Détection précoce du rhumatisme psoriasique : quels outils en pratique ?

Détection précoce du rhumatisme psoriasique : quels outils en pratique ?

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 6-9 RHUMATISME PSORIASIQUE : UNE APPROCHE MULTIDISCIPLINAIRE Détection précoce du rhumatisme ...

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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 6-9

RHUMATISME PSORIASIQUE : UNE APPROCHE MULTIDISCIPLINAIRE

Détection précoce du rhumatisme psoriasique : quels outils en pratique ? D’après la communication des Professeurs H. Bachelez1,2 et P. Claudepierre3 Rédigé par S. Boulinguez4,* 1Président

du Groupe Psoriasis, Société Français de Dermatologie (SFD) de Dermatologie, Hôpital St Louis, 1 avenue Claude-Vellefaux 75475 Paris cedex 10, France 3Service de Rhumatologie, CHU Henri Mondor, 51 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil cedex, France 4Service de Dermatologie, Hôpital La Grave, Place Lange, TSA 60033, 31059 Toulouse cedex 9, France 2Service

MOTS CLÉS Psoriasis ; Rhumatisme psoriasique ; Dépistage ; Outils diagnostiques

Résumé L’évolution potentiellement destructrice et invalidante des formes articulaires du psoriasis conduit à proposer une prise en charge thérapeutique le plus rapidement possible. Le psoriasis cutané précédant dans plus de 80 % des cas le rhumatisme psoriasique, le dermatologue occupe alors une place privilégiée dans le dépistage précoce de cette affection cutanéo-articulaire. En attendant la validation d’auto-questionnaires destinés aux patients, il existe des outils simples d’interrogatoire pour dépister les patients à diriger vers le rhumatologue. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Le rôle du dermatologue dans le dépistage du rhumatisme psoriasique prend de plus en plus d’importance avec l’arrivée des traitements biologiques. En effet, le dépistage précoce devrait permettre d’interrompre l’histoire naturelle de la maladie et éviter ainsi la survenue de lésions destructrices et handicapantes. Contrairement aux idées reçues, le rhumatisme psoriasique a un véritable potentiel destructeur et/ou ankylosant sur les articulations périphériques et/ou axiales (Fig. 1) [1, 2]. Le retentissement sur la qualité de vie dans

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Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Boulinguez).

© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

le rhumatisme psoriasique est d’ailleurs équivalent à celui observé dans la polyarthrite rhumatoïde. Dans l’histoire naturelle du rhumatisme psoriasique, le dermatologue occupe une place tout à fait privilégiée, de sentinelle, pour la détection précoce. En effet, si seulement 5 % des atteintes articulaires apparaissent de façon concomitante aux signes cutanés et si 15 % des manifestations articulaires apparaissent avant les signes dermatologiques, dans la grande majorité des cas (80 %), l’atteinte cutanée

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le dermatologue doit rester vigilant devant toutes les formes cliniques de psoriasis, chacune pouvant évoluer vers des atteintes articulaires. En pratique, le dermatologue doit donc rechercher une atteinte articulaire associée tout au long du suivi de son patient, quelle que soit la présentation clinique de son psoriasis.

Les manifestations cliniques du rhumatisme psoriasique

Figure 1. Histoire naturelle d’un doigt psoriasique (illustration de l’atlas diagnostique du rhumatisme psoriasique du professeur Bernard Fournié) : A) arthrite érosive de l’interphalangienne distale ; B) Ostéolyse de l’interphalangienne distale et de l’articulation interphalangienne proximale ; C) Ankylose de l’interphalangienne distale. D’après [1, 2].

précède l’atteinte rhumatologique clinique [3]. Il est donc essentiel que le dermatologue puisse disposer d’outils simples pour le dépistage précoce des atteintes articulaires.

Quand penser au rhumatisme psoriasique ? Dans une étude de cohorte rétrospective aux États-Unis au sein d’une population présentant un psoriasis initial cutané (toutes sévérités confondues), l’incidence cumulée de rhumatisme psoriasique était de 1,7 %, 3,1 % et 5,1 % respectivement à 5, 10 et 20 ans [4]. Le diagnostic de rhumatisme psoriasique par le dermatologue doit donc se faire sur le long-terme, tout au long du suivi de la maladie cutanée. Les résultats préliminaires d’une cohorte prospective canadienne de psoriasis sévères sans rhumatisme, mettent en exergue une atteinte rhumatologique chez 4 % des patients en un an [5]. Si le dermatologue doit rester vigilant durant de nombreuses années, dispose-t-il cependant de signes cutanés prédictifs d’un risque accru d’atteinte rhumatologique ? La sévérité de l’atteinte cutanée, dans la plupart des études, n’est pas corrélée à la présence d’une atteinte articulaire, sauf dans les cas où les atteintes cutanée et articulaire apparaissent de façon concomitante [6]. L’étude de cohorte incidente américaine a montré qu’il existait un risque augmenté d’atteinte rhumatismale lorsque le cuir chevelu était atteint (OR = 3,89 ; IC95 [2,18-6,94]), lorsque les plis inguinaux et/ou un pli interfessier étaient atteints (OR = 2,35 ; IC95 [1,32-4,19]) et lorsqu’il existait une dystrophie unguéale (OR = 2,93 ; IC95 [1,68-5,12]) [4]. Si ces localisations sont plus fréquemment associées à un rhumatisme psoriasique,

On distingue quatre types d’atteintes au cours du rhumatisme psoriasique : les arthrites périphériques, les atteintes axiales, les enthésites et les manifestations extra-articulaires. Les arthrites périphériques touchent classiquement les petites articulations, c’est-à-dire des mains et des pieds, et en particulier l’articulation inter-phalangienne distale des doigts ou des orteils, qui est caractéristique du rhumatisme psoriasique. Il peut y avoir une atteinte purement axiale de la colonne vertébrale, du bassin et/ ou de la paroi thoracique antérieure ou une atteinte des enthèses, en particulier au niveau du talon. Chez un même patient, ces différentes localisations peuvent coexister ou se succéder au cours du temps. La difÀculté pour le dermatologue sera de dépister des atteintes infracliniques. Il est possible d’envisager l’utilisation de questionnaires auto-administrés (dans la salle d’attente par exemple) comme ceux qui sont en cours de validation par le GRAPPA (Group for Research and Assessment of Psoriasis and Psoriatic Arthritis) : le ToPAS (Toronto Psoriasis Arthritis Screening), le PASE (Psoriasis Arthritis Screening and Evaluation) ou le PAQ (Psoriasis and Arthritis questionnaire) [7-13]. Cependant, leur utilisation reste difÀcile en pratique quotidienne et, pour l’instant, aucun d’entre eux n’a été validé en version française. Le questionnaire idéal serait consensuel, rapide, efÀcace, sufÀsamment spéciÀque pour ne pas alarmer et orienter ȩ trop souvent à tort ȩ le patient chez le rhumatologue, mais sufÀsamment sensible pour ne pas passer à côté d’un rhumatisme chez un trop grand nombre de patients. Il faut donc pour l’instant proposer d’autres outils au dermatologue.

Les outils utilisables aujourd’hui en pratique Au delà des questionnaires en cours de validation, le dermatologue peut très simplement poser quatre questions à tous ses patients suivis pour un psoriasis cutané. • Avez-vous déjà eu mal aux genoux, aux poignets, aux mains et/ou aux pieds ? Et si oui : Ⱦ Ces articulations étaient-elles gonÁées ? Ⱦ Les douleurs de ces articulations vous réveillaient-elles la nuit ? Ⱦ Ces articulations étaient-elles raides ou « rouillées » le matin ?

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Si le patient répond positivement à l’une de ces 3 sousquestions, alors il conviendra de demander au moins une fois un avis rhumatologique. • Avez-vous souffert de douleurs lombaires, dorsales et/ou cervicales ? Et si oui : Ⱦ Ces douleurs vous réveillaient-elles la nuit ? Ⱦ Ces douleurs s’accompagnaient-elles d’une raideur le matin ? Ⱦ Combien de temps dure cette raideur ? Si le patient répond positivement à une de ces sousquestions, il conviendra de demander au moins une fois un avis rhumatologique. Il faut se souvenir que la localisation au rachis cervical est plus fréquente dans le rhumatisme psoriasique axial que dans la spondylarthrite ankylosante ; la durée de la raideur doit être d’au moins 30 minutes. • Avez-vous souffert de douleurs dans les fesses ou de « sciatique » ? Et si oui : Ⱦ Ont-elles été à droite ET à gauche ? Ⱦ Vous réveillaient-elles la nuit ? Ⱦ S’accompagnaient-elles d’une raideur ou d’une boiterie le matin ? Si le patient répond oui à l’une de ces sous-questions, il conviendra de demander au moins une fois un avis rhumatologique. Dans un contexte de psoriasis, la notion de « sciatique » bilatérale suggère qu’il ne s’agit pas d’une simple hernie discale qui habituellement reste localisée au même endroit. • Avez-vous souffert de douleurs du thorax, y compris en touchant ? Il est important de bien montrer au patient la zone parasternale des cartilages chondro-costaux antérieurs. Si la réponse est positive, un avis rhumatologique est vivement conseillé. Lorsque le dermatologue a pris la décision de demander un avis rhumatologique, il peut envoyer son patient sans aucun examen complémentaire, ou bien demander un bilan biologique et radiologique simple qui permettra au rhumatologue de choisir les examens spécialisés les plus appropriés dès la première consultation. Ce bilan varie légèrement selon la topographie des atteintes : • si les douleurs inÁammatoires sont articulaires périphériques : bilan biologique comprenant VS, CRP, Facteur Rhumatoïde, anticorps anti-CCP (anticorps anti-peptide citrique citrulliné), anticorps antinucléaires et radiographies des articulations concernées ; • si les douleurs inÁammatoires sont axiales : VS, CRP, radiographies du bassin de face et du rachis (face et proÀl) en fonction de l’étage concerné ; • si les douleurs sont à type d’enthésites (ex : talalgie) : VS, CRP et radiographie de la zone concernée.

ConÀrmation du diagnostic de rhumatisme psoriasique par le rhumatologue Le rhumatologue va tout d’abord insister longuement sur l’interrogatoire à la recherche de signes de spondylathropathie. L’examen clinique dans ces formes précoces sera le plus souvent peu contributif. Le syndrome inÁammatoire biologique sera absent dans environ 50 % des cas et la recherche de

D’après la communication de H. Bachelez et P. Claudepierre

l’antigène HLA B27 sera parfois demandée, en sachant qu’il est le plus souvent absent dans les formes périphériques. Sur les clichés radiographiques, le rhumatologue cherchera des signes évocateurs d’atteinte périphérique, enthésitique ou axiale (sacroiliite, syndesmophyte, spondylite) eux aussi d’apparition tardive. L’ensemble de ces éléments biologiques et radiographiques étant souvent absents dans les formes précoces, il faudra donc selon les situations compléter le bilan avec une IRM ou une échographie, voire une scintigraphie osseuse de la paroi thoracique antérieure. L’utilisation de scores diagnostiques n’est pas encore entrée dans la routine, car le processus de validation est encore incomplet (comme, par exemple, les critères CASPAR), notamment dans les formes précoces [14].

Conclusion Le dermatologue a donc un rôle crucial à jouer dans la détection du rhumatisme psoriasique, par des questions et des éléments simples de l’examen clinique, sans pour autant chercher à se substituer au rhumatologue. Si des examens complémentaires peuvent être demandés par le dermatologue, leur interprétation et la réalisation d’examens complémentaires plus sophistiqués doivent faire intervenir l’expertise du rhumatologue. L’approche transdisciplinaire dermatologue-rhumatologue demeure indispensable pour un diagnostic précoce optimisé du rhumatisme psoriasique ; des consultations conjointes ont d’ailleurs été mises en place dans certains services hospitaliers. Cette expertise croisée, élément clé d’un diagnostic et donc, par suite, d’un traitement précoce, permet d’éviter des retards de prise en charge qui peuvent mener à des séquelles fonctionnelles majeures et handicapantes.

Déclarations d’intérêts S. Boulinguez : aucun conÁit d’intérêts. H. Bachelez : Consultant pour Abbott, Centocor, Leo Pharma, Janssen-Cilag, PÀzer, Schering-Plough, Wyeth. P. Claudepierre : Consultant pour Abbott, Janssen-Cilag, PÀzer, BMS, Schering-Plough, Wyeth.

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