse et al. [8] et ressemblent au poumon de fermier, avec des symptômes pseudogrippaux récidivants, une altération de l’état général, un aspect tomodensitométrique qui associe plus ou moins du verre dépoli, des nodules et des signes indirects de bronchiolite et une fonction respiratoire peu altérée. À la différence des formes de type II, fibreuses, que l’on observe beaucoup plus volontiers en cas d’étiologie aviaire. Il faut mettre en exergue l’importance des tests d’immunodiagnostic. Plus que la technique sérologique utilisée, technique d’immunoprécipitation ou pas [9], la sélection du panel d’antigènes utilisé est fondamentale. L’utilisation de panels d’antigènes commerciaux, souvent peu représentatifs de l’exposition réelle, a montré ses limites dans le poumon de fermier et, dans cette même PHS, l’existence de faux-négatifs (sujets malades avec sérologie négative) a pu être rapportée à la responsabilité d’antigènes fongiques identifiés dans l’environnement professionnel du sujet mais non testés en routine [10]. Il peut être nécessaire, malgré l’utilisation d’un panel antigénique assez large, de mettre en œuvre une procédure individualisée, avec identification au domicile des sources antigéniques et fabrication d’antigènes « à la carte », ce qui requiert une bonne maîtrise des techniques de prélèvement et d’identification des microorganismes potentiellement pathogènes [11,12]. Enfin, il est possible que le développement d’antigènes recombinant trouve des applications dans les PHS domestiques liées aux moisissures, compte tenu d’une communauté antigénique vraisemblable dans la plupart des cas [13]. Caillaud et al. abordent aussi l’originalité des PHS liées à l’utilisation de jacuzzis ou spas [5]. Elles sont dues la plupart du temps à Mycobacterium avium intracellulaire qui est présent dans les circuits d’eau et dans les filtres. Mais, l’interrogatoire d’un sujet suspect ne doit pas se limiter à ces équipements de loisir, les mycobactéries pouvant se développer dans des sanitaires traditionnels. Plusieurs cas, dont deux récents [14,15], ont fait suite à l’utilisation de simples douches ou baignoires. Ces PHS ont certaines particularités, qui méritent de les individualiser des PHS liées aux autres microorganismes : l’agent pathogène est presque toujours retrouvé dans les produits de sécrétion pulmonaire, il existe volontiers des bruits bronchiques à l’auscultation, la fonction respiratoire montre le plus souvent un trouble ventilatoire obstructif, les nodules sont de plus grosse taille que ceux de la PHS classique et peuvent ressembler à ceux de la sarcoïdose, voire de la tuberculose, l’alvéolite lymphocytaire est le plus souvent à CD4, enfin les précipitines
Éditorial sont rarement positives. Ces « particularités » peuvent être observées dans d’autres PHS, comme le poumon de fermier, où l’on rencontre très fréquemment des formes obstructives et une alvéolite à CD4 [16]. L’atteinte bronchiolaire est par ailleurs constante dans les PHS dites classiques [17]. Les précipitines négatives peuvent s’expliquer par la difficulté à fabriquer des antigènes performants à partir de Mycobacterium avium intracellulaire. C’est l’association relativement constante de ces particularités qui, en fait, est troublante et a conduit, comme l’expliquent bien Caillaud et al. [5], à considérer ce poumon des jacuzzis comme une maladie infectieuse ou en tout cas ayant une composante infectieuse qui s’accompagne d’une réaction d’hypersensibilité. Certains praticiens continuent d’ailleurs à donner un traitement antibiotique associé à une corticothérapie. Dans les trois cas que nous avons personnellement pris en charge (données non publiées), les patients ont guéri après éviction antigénique, sans antibiotique ni corticoïde. C’est aussi le cas d’une des deux observations citée plus haut [14] où le patient a simplement installé un filtre à membranes de 0,2 de diamètre de pores. Ce filtre, comme d’autres procédés de remédiation cités par Caillaud et al. [5], est probablement insuffisant pour totalement stériliser l’environnement. Comme il est d’ailleurs vain de vouloir débarrasser les fermiers des moisissures et actinomycètes des foins et pailles engrangés. En effet, dans ce poumon des jacuzzis, comme dans les autres PHS liées aux microorganismes, il existe sans doute un seuil d’exposition en-dessous duquel le risque est minime, voire absent, et au-dessus duquel il existe une relation de type dose-effet entre la concentration antigénique et la probabilité d’être malade. Cela explique pourquoi l’utilisation de masques de protection respiratoire en prévention secondaire chez les fermiers, qui dans le meilleur des cas divise par 100 la quantité de microorganismes arrivant au contact de l’appareil respiratoire, suffit à éviter les récidives. Le diagnostic de PHS reste à l’heure actuelle difficile en l’absence de critères standardisés qui fasse référence. L’existence d’une exposition antigénique à un agent sensibilisant est considérée comme l’indicateur diagnostique le plus puissant [18]. D’où l’intérêt de parfaitement connaître l’environnement professionnel mais aussi domestique du patient chez qui on considère la possibilité d’une PHS. Cela passe par une visite à son domicile, avec la plupart du temps des prélèvements d’air ou de substrats, notamment dans les PHS domestiques liées aux moisissures et aux mycobactéries non tuberculeuses.
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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J.-C. Dalphin UMR CNRS chrono-environnement, service de pneumologie, CHU Jean-Minjoz, 2, boulevard Fleming, 25030 Besanc¸on cedex, France Adresse e-mail :
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