Présentation inhabituelle d’un scorbut faisant craindre un neuroblastome

Présentation inhabituelle d’un scorbut faisant craindre un neuroblastome

Rec¸u le : 11 janvier 2010 Accepte´ le : 21 septembre 2010 Disponible en ligne 30 octobre 2010 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Fai...

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Rec¸u le : 11 janvier 2010 Accepte´ le : 21 septembre 2010 Disponible en ligne 30 octobre 2010

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com



Fait clinique

Pre´sentation inhabituelle d’un scorbut faisant craindre un neuroblastome Unusual presentation of scurvy mimicking a neuroblastoma S. Rethorea, P. Leblonda,*, E. Thebauda, M. Sonnab, C. Legrandb, N. Rocourtc, A.-S. Defachellesa a

Unite´ d’oncologie pe´diatrique, centre Oscar-Lambret, 3, rue Fre´de´ric-Combemale, 59020 Lille cedex, France b Service de pe´diatrie, centre hospitalier Germon-et-Gauthier, BP 809, 62408 Be´thune cedex, France c De´partement d’imagerie me´dicale, centre Oscar-Lambret, 3, rue Fre´de´ric-Combemale, 59020 Lille cedex, France

Summary

Re´sume´

Scurvy, a disease related to ascorbic acid deficiency, remains rare in industrial countries. Ascorbic acid is a vitamin that intervenes most notably in the synthesis of collagen and catecholamines. We report the case of a 2-year-old boy hospitalized in a pediatric oncology unit because of an unusual presentation of scurvy revealed by pain and a significant increase in urinary catecholamine levels, raising fear of a neuroblastoma. ß 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Le scorbut est une maladie lie´e a` une carence en vitamine C ou acide ascorbique, devenue particulie`rement rare de nos jours dans les pays industrialise´s. L’acide ascorbique intervient notamment dans la synthe`se du collage`ne et dans la biosynthe`se des cate´cholamines. Nous rapportons le cas d’un garc¸on de 2 ans hospitalise´ dans un service d’oncologie pe´diatrique en raison d’une pre´sentation inhabituelle de scorbut re´ve´le´ par des douleurs et une augmentation significative du taux des cate´cholamines urinaires qui avaient fait craindre un neuroblastome. ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : Scorbut-vitamine C, Cate´cholamines, Neuroblastome

1. Introduction

2. Observation

Le scorbut, maladie lie´e a` une carence en vitamine C (ou acide ascorbique), est rare de nos jours dans les pays industrialise´s mais peut encore eˆtre diagnostique´ dans les milieux socioe´conomiques de´favorise´s. Cette vitamine est un cofacteur essentiel dans la synthe`se du collage`ne et des cate´cholamines. La pre´sentation clinique est souvent typique et il faut savoir e´voquer la maladie meˆme chez les patients habitant dans les pays industrialise´s ou` les maladies lie´es a` des carences nutritionnelles sont rares. L’originalite´ du cas clinique expose´ ici tient a` une « surprenante » se´cre´tion de cate´cholamines urinaires qui avait fait suspecter un neuroblastome.

Nous rapportons le cas d’un garc¸on de 2 ans hospitalise´ dans un service de pe´diatrie ge´ne´rale pour des douleurs des membres infe´rieurs associe´es a` une fie`vre e´voluant depuis 3 j et a` une toux. Cet enfant issu d’un milieu socioe´conomique de´favorise´ e´tait ne´ au terme de 38 semaines d’ame´norrhe´e et n’avait pas d’ante´ce´dent particulier. L’anamne`se rapportait un retard des acquisitions (marche non acquise et retard de langage) et un re´gime alimentaire de´se´quilibre´ fonde´ exclusivement sur des laitages (lait demi-e´cre´me´ ultra-haute tempe´rature [UHT] et yaourts) avec refus de tout fruit ou le´gume. A` l’admission, il e´tait apyre´tique. La fre´quence cardiaque et la pression arte´rielle e´taient normales. Il pesait 10,6 kg ( 2 D.S.) pour une taille de 80 cm ( 2 D.S.) et un pe´rime`tre craˆnien de 47 cm ( 1,6 D.S.). L’examen clinique montrait une e´ruption

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected] 0929-693X/$ - see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.arcped.2010.09.016 Archives de Pe´diatrie 2011;18:37-40

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maculope´te´chiale, une gingivite he´morragique, une attitude en flexion des membres infe´rieurs associe´e a` un refus de la station debout et on notait des douleurs a` la palpation des masses musculaires des 2 jambes. Le reste de l’examen somatique e´tait normal. Le bilan biologique sanguin montrait une ane´mie avec concentration d’he´moglobine a` 79 g/L, peu re´ge´ne´rative (re´ticulocytes a` 71 000 par millime`tre cube), microcytaire, une hyperleucocytose a` 14,7 G/L, une thrombocytose a` 749 G/L, des taux de cre´atine-phosphokinase (CPK) a` 79 UI/L et de lactate-de´shydroge´nase (LDH) a` 262 UI/L, une haptoglobine a` 3,7 g/L. La recherche de sphe´rocytes et de microsphe´rocytes e´tait ne´gative. Il existait par ailleurs une carence martiale mode´re´e (fer se´rique a` 43 mg/dL, transferrine a` 2,4 g/L, capacite´ totale de fixation a` 337 mg/dL, coefficient de saturation de la side´rophilline a` 13 %, ferritine a` 69 mg/l), une carence en vitamine C (taux < 6 mmol/L pour une normale entre 26 et 84 mmol/l) et une hypervitaminose B12 (1185 pg/mL pour une normale entre 191 et 633 pg/mL) alors que les folates e´taient normaux. La scintigraphie osseuse au technetium effectue´e en raison de l’impotence fonctionnelle montrait une tre`s discre`te asyme´trie de fixation inte´ressant l’extre´mite´ infe´rieure du fe´mur droit alors que les radiographies standard des membres infe´rieurs e´taient conside´re´es comme normales. L’association impotence fonctionnelle, ane´mie, et scintigraphie osseuse anormale motivait la re´alisation d’un dosage des cathe´cholamines urinaires qui montrait une augmentation franche de la dopamine et mode´re´e de la noradre´naline (tableau I). Les dosages d’adre´naline, acide vanilmande´lique et acide homovanilique e´taient normaux. L’e´chographie abdominale et re´nale et l’examen tomodensitome´trique thoraco-abdomino-pelvien e´taient normaux. L’enfant e´tait donc adresse´ en oncologie pe´diatrique pour suspicion de neuroblastome. Dans l’intervalle, un traitement substitutif par fer et vitamine C de´butait. Une ame´lioration clinique e´tait rapidement constate´e avec une disparition des plaintes fonctionnelles et de la gingivite, et une reprise de l’appe´tit et des de´placements sur les fesses. L’he´mogramme de controˆle montrait une concentration d’he´moglobine a` 90 g/L avec un taux de re´ticulocytes a` 146 000 par millime`tre cube. La scintigraphie a` la me´ta-iodobenzylguanidine (MIBG) ne montrait aucune fixation pathologique. De nouvelles radiographies standard de face des membres infe´rieurs montraient un aspect proe´minent des bords internes et externes des me´taphyses

fe´morales infe´rieures e´voquant des « becs » me´taphysaires. De profil, il existait une image de de´collement pe´rioste´ en regard de l’extre´mite´ infe´rieure des fe´murs, d’aspect dense faisant soupc¸onner des he´matomes sous-pe´rioste´s. On notait e´galement une majoration de la radiotransparence des noyaux d’ossification, cerne´s d’une bande dense, de fac¸on bilate´rale et syme´trique et pre´dominant au niveau des noyaux e´piphysaires supe´rieurs des tibias (fig. 1). L’ensemble des e´le´ments cliniques et radiologiques conduisait donc a` e´carter l’hypothe`se du neuroblastome et faisait retenir le diagnostic de scorbut. Le controˆle du dosage des cate´cholamines urinaires apre`s 2 mois et demi de supple´mentation en vitamine C et en fer montrait une quasi-normalisation des taux de dopamine et de noradre´naline (tableau I).

3. Commentaires Le scorbut est une des plus anciennes maladies connues puisqu’il a e´te´ de´crit pour la 1re fois en 1550 avant JC. Pendant la renaissance (XIVe–XVIe sie`cles), plusieurs « e´pide´mies » ont e´te´ constate´es chez les marins. En 1753, James Lind, un chirurgien e´cossais, a re´alise´ une des premie`res e´tudes cliniques controˆle´es et a sugge´re´ que la consommation de citrons et d’oranges e´vitait l’apparition du scorbut. En 1883, Thomas Barlow, un me´decin anglais, a de´crit la pre´sentation clinique du scorbut infantile [1]. L’homme ne posse`de pas l’enzyme ne´cessaire a` la synthe`se de la vitamine C a` partir du glucose. Les principales sources naturelles d’acide ascorbique sont les fruits et le´gumes ainsi que le lait de vache. Cependant, la pasteurisation re´duit conside´rablement la teneur en vitamine C du lait dit « UHT» [2]. Les individus qui ont un re´gime carence´ en vitamine C peuvent de´velopper des manifestations cliniques de scorbut de`s 8 a` 12 semaines. Les symptoˆmes inauguraux sont la fatigue, l’irritabilite´, l’anorexie, la re´gression psychomotrice, rapidement suivis par les manifestations cutane´o-muqueuses (pe´te´chies, ecchymoses, hyperke´ratose, dystrophies des cheveux, he´morragies gingivales, gastrointestinales et des tissus mous) [3–5]. L’acide ascorbique est un agent re´ducteur qui est essentiel pour l’hydroxylation de la proline en hydroxyproline dans la synthe`se du collage`ne, pour l’hydroxylation de la dopamine en noradre´naline, pour la biosynthe`se de la carnitine, et participe au me´tabolisme de la tyrosine, aux fonctions leucocytaires, a` la conversion du choleste´rol en acides biliaires, et a` l’amidation des hormones

Tableau I Re´sultats des dosages de cate´cholamines urinaires au diagnostic et apre`s 3 et 10 mois de traitement substitutif. ` 3 mois ` 10 mois Au diagnostic A A Noradre´naline Dopamine

J2

J3

J1

J2

J3

J1

J2

J3

107,2 1709

88,9 1662

194,1 2408

80,6 846

99,8 907

98,8 1019

77 783

58 819

64,4 845

Les re´sultats sont exprime´s en nanomole/millimole de cre´atinine.

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Normales

J1

17–60 180–750

[()TD$FIG]

Scorbut mimant un neuroblastome

Figure 1. Radiographies de profil des membres infe´rieurs. A. Images de de´collement pe´rioste´ (he´matomes sous-pe´rioste´s). B. Aspect de bec e´piphysaire.

peptidiques [6–10]. Ainsi, une carence en acide ascorbique peut engendrer une synthe`se anormale de collage`ne dans les tissus conjonctifs. Elle peut eˆtre a` l’origine d’he´matomes souspe´rioste´s, d’oste´ope´nie et d’anomalies de structure osseuse [11]. Au niveau de la biosynthe`se des cate´cholamines, la vitamine C, par l’interme´diaire de la dopamine b-hydroxylase, permet l’hydroxylation de la dopamine en noradre´naline [12] (fig. 2). Dans le cas de notre patient, cela pouvait expliquer l’augmentation significative de la dopamine urinaire par accumulation du me´tabolite d’amont. En effet, l’absence de

vitamine C entraıˆne un blocage dans la cascade de biosynthe`se des cate´cholamines au niveau de la dopamine. Celle-ci s’accumule donc dans le sang puis est e´limine´e dans les urines apre`s filtration re´nale. Par ailleurs, l’acide ascorbique favorise la formation de noradre´naline a` partir d’adre´naline, ce qui explique l’e´le´vation mode´re´e des taux de noradre´naline sous traitement substitutif. Cette excre´tion urinaire peut donc preˆter a` confusion et faire supposer l’existence d’une tumeur se´cre´tante comme un neuroblastome. L’ane´mie peu se´ve`re est une des caracte´ristiques biologiques du scorbut [3].

[()TD$FIG]

Figure 2. Sche´ma simplifie´ de la biosynthe`se des cate´cholamines.

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Son importance est corre´le´e a` la fois a` la dure´e et a` la se´ve´rite´ de la maladie. Elle est multifactorielle : saignement gastrointestinal et des tissus mous, he´molyse, carence en folates (car la vitamine C est e´galement un cofacteur de la conversion de l’acide folique en acide folinique) ou carence martiale (la vitamine C facilite l’absorption du fer). La re´ponse au traitement est rapide apre`s le de´but de la supple´mentation en vitamine C. La dose et la dure´e de traitement sont variables pour chaque patient [13]. L’ame´lioration clinique commence de`s le 1er j, les douleurs diminuent souvent en 2 a` 3 j, les le´sions gingivales disparaissent en 2 a` 3 semaines et les le´sions osseuses gue´rissent apre`s plusieurs semaines [3,14].

Re´fe´rences [1] [2]

[3] [4]

[5] [6]

4. Conclusion [7]

Le scorbut est une maladie rare, en particulier dans les pays industrialise´s. La pre´sentation clinique peut initialement conduire a` e´voquer d’autres diagnostics : leuce´mie aigue ¨, oste´omye´lite, arthrite septique, pathologies rhumatologiques ou neuromusculaires, ou encore maltraitance. La particularite´ du patient pre´sente´ est qu’il avait e´te´ adresse´ dans un centre anticance´reux avec une hypothe`se diagnostique de neuroblastome en raison de l’augmentation significative de la dopamine urinaire. Celle-ci e´tait en re´alite´ une conse´quence de la carence en vitamine C, cofacteur essentiel de la biosynthe`se des cate´cholamines.

Conflit d’inte´reˆt

[8]

[9] [10]

[11] [12]

[13] [14]

Aucun.

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