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ScienceDirect www.sciencedirect.com Revue française d’allergologie 54 (2014) 477–479
Éditorial
Les facteurs de risque de l’allergie alimentaire : des allergènes alimentaires au syndrome de Kounis. . . Risk factors for food allergy: From food allergens to Kounis syndrome. . . Dans le présent numéro de notre revue, Morisset et al. [1] nous offrent une mise au point (6 pages et 66 références) qui constitue un modèle du genre. Dans un espace très réduit, les auteurs nous fournissent un très grand nombre d’informations, ce qui demande un effort extrême de concision, supposant plusieurs relectures pour arriver à une mise en forme définitive très dépouillée. Certains lecteurs pourront le regretter, mais libre à eux d’aller aux sources en consultant telle ou telle référence. L’allergie alimentaire confirmée par un diagnostic médical spécialisé touche donc 1,4 à 3,7 % des adultes. On le sait depuis longtemps, ces chiffres sont très nettement inférieurs à ceux qu’avancent les individus de la population générale, interrogés sur le fait de savoir s’ils pensent être atteints d’allergie alimentaire. Dès 1996, dans une étude portant sur un échantillon de plus de 5000 familles et menée pendant 3 ans, en 1989, 1992 et 1993, Altman et Chiaramonte [2,3] avaient montré que 14 à 16 % des personnes interrogées croyaient avoir une allergie alimentaire. Parmi les premiers, ces mêmes auteurs avaient montré que la perception par les individus du rôle joué par les aliments au cours de l’asthme était également largement surévalué [4]. Morisset et al. [1] estiment même ce pourcentage à 20 %, ce qui souligne l’importance d’un diagnostic précis par une équipe rompue au diagnostic de l’allergie alimentaire et les limites des études épidémiologiques uniquement basées sur des questionnaires. Les facteurs de risque de l’allergie alimentaire de l’adulte sont nombreux. Dans cette revue qui inclue à la fois les facteurs de développer une allergie alimentaire et ceux de présenter une allergie alimentaire grave, les risques sont très nombreux : les aliments (arachide, fruits à coque, sésame) dont la liste augmente régulièrement avec l’apparition d’allergènes émergents (fenugrec, produits de la ruche, laits de chèvre et de brebis, camomille, escargots, viandes rouges, etc.), le type de protéine (protéines de stockage), les habitudes alimentaires culturelles plus ou moins corrélées à la géographie, les facteurs génétiques (certaines mutations du gêne de la filaggrine), le terrain atopique, les expositions professionnelles (en particulier aux protéines alimentaires), les médicaments (aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, immnunosupresseurs, bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, inhibiteurs de la http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.2014.10.004 1877-0320/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
pompe à protons, etc.), l’effort physique, le jeûne, l’alcool, le cannabis, les mastocytoses, le stress, etc. D’autres facteurs seront encore reconnus au cours des prochaines années. Morisset et al. [1] confirment que l’allergie aux colorants et aux additifs alimentaires est rare [5,6], contrairement aux idées rec¸ues, largement répandues dans la population ainsi que chez des gourous, parfois même médecins, qui en font leur fonds de commerce. . . La revue de Morisset et al. [1] soulève plusieurs questions, en particulier celle de savoir si l’allergie alimentaire est plus fréquente chez l’adulte que chez l’enfant. En effet, selon l’expérience professionnelle, il était habituel d’avancer qu’il y avait 3 enfants pour 1 adulte atteint d’allergie alimentaire, ce que semble en accord avec la véritable explosion de fréquence des allergies alimentaires que nous avons connue chez l’enfant [7]. Comme le soulignent les auteurs au début de leur article si « l’allergie alimentaire de l’adulte débute souvent au cours de l’enfance », il n’est pas rare qu’elle apparaisse à l’âge adulte chez un individu qui en était indemne jusque-là. Malheureusement, à notre connaissance, il n’existe pas d’étude épidémiologique fiable à ce sujet. Les divergences statistiques peuvent être expliquées de plusieurs fac¸ons. Depuis plusieurs décennies, la pédiatrie s’est organisée en sur-spécialités transversales parmi lesquelles la pneumologie et l’allergologie sont les plus actives. De plus, les services dédiés à ces affections incluent souvent les adolescents dans des intitulés du genre « Maladies respiratoires et allergiques de l’enfant et de l’adolescent ». . .ce qui est à conseiller. C’est pourquoi, beaucoup de statistiques donnent des chiffres de prévalence dans les tranches d’âge de 0 à 18 ans et de plus de 18 ans [8–10]1 . Dans ces conditions, les allergies alimentaires sont indiscutablement plus fréquentes avant 18 ans qu’après cet âge. A contrario, dans les centres qui ne disposent pas de réfé-
1 Lorsqu’ils ont évalué à 3 reprises la prévalence des allergies alimentaires à l’arachide et aux fruits à coque, Sicherer et al. [8–10] ont choisi la borne de 18 ans. Ils ont observé que la fréquence de l’allergie à l’arachide (0,4 % en 1997 et 1,4 % en 2007) avait été multipliée par 3,5 chez les enfants et les adolescents (≤ 18 ans), mais pas chez les adultes (> 18 ans), ce qui peut suggérer l’intervention de facteurs favorisants récents.
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rent(s) pédiatriques(s), la prise en charge est effectuée par des médecins d’adultes, ce qui fausse les statistiques. Pour les pédiatres-allergologues, l’anaphylaxie est sousestimée chez les jeunes enfants, car de nombreux médecins pensent qu’il s’agit surtout d’une pathologie de l’adulte. L’une des explications de ces difficultés de diagnostic pourrait provenir de la variation des symptômes des allergies sévères et de l’anaphylaxie en fonction de l’âge [11]. Dans une large étude, les symptômes de 605 enfants vus aux urgences pour anaphylaxie par allergie alimentaire ont été analysés chez 191 nourrissons (< 2 ans), 171 enfants d’âge préscolaire (2–5 ans), 150 d’âge scolaire (6–11 ans) et 145 adolescents (12–18 ans)2 . Les plus jeunes (jusqu’à 11 ans) étaient surtout des garc¸ons (57 à 71 %), tandis que les adolescents étaient plutôt des filles (52 %). Les symptômes variaient avec l’âge : les nourrissons avaient plus souvent un prurit, une urticaire, et des vomissements, alors que les enfants d’âge préscolaire présentaient plus souvent un wheezing et un stridor. Par contre, les symptômes subjectifs comme la « gêne pour avaler » ou la « difficulté pour respirer » étaient plus fréquents chez les adolescents, atteints plus souvent des symptômes cardio-vasculaires [11]. Dans l’ensemble du groupe, 14 % des enfants qui réunissaient les critères de diagnostic de l’anaphylaxie furent adressés à un service d’urgence, contre seulement 6 % des enfants les plus jeunes [11]. Entre 2001 et 2007, les mêmes auteurs ont étudié les fréquences d’admissions aux urgences pour allergies alimentaires (en général) et pour anaphylaxies alimentaires (en particulier) : le taux d’amission pour anaphylaxie alimentaire est passé de 14,9 pour 10 000 en 2001 à 38 pour 10 000 en 2006 soit une multiplication par 2,5 [12]. Morisset et al. [1] ont vraiment raison d’insister sur la sommation des facteurs [13]3 et les différentes sortes de stress, même si ce mot est souvent galvaudé et surtout difficile à évaluer4 . Alevizos et al. [14] ont rapporté le cas d’une femme de 33 ans atteinte d’anaphylaxies récurrentes à l’effort, ayant développé 16 épisodes sévères entre 1976 et 1991, apparaissant le plus souvent pendant la période péri-ovulatoire. Ils assimilent le stress ressenti par cette patiente à un équivalent d’anaphylaxie d’effort [14]. D’autres cas ont été rapportés, impliquant le rôle proallergique du Corticotrophin Releasing Hormone (CRH) libéré par le stress [15]. Au chapitre « Stress, facteurs psychologiques et psychiatriques » Morisset et al. [1] soulignent la gravité des allergies alimentaires chez les adolescents, souvent agressifs et peu enclins à se plier aux règles thérapeutiques, risque classique 2
Dans cet article, la borne de 18 ans est encore choisie. Nous avons observé une anaphylaxie mortelle chez un adolescent de 15 ans où se cumulaient : un asthme, une allergie pollinique, l’arrêt brutal du traitement de fond par les corticoïdes inhalés au cours des vacances d’été, une allergie alimentaire à l’arachide, un effort physique, la prise d’aspirine. . . 4 Défini en 1936 par Hans Selye, le mot stress qui signifie « effort intense » est un état réactionnel d’un organisme, animal ou végétal, soumis à une agression brutale. Les causes de stress sont très nombreuses chez l’Homme : émotions, interventions chirurgicales, exposition au froid intense ou à une forte chaleur, évènements brutaux de la vie (bruit, appels téléphoniques multiples, surmenage, difficulté des transports urbains, etc.). L’exemple le plus actuel est fourni par le surmenage professionnel ou burn out. 3
pour l’asthme à cet âge [16], et la possibilité de suicides chez l’individu allergique alimentaire [17]. Ce dernier cas, évoqué dans cette revue [1], concernait un homme de 31 ans atteint d’allergie au poisson, souffrant aussi de dépression grave et d’une psychose médicamenteuse. Plusieurs jours avant son suicide, il répétait qu’il mettrait fin à ses jours en profitant de son allergie alimentaire. Il fut retrouvé mort près d’un lac, tenant dans sa main deux boites de poisson, partiellement vides, signant sa volonté de mettre un terme à sa vie. . . Les résultats de l’autopsie furent compatibles avec un choc anaphylactique [18]. Cette observation pourrait être rapprochée du syndrome décrit en 1991 par Kounis [18,19], qui se manifeste par un syndrome coronarien aigu, dans le cadre d’un angor instable ou non, déclenché par la libération de médiateurs pro-inflammatoires faisant suite à une agression allergique. Les causes en sont très diverses (médicaments tels que AINS, inhibiteurs de la pompe à protons, aspirine, etc., venins d’hyménoptères, latex, produits de contraste, aliments) [19–21]. Ces cas se sont multipliés au cours des dernières années5 , mais leur fréquence est probablement sous-estimée car le syndrome de Kounis n’est pas suffisamment connu. Mais ceci est une autre histoire . . . Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Morisset M, Morel-Codreanu F, Hilger C, Lehners C, Kuehn A, Hentges F. Les facteurs de risque d’allergie alimentaire chez l’adulte. Rev Fr Allergol 2014;54(7), http://dx.doi.org/10.1016/j.reval.2014.03.004. [2] Altman DR, Chiaramonte LT. Public perception of food allergy. J Allergy Clin Immunol 1996;97(6):1247–51. [3] Altman DR, Chiaramonte LT. Public perception of food allergy. Environ Toxicol Pharmacol 1997;4(1–2):95–9. [4] Chiaramonte LT1, Altman D. Food sensitivity in asthma: perception and reality. J Asthma 1991;28(1):5–9. [5] Bourrier T. Allergie aux colorants et additifs. Rev Fr Allergol 2006;46(2):68–79. [6] Gallen C, Pla J. Allergie et intolérance aux additifs alimentaires. Rev Fr Allergol 2013;53(Suppl. 3):9–18. [7] Rancé F, Dutau G. Les allergies alimentaires, volume 1. Paris: Expansion Scientifique; 2004 [314 p.]. [8] Sicherer SH, Mu˜noz-Furlong A, Burks AW, Sampson HA. Prevalence of peanut and tree nut allergy in the US determined by a random digit dial telephone survey. J Allergy Clin Immunol 1999;103(4):559–62. [9] Sicherer SH, Mu˜noz-Furlong A, Sampson HA. Prevalence of peanut and tree nut allergy in the United States determined by means of a random digit dial telephone survey: a 5-year follow-up study. J Allergy Clin Immunol 2003;112(6):1203–7. [10] Sicherer SH, Mu˜noz-Furlong A, Godbold JH, Sampson HA. US prevalence of self-reported peanut, tree nut, and sesame allergy: 11-year follow-up. J Allergy Clin Immunol 2010;125(6):1322–6. [11] Rudders SA, Banerji A, Clark S, Camargo Jr CA. Age-related differences in the clinical presentation of food-induced anaphylaxis. J Pediatr 2011;158(2):326–8.
5 À la date du 18 octobre 2014, près de 100 publications indexées concernant le syndrome de Kounis sont disponibles sur PubMed.
Éditorial / Revue française d’allergologie 54 (2014) 477–479 [12] Rudders SA, Banerji A, Vassallo MF, Clark S, Camargo Jr CA. Trends in pediatric emergency department visits for food-induced anaphylaxis. J Allergy Clin Immunol 2010;126(2):385–8. [13] Dutau G, Rancé F. Facteurs de risque de l’allergie alimentaire sévère chez l’enfant. Rev Fr Allergol 2007;47(3):102–9. [14] Alevizos M, Karagkouni A, Kontou-Fili K, Theoharides TC. A probable case report of stress-induced anaphylaxis (letter). Ann Allergy Asthma Immunol 2014;112(4):383–4. [15] Theoharides TC, Singh LK, Boucher W, Pang X, Letourneau R, Webster E, et al. Corticotropin-releasing hormone induces skin mast cell degranulation and increased vascular permeability, a possible explanation for its pro-inflammatory effects. Endocrinology 1998;139(1):403– 13. [16] Annesi-Maesano I, Rodriguez M, Ledoux S, Choquet M. L’agressivité est-elle réellement inhibée chez l’adolescent asthmatique ? Approche épidémiologique. Rev Mal Respir 2001;18(8):289– 96. [17] Sterzik V, Drendel V, Will M, Bohnert M. Suicide of a man with known allergy to fish protein by ingesting tinned fish. Forensic Sci Int 2012;221:4.18–6.18.
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G. Dutau ∗ 9, rue Maurice-Alet, 31400 Toulouse, France F. Lavaud Service des maladies respiratoires et allergiques, CHU de Reims, 5, rue Cognacq-Jay, 51932 Reims cedex, France ∗ Auteur
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