Gynécologie Obstétrique & Fertilité 31 (2003) 932–939 www.elsevier.com/locate/gyobfe
Article original
Réalité du traitement hormonal substitutif de la ménopause par les gynécologues français : OCEANIDES, étude épidémiologique nationale, transversale et longitudinale > Results of menopause hormone replacement therapy by French gynaecologists: OCEANIDES, a transversal and longitudinal national epidemiology study A. Tamborini Centre de surveillance et de traitement de la ménopause, service de gynécologie, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France Reçu le 5 décembre 2002 ; accepté le 8 septembre 2003
Résumé Objectifs. – Décrire l’instauration et le suivi du traitement hormonal substitutif (THS) en pratique gynécologique courante en France et évaluer au terme de la première année d’instauration les facteurs discriminants de l’observance. Patientes et méthodes. – Six cent dix-neuf gynécologues répartis sur l’ensemble du territoire français et 1428 femmes ménopausées ont été inclus dans une étude épidémiologique transversale puis longitudinale conduite sur une année. Ils ont répondu à un questionnaire spécifique créé pour cet observatoire. Un THS par patch a été instauré chez toutes les patientes. Résultats. – Un an après l’instauration du THS, 1161 patientes ont complété l’observatoire : 959 (82,6 %) étaient toujours sous THS et 202 (17,4 %) avaient arrêté tout THS. Très peu de différences ont été observées entre les patientes encore sous THS et celles ayant arrêté tout THS. Les deux groupes de patientes étaient comparables sur l’ensemble de leurs caractéristiques sociodémographiques ainsi que sur les caractéristiques démographiques et la pratique médicale de leurs gynécologues. Les patientes ayant arrêté tout THS étaient plus souvent venues à la consultation initiale pour un renouvellement de traitement et avaient moins souvent posé de questions sur les bénéfices du THS vis-à-vis de la sexualité, que les autres patientes. Discussion et conclusion. – L’observance à un an d’un THS par patch instauré par le gynécologue est bonne. Ce résultat peut être associé à la qualité de prise en charge par les gynécologues, qui écoutent leurs patientes, expliquent les modalités thérapeutiques, initient un traitement personnalisé à doses modérées, et l’adaptent aux besoins des patientes. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Abstract Objective. – To describe the initiation of hormone replacement therapy (HRT) in standard gynaecological practice in France, and to assess treatment adherence factors at 1 year follow-up. Materials and methods. – Six hundred and nineteen gynaecologists distributed on the French territory and 1428 menopausal women were included in a transversal then longitudinal epidemiology study run over a period of 1 year. They filled out a questionnaire specially made for the purpose. All patients underwent patch HRT. Results. – One year after initiation of HRT, 1161 patients completed the study; 959 (82.6%) were still under HRT, and 202 (17.4%) had stopped altogether. Very few differences were found between those patients continuing with and those having stopped HRT. The two groups were comparable for the whole range of their own socio-demographic characteristics and for the demographic characteristics and medical
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Cette étude a été réalisée avec le soutien des laboratoires Fournier, 153, rue de Buzenval, 92380 Garches, France. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Tamborini).
© 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. doi:10.1016/j.gyobfe.2003.09.003
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practice of their gynaecologists. It had, however, more often been for renewal of an ongoing treatment that the patients who later ceased HRT had come to the consultation at which HRT was initiated, and these patients had less often enquired about the sexual benefits of HRT. Discussion and conclusions. – Adherence to physician-initiated patch HRT was good at 1 year follow-up. This result may be related to the quality of care provided by the gynaecologists, who listened to their patients, explained the treatment, and initiated personalised low-dose regimens, which they adapted to the patients’ needs. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Mots clés : Ménopause ; Pratique médicale courante ; Traitement hormonal substitutif Keywords: Menopause; Standard practice; Hormone replacement therapy
1. Introduction Le traitement hormonal substitutif (THS) a fait la preuve de son efficacité dans le traitement des troubles fonctionnels de la ménopause et de la carence en estrogènes. Son action longtemps supposée bénéfique sur la prévention du risque cardiovasculaire a fait l’objet de nombreuses études. Pourtant, depuis la publication des résultats de l’étude randomisée HERS (Heart and Estrogen/progestin Replacement Study) et plus récemment ceux de l’étude WHI (Women’s Health Initiative), le THS ne peut être considéré comme efficace en prévention cardiovasculaire primaire et secondaire [1–3]. Si le THS améliore rapidement les signes climatériques (deux à six mois de traitement suffisent), certains bénéfices n’apparaissent qu’après plusieurs années de traitement [4]. Or, toutes les études conduites auprès de patientes ménopausées montrent que l’observance thérapeutique au THS est médiocre, variant entre 40 et 68 % moins de cinq ans plus tard [5–9]. De nombreux articles décrivent les raisons tenant à la fois à la patiente, au médecin et aux traitements pouvant expliquer cette mauvaise observance thérapeutique [4]. Ce sont en général la disparition des troubles climatériques [10,11], les effets secondaires liés au traitement [9,10,12], les craintes des patientes [7,13] les croyances des patientes qui refusent de médicaliser une étape physiologique de la vie [10], le désir de voir disparaître les menstruations [7,10,13], la faible implication du médecin en particulier lors de la première consultation et au cours du premier mois de traitement [14], ou enfin leur absence de prise en compte des attentes des patientes [15]. Aussi, pour tenter d’améliorer l’observance des patientes et avant la publication des résultats de WHI, la NAMS (North American Menopause Society) a édicté une série de recommandations [16]. Il est recommandé aux médecins d’impliquer les patientes dans le processus de décision, de leur expliquer de façon personnalisée les bénéfices attendus et les risques encourus, de connaître leurs attentes et leurs préférences, de leur donner une information accessible, de les aider à suivre régulièrement leur traitement, et de les suivre régulièrement. Un observatoire, nommé OCEANIDES (observatoire sur la prise en charge des femmes ménopausées au cours de la première année d’instauration d’un traitement hormonal
substitutif), a été mis en œuvre afin de suivre pendant un an des patientes françaises débutant un THS par patch. Son objectif était de décrire l’instauration et le suivi d’un THS en pratique gynécologique en France et de tenter d’identifier les facteurs discriminants de l’observance du THS à un an.
2. Patientes et méthodes L’observatoire OCEANIDES s’est déroulé en deux phases : une étude épidémiologique transversale (phase A) réalisée auprès de gynécologues libéraux et une étude épidémiologique longitudinale réalisée pendant un an auprès de patientes ménopausées, relevant selon l’avis de leur médecin d’un THS par patch (phase B). La phase A s’est déroulée de février à août 2000. Au total, 619 gynécologues médicaux libéraux ont été recrutés par tirage au sort dans le fichier des gynécologues français. Afin de respecter la répartition nationale, des listes régionales respectant le quota des gynécologues exerçant dans chaque région avaient été établies. Les gynécologues inclus dans l’étude ont répondu à un questionnaire spécifique élaboré pour évaluer les paramètres intervenant lors de la prise en charge de la ménopause : description de leurs caractéristiques démographiques et de leur pratique professionnelle, notamment vis-à-vis de la ménopause et du THS. La phase B s’est déroulée de février 2000 à décembre 2001. Les gynécologues participant à la phase A devaient inclure les trois premières patientes volontaires pour lesquelles ils prescrivaient un THS par patch. Au total, 1428 patientes ménopausées ont été incluses par 506 des 619 gynécologues de la phase A. Lors de la consultation d’instauration du THS, les gynécologues en présence de leurs patientes ont répondu à un questionnaire spécifique élaboré pour évaluer en pratique quotidienne l’ensemble des paramètres influençant leur observance thérapeutique au THS dans la première année d’instauration. Ce questionnaire comportait successivement la description : • des caractéristiques démographiques et médicales des patientes ; • du motif de la consultation et des données cliniques ; • des attentes des patientes vis-à-vis de la ménopause et de son traitement (bénéfices escomptés et craintes) ;
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• des modalités réelles de la prise en charge (prescription, examens complémentaires, durée de la consultation, etc.). Lors de la consultation finale, au moins neuf mois après l’instauration du THS, une description des paramètres suivants était recueillie : • motif et durée de la consultation ; • bilan spécifique du THS par la patiente et par le gynécologue (observance, motifs des arrêts) ; • suivi médical. Les dossiers collectés ont été traités et les données analysées par l’intermédiaire du logiciel SAS (version 8.1, SAS Institute, Cary, États-Unis). Les analyses descriptives s’appuient sur les paramètres classiques : moyenne, écart-type, et valeurs extrêmes pour les paramètres quantitatifs, et effectif et pourcentage pour les paramètres qualitatifs. L’analyse des facteurs influençant l’observance a été réalisée à partir des résultats obtenus chez les patientes présentes à la consultation d’instauration du THS et celle de fin d’étude (au moins neuf mois plus tard). Les patientes ont été classées en deux groupes : patientes observantes (patientes toujours sous THS quelle que soit la voie d’administration et la dose) et patientes non observantes (patientes ayant arrêté tout THS). Les réponses aux différentes questions dans les deux groupes de patientes ont été comparées au moyen d’un test du v2 (paramètres qualitatifs) ou d’une analyse de la variance (paramètres quantitatifs).
3. Résultats 3.1. Description des gynécologues et de leur pratique médicale Les 619 gynécologues inclus dans la phase A de l’étude étaient âgés de 49,5 ± 6 ans (moyenne ± écart-type). Il s’agissait plus souvent de femmes (61,3 %) que d’hommes (38,7 %). Ils voyaient en moyenne 90,2 patientes par semaine et 27,9 % de ces patientes consultaient pour ménopause (Tableau 1). Tous les gynécologues étaient prescripteurs de THS en initiation comme en renouvellement. La durée moyenne déclarée de consultation lors de l’instauration d’un THS était supérieure à celle d’une consultation pour renouTableau 1 Pratique médicale des 619 gynécologues inclus dans l’étude transversale (phase A) Caractéristiques de la pratique médicale Nombre de consultations/semaine : moyenne ± écart-type Nombre de consultations pour ménopause par semaine : moyenne ± écart-type Durée déclarée (minutes) d’une consultation : moyenne ± écart-type pour instauration d’un THS pour l’information lors de l’instauration d’un THS pour suivi d’un THS pour l’information lors de suivi d’un THS THS : traitement hormonal substitutif
90,2 ± 28,5 24,5 ± 12,4
24,4 ± 6,8 12,7 ± 5,3 17,9 ± 4,6 7,1 ± 3,3
vellement. La moitié du temps de la consultation d’instauration était consacrée à l’information (Tableau 1). Selon les gynécologues, il était très important que le THS puisse être adapté (73,1 et 26,4 % des gynécologues jugeaient ce critère respectivement très important et important). Dans le cas d’une modification de posologie intervenant dans les trois premiers mois (pour 38,5 % des gynécologues), il s’agissait selon les gynécologues aussi souvent d’une diminution (48,3 %) que d’une augmentation (51,7 %). 3.2. Description des patientes à l’inclusion dans l’observatoire Les 1428 patientes incluses dans l’étude étaient des femmes actives, âgées en moyenne de 53,6 ans et habitant le plus souvent en ville (Tableau 2). Elles étaient ménopausées depuis 3,5 ans en moyenne et étaient pour 82,9 % d’entre elles suivies régulièrement par un gynécologue (Tableau 2). Sur les 1428 patientes incluses, 15,4 % des patientes souffraient d’hypertension, 15,2 % de dyslipidémie, et 3,5 % de diabète, parmi lesquelles 95,9, 57,1 et 52,0 % étaient respectivement traitées pour ces différents motifs. Dans le passé, 25 % des patientes avaient déjà eu une prescription de THS et 92,6 % d’entre elles avaient commencé le THS prescrit. Les motifs cités comme ayant conduit à l’arrêt du traitement (les patientes pouvaient citer plusieurs motifs) étaient principalement l’intolérance au traitement (mastodyTableau 2 Caractéristiques sociodémographiques et médicales (gynécologiques) des 1428 patientes incluses dans la phase longitudinale de l’étude (phase B) Caractéristiques sociodémographiques ˆ ge (années) : moyenne ± écart-type A Ancienneté de la ménopause (ans) : moyenne ± écart-type Activité professionnelle (%) Niveau d’étude (%) Supérieur Secondaire Primaire Zone d’habitation (%) Urbaine Semi-rurale Rurale Caractéristiques médicales (gynécologiques) Nombre d’enfants : moyenne ± écart-type Traitements antérieurs (%) Contraception orale Traitement progestatif Suivi régulier par un gynécologue (%) Ancienneté de la dernière consultation (jours) : moyenne ± écart-type Ancienneté du dernier frottis (ans) : moyenne ± écart-type Ancienneté de la dernière mammographie (ans) : moyenne ± écart-type Ménopause chirurgicale (%) Hystérectomie (%)
53,6 ± 5,5 3,5 ± 5,2 65,2 26,6 46,6 23,9 67,1 17,7 15,2 2,0 ± 1,2 53,1 46,8 82,9 254,6 ± 309,3 2,4 ± 2,5 2,8 ± 1,3 8,2 17,1
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nies, céphalées, gonflements ou des douleurs pelviennes) (69,3 %), la prise de poids (25,5 %), des métrorragies (19,3 %), et la crainte d’un cancer (12,3 %). 3.3. Instauration du traitement hormonal substitutif La consultation le jour de l’instauration du THS était dans 62,8 % des cas une consultation de suivi gynécologique usuel. Selon les gynécologues, 86,1% des patientes exprimaient au cours de cette consultation une demande de prescription de THS, parmi lesquelles 34,6 % souhaitaient une voie d’administration spécifique et 3,8 % un produit spécifique. Les sources d’information sur le THS (autre que le gynécologue) cités par les patientes étaient les médias grand public (59,1 %) et l’environnement socioprofessionnel (47,4 %) ; l’impact du médecin généraliste était moins important (19,3 %). De nombreuses patientes interrogeaient spontanément le gynécologue sur les bénéfices du THS et
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principalement sur sa capacité à diminuer les bouffées vasomotrices et à prévenir l’ostéoporose (Fig. 1a). Elles interrogeaient également fréquemment les gynécologues sur leurs craintes en matière de prise de poids ou de risques de cancer (Fig. 1b). Globalement, les gynécologues jugeaient les patientes comme motivées (très motivées : 33,0 % ; motivées : 60,7 %) et peu réticentes vis-à-vis du traitement (peu réticentes : 21,7 % ; sans aucune réticence : 74,7 %). Le choix de la voie d’administration du THS était fait soit par le gynécologue (57,2 %), soit par la patiente (35,5 %), la décision finale relevant presque toujours (81,4 %) d’un accord commun entre la patiente et le gynécologue. La dose d’estrogènes prescrite à l’instauration a pu être analysée pour 1189 des 1428 patientes. Respectivement, 50,4, 21,1, 27,8 et 0,8 % des patientes ont reçu en instauration le THS à la dose de 25, 37,5, 50 et 75 µg. La posologie était de deux patchs par
Nombre de patientes (%)
100,0% 90,0% 80,0% 70,0%
67,3%
67,1%
60,0% 50,0% 37,2%
40,0%
28,3%
30,0%
18,8%
20,0%
18,1%
10,0% 0,0%
B
bouffées vasomotrices
ostéoporose
sexualité
troubles cardio vasculaires
troubles urinaires
troubles cognitifs
Nombre de patientes (%)
100,0% 90,0% 80,0% 70,0%
69,7%
60,0%
49,2%
50,0%
43,9%
40,0%
32,2%
30,0% 20,0% 10,0% 0,0% prise de poids
modification de la silhouette
risque de cancer
effets secondaires (mastodynies, métrorrargies,…)
Fig. 1. Pourcentage de patientes (n = 1428) ayant posé des questions sur (a) les bénéfices ou (b) les risques (craintes) liés au traitement hormonal substitutif. Questions posées par les patientes à l’instauration du traitement, une même patiente ayant pu poser plusieurs questions.
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semaine pour 93,9 % des patientes, la plupart du temps en continu. Un progestatif était généralement associé (83,9 %). Pendant cette consultation, de nombreux examens complémentaires ont été prescrits : mammographies (n = 665), frottis (n = 544), bilans hormonaux (n = 147), bilans lipidiques (n = 436) et mesure d’ostéodensitométrie (n = 156). La consultation avait duré en moyenne 26,3 ± 8,7 minutes. 3.4. Résultats à la fin de l’observatoire Au total, 1161 patientes étaient présentes à la consultation de fin d’observatoire et 57 avaient prématurément quitté l’étude (40 patientes avaient déménagé). Les données de 210 patientes n’ont pas été reçues dans les temps et n’ont pas pu être analysées. Il s’agissait en effet, d’une étude pragmatique naturaliste où les patientes n’étaient pas obligées de revenir pour un suivi systématique et à une date précise comme lors d’un essai clinique.
Pour les 1161 patientes encore présentes, l’écart moyen entre la consultation d’instauration et celle de fin de l’observatoire était de 367,6 ± 85,9 jours (12,1 mois). La consultation de fin d’observatoire (en moyenne 12,1 mois plus tard) était le plus souvent la troisième consultation (43,1 % des patientes) ; c’était la quatrième consultation pour 26,4 % des patientes et la cinquième pour 10,2 % des patientes. Il s’agissait le plus souvent d’une consultation systématique (86,1 %). Les consultations intermédiaires étaient le plus souvent des consultations planifiées durant lesquelles les gynécologues adaptaient le traitement, prescrivaient des examens complémentaires, et réassuraient les patientes qui souhaitaient arrêter le traitement (données non présentées). À la consultation de fin d’observatoire, 959 des 1161 patientes présentes (82,6 %) étaient toujours sous THS et 202 (17,4 %) avaient arrêté tout THS. Les motifs de poursuite du THS étaient principalement l’efficacité et la bonne tolérance (Fig. 2a) et les raisons invoquées pour justifier de son arrêt
Fig. 2. Nombre de patientes ayant invoqué des motifs pour (a) poursuive ou (b) arrêter le traitement hormonal substitutif. Chaque patiente ayant pu invoquer plusieurs motifs.
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étaient l’intolérance locale et la crainte des risques liés au traitement (Fig. 2b). Sur les 959 patientes toujours sous THS, 14,3 % avaient changé de voie d’administration (voie orale ou percutanée). Un changement de posologie (augmentation ou diminution) était noté chez 70,5 % des 757 patientes pour lesquelles l’information était disponible. Globalement, pour les patientes toujours sous patch, la dose d’estrogènes était en légère augmentation par rapport à la consultation d’instauration (différence non significative). Elle était respectivement de 25, 37,5, 50 et 75 µg pour 41,3, 26,5, 31,4 et 0,5 % des patientes. La posologie était de deux patchs par semaine pour 92,1 % des patientes, la plupart du temps en continu. Un progestatif était généralement associé (80,3 %). La consultation de fin d’observatoire avait duré 21,3 ± 6,5 minutes en moyenne. 3.5. Facteurs d’observance La recherche des facteurs discriminants de l’observance a été faite en comparant les réponses aux différentes questions dans les deux groupes de patientes : patientes observantes toujours sous THS (n = 959) et patientes non observantes, c’est-à-dire ayant arrêté tout THS (n = 202). Les principaux résultats de l’analyse sont présentés dans le Tableau 3 pour
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les facteurs liés aux patientes, aux gynécologues et à leur pratique médicale. Les patientes des deux groupes étaient comparables sur leurs caractéristiques sociodémographiques (âge, niveau d’étude, activité professionnelle). Elles ne différaient pas sur leurs caractéristiques cliniques (pathologies concomitantes, ancienneté de la ménopause) ou sur leur suivi gynécologique (la plupart des patientes étaient suivies régulièrement). Les patientes non observantes n’étaient pas plus influencées par les médias grand public que les patientes observantes ; elles ne semblaient pas selon le gynécologue moins motivées pour prendre le traitement ou plus réticentes au THS que les patientes observantes. Au cours de la consultation d’instauration, les patientes non-observantes n’avaient pas exprimé plus de craintes vis-à-vis de la prise de poids, la modification de la silhouette, le risque de cancer, ou les mastodynies que les patientes observantes. Ces dernières avaient moins souvent que les patientes observantes posé des questions sur les bénéfices du traitement sur la sexualité (38,8 contre 31,0 % ; p = 0,0969). Enfin, les patientes non observantes étaient plus souvent venues à la consultation d’instauration pour un renouvellement de traitement que les patientes observantes (42,2 contre 31,9 % ; p = 0,0846). Cependant, les différences n’étaient pas significatives.
Tableau 3 Analyse des facteurs à la consultation d’instauration pouvant influencer l’observance du THS à un an Facteurs Influence des médias grand public
Patientes observantes (n = 959) moyenne* ou pourcentage 69%
Patientes non-observantes (n = 202) moyenne* ou pourcentage 70%
Comparaison entre groupes (ns = non significatif) ns
Motivation de la patiente †
Excellente Bonne Mauvaise
34% 60% 4%
34% 60% 2%
ns
Réticence de la patiente †
Assez réticente Un peu réticente Pas du tout
4% 22% 74%
1% 18% 81%
ns
Question sur
Sexualité Ostéoporose
39% 67%
31% 65%
ns ns
Craintes des patientes
Prise de poids Modification silhouette Risque cancer Mastodynies
70% 45% 50% 27%
69% 42% 49% 24%
ns ns ns ns
Sexe du gynécologue
Femmes Hommes
66% 34%
66% 34%
ns
Choix de la voie d’administration
Choisi avec la patiente
89%
92%
ns
Schéma thérapeutique
″Avec règles″ ″Sans règles″
45% 55%
44% 56%
ns
26 + 9
27 + 9
ns
Durée déclarée de la consultation d’instauration (min) * moyenne ± écart type ; † selon l’avis du gynécologue
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Les deux groupes de patientes étaient comparables en ce qui concerne l’âge, le sexe et le nombre de consultations par semaine des gynécologues prescripteurs du THS. Le choix de la voie d’administration (le plus souvent réalisé conjointement par la patiente et le gynécologue), les modalités thérapeutiques prescrites par le gynécologue (avec ou sans règle ; surveillance régulière) n’influençaient pas significativement l’observance des patientes. La durée moyenne déclarée de la consultation d’instauration ne différait pas entre les patientes observantes et non observantes. En revanche, à la consultation de fin d’étude qui était pour les patientes non observantes plus souvent une consultation occasionnelle qu’une consultation de suivi (p < 0,001), les gynécologues avaient gardé plus longtemps les patientes non observantes que les patientes observantes (22,1 contre 21,1 minutes ; p = 0,0211). 4. Discussion L’objectif de cette étude était de décrire l’instauration et le suivi d’un THS dans les conditions réelles de la pratique médicale en France et de tenter d’identifier les facteurs intervenants sur son observance à un an, la plupart des études sur l’observance ayant été faites sur des durées comparables. Afin d’éviter les facteurs confondants liés aux formes galéniques, cet observatoire a été conduit sous une seule forme galénique et sur un modèle homogène. La littérature montre clairement une cohérence des résultats d’observance au THS dans le cas de la voie transdermique par patch. Cette forme galénique correspond donc à un modèle intéressant pour étudier les facteurs de l’observance. Les résultats de cette étude ont montré que l’observance thérapeutique des patientes consultant un gynécologue et se voyant prescrire un traitement hormonal substitutif (sous la forme de patch) était bonne, supérieure à celle généralement rapportée dans la littérature [6–9]. En revanche, du fait des bons résultats obtenus et du faible nombre de patientes non observantes, il a été difficile d’identifier de façon précise les facteurs influençant l’observance à un an au THS. En effet, très peu de différences ont été mises en évidence entre les patientes ayant arrêté tout THS et celles encore sous THS. Ainsi, les patientes observantes et non observantes étaient comparables sur l’ensemble de leurs caractéristiques sociodémographiques. Pourtant, Ringa et al. [17] ont montré que l’observance au THS était influencée par les caractéristiques sociodémographiques et les antécédents gynécologiques des patientes. Dans leur étude, les femmes les plus observantes étaient âgées de moins de 50 ans, étaient nées en France, étaient diplômées, avaient un emploi, avaient eu moins de quatre enfants dont le premier était né alors qu’elles avaient plus de 20 ans, et elles avaient plus souvent subi une ménopause chirurgicale. De même, dans notre étude, aucune des caractéristiques des gynécologues (âge, sexe, nombre de consultation par semaine, durée de la consultation d’instauration) n’expliquait l’observance au THS alors qu’Anderson et al. [18], et
Sarrel et al. [14] mettaient en avant comme facteur d’observance la conviction et l’implication du médecin traitant. Nos résultats ne remettent pas en cause les résultats de ces auteurs, mais s’expliquent plutôt par le faible nombre de patientes n’ayant pas été observantes (202 au total), l’homogénéité de la pratique des gynécologues interrogés, et les caractéristiques des patientes incluses dans l’étude. En effet, les gynécologues ayant participé à cette étude étaient tous prescripteurs de THS en instauration comme en renouvellement (45,4 % d’entre eux prescrivaient entre 11 et 20 renouvellements par semaine). De plus, ils prenaient, comme le préconisent les recommandations de la NAMS [16], le temps d’expliquer, de communiquer avec les patientes, réservant notamment la moitié du temps de la consultation d’instauration à l’information. On peut donc en conclure que tous étaient convaincus de l’intérêt des THS et s’impliquaient dans l’instauration et le suivi du traitement. Les patientes ayant accepté de participer à l’observatoire OCEANIDES étaient le plus souvent instruites et actives. Elles habitaient généralement en zone urbaine et étaient régulièrement suivies par leur gynécologue. Leur profil général était proche de celui des patientes observantes de l’étude de Ringa et al. [17]. Le mode de sélection des patientes (les trois premières patientes vues en consultation) devait permettre d’éviter un biais. Néanmoins, seules les patientes volontaires ont participé à l’étude, et il est possible que les patientes volontaires soient justement celles portant le plus d’intérêt à l’étude et celles ayant la meilleure relation avec leur gynécologue. Le nombre ainsi que les caractéristiques des patientes sélectionnées par les gynécologues et n’ayant pas accepté de participer à l’étude n’ayant pas été recueillis et analysés, cette hypothèse n’a pu être vérifiée. D’autre part, l’étude OCEANIDES a été conduite auprès des gynécologues. Or les gynécologues représentent 47 % des prescripteurs de THS contre 52 % pour les généralistes [11]. Le profil des patientes suivies par les gynécologues diffère probablement de celui des patientes suivies par les généralistes, d’autant plus que les patientes de niveau socio-économique modeste qui sont suivies par un gynécologue ne sont probablement pas représentatives de la population générale. La bonne observance rapportée dans cette étude ne peut donc pas être extrapolée à l’ensemble de la population des femmes françaises ménopausées. La plupart des différences entre les patientes observantes et non observantes étaient observées à la consultation de fin de l’observatoire. Ainsi, la consultation de fin d’observatoire durait plus longtemps pour les patientes ayant arrêté tout THS que pour celles encore sous THS, sans doute parce qu’il s’agissait moins souvent d’une consultation de suivi régulier que chez les autres patientes. Les patientes non observantes étaient venues à la consultation d’instauration plus souvent pour un renouvellement de traitement que les patientes observantes. Il est possible d’envisager que ces patientes, satisfaites par le traitement en cours, se sentaient moins concernées par l’instauration d’un THS que les autres patientes. Elles avaient également moins souvent posé des questions
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sur le bénéfice du THS vis-à-vis de la sexualité à la visite d’instauration que les autres patientes, sans qu’il soit possible de savoir si cette différence était liée à un moindre intérêt ou à une plus grande gêne à aborder ce sujet. En revanche, le choix initial de la voie d’administration, qu’il ait été fait par le gynécologue, la patiente ou conjointement, n’influençait pas l’observance. Si les différences entre les patientes observantes et non observantes ne peuvent être complètement identifiées, les nombreuses informations collectées durant cette étude permettent d’obtenir une photographie des patientes ménopausées et des pratiques médicales des gynécologues français. Globalement, les patientes françaises consultant un gynécologue étaient en général bien informées sur la ménopause et ses traitements. Elles exprimaient au cours de la consultation une demande de prescription de THS. Elles n’hésitaient pas à interroger les gynécologues sur les bénéfices et les risques liés au traitement. Les gynécologues français passaient du temps avec les patientes ; le temps passé avec les patientes lors de l’instauration ou de suivi d’un THS était d’ailleurs sous estimé lors de la phase A (24,4 et 17,9 minutes, respectivement) comme le montrent les durées moyennes réelles calculées lors de la phase B (26,3 et 21,3 minutes). L’instauration d’un THS induisait la mise en œuvre d’examens médicaux et de consultations régulières (la consultation de fin d’observatoire était le plus souvent la troisième consultation). Ce suivi régulier et la prescription d’examens complémentaires expliquent en partie l’observance des patientes. Les résultats observés lors de la phase B de l’étude montraient également que les gynécologues initiaient des traitements à doses modérées puis adaptaient le traitement à chaque patiente, modifiant la dose, voire changeant de voie d’administration. Enfin, la possibilité de sélection des patientes par le médecin peut être à l’origine d’un biais. 5. Conclusion Un an après son instauration, 82,6 % des patientes poursuivaient leur THS du fait de l’efficacité, de la bonne tolérance et de la bonne acceptabilité des traitements, mais également du fait de la qualité de leur prise en charge par les gynécologues français. En effet, ces derniers prenaient le temps d’écouter les patientes et d’expliquer le traitement. De plus, ils initiaient un traitement personnalisé à doses modérées, tout en le modulant en fonction des besoins de chaque patiente, ils prescrivaient des examens complémentaires (mammographie, frottis), et assuraient un suivi régulier des patientes, précédant ce faisant les nouvelles recommandations de la NAMS [19], de l’AFSSAPS et de l’AFEM édictées suite aux résultats des études anglo-saxonnes [1,2].
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