La mortalité maternelle : épidémiologie, facteurs de risque et évitabilité. À propos de dix cas

La mortalité maternelle : épidémiologie, facteurs de risque et évitabilité. À propos de dix cas

Gynécologie Obstétrique & Fertilité 31 (2003) 1018–1023 www.elsevier.com/locate/gyobfe Article original La mortalité maternelle : épidémiologie, fac...

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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 31 (2003) 1018–1023 www.elsevier.com/locate/gyobfe

Article original

La mortalité maternelle : épidémiologie, facteurs de risque et évitabilité. À propos de dix cas Maternal mortality: epidemiology, risk factors and evitability. About ten cases S. Mahbouli, M. Basli, F. Messaoudi, I. Messaoudi, M. Chibani, R. Rachdi * a

Service de gynécologie–obstétrique, hôpital militaire principal d’instruction de Tunis, 1008 Montfleury, Tunis, Tunisie Reçu le 22 avril 2003 ; accepté le 22 août 2003

Résumé Objectifs. – Déterminer le taux de mortalité maternelle durant la dernière décennie en Tunisie, en tant que révélateur de la qualité du suivi obstétrical et des mesures qui s’imposent. Patientes et méthodes. – Étude rétrospective effectuée au service de gynécologie–obstétrique de l’hôpital militaire principal d’instruction de Tunis sur la mortalité maternelle durant les 11 dernières années (de 1990 à 2001), qui a permis de recenser dix cas de décès maternel. Résultats. – Le taux de mortalité maternelle était de 33,72 pour 100 000 naissances vivantes. L’âge moyen de nos patientes était de 31,2 ans. La primiparité, la multiparité, les conditions socioéconomiques défavorables, la grossesse à risque et le mauvais suivi de la grossesse retrouvés successivement dans 5, 1, 6, 3 cas constituent les principaux facteurs de risque de mortalité maternelle. Tous les décès étaient survenus après l’accouchement dont 60 % dans le post-partum immédiat (< 24 h). Les causes de décès étaient dominées par les causes directes (80 %) : l’hémorragie (40 %) ; la toxémie gravidique (20 %) ; les accidents anesthésiques (10 %) ; la stéatose hépatique aiguë gravidique (10 %) et l’infection (10 %). Les causes indirectes étaient retrouvées dans 20 % des cas. Discussion et conclusion. – Le décès a été jugé évitable dans 6 des cas, ce qui confirme, bien que la mortalité maternelle ait diminué ces dernières années, la nécessité de poursuivre l’étude des facteurs de risque et des moyens d’y remédier. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Objectives. – To determine maternal mortality rate during the last decade as revealing the quality of obstetrical follow-up and the necessary measures to be taken. Patients and methods. – A retrospective study conducted in the department of gynaecology in the military hospital in Tunis between 1990 and 2001, permitted to count 10 cases of maternal death. Results. – Maternal mortality rate was about 33.72/100,000 live births. Mean age of patients was 31.2 years. Primiparity, multiparity, poor socio-economic conditions, high-risk pregnancies and bad follow-up were responsible in 5, 1, 6 and 3 cases and represent the risk factors of mortality. All deaths occurred after delivery, with 60% before 24 h. Causes of death were haemorrhage in 40%, gravidic hypertension in 20%, anesthetic accidents in 10%, acute hepatic failure in 10%, and infection in 10%. Indirect causes are responsible for 20% of cases. Discussion and conclusion. – Deaths were judged evitable in 66.6% of cases, which confirms, although maternal mortality has diminished in the recent past, the necessity of pursuing study of risk factors together with study of remedies to them. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Mortalité maternelle ; Hémorragie ; Toxémie ; Évitabilité Keywords: Maternal mortality; Haemorrhage; Toxemia; Evitability

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Rachdi). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gyobfe.2003.08.018

S. Mahbouli et al. / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 31 (2003) 1018–1023

1. Introduction Le décès d’une femme dans la période gravido-puerpérale est toujours vécu comme un drame. Le taux de mortalité maternelle est mondialement reconnu comme indicateur de la qualité des soins et reflète le risque qu’encourent les mères pendant la grossesse et l’accouchement. Il est influencé par les conditions socioéconomiques, la nutrition, l’hygiène, la disponibilité et l’utilisation des équipements de soins de santé, y compris de soins prénatals et obstétricaux. Les objectifs de ce travail sont : • calculer le taux de mortalité maternelle et le comparer aux autres résultats en Tunisie et dans le monde ; • identifier les causes de décès maternel et décrire les caractéristiques des femmes concernées par ces accidents ; • essayer de dégager des recommandations qui aident à éviter l’issue mortelle.

2. Patientes et méthodes Nous avons effectué sur une période de 11 ans (du 1er janvier 1990 au 31 août 2001) une étude rétrospective portant sur dix cas de mort maternelle survenus soit au service de gynécologie–obstétrique soit au service d’anesthésie–réanimation de l’hôpital militaire principal d’instruction de Tunis. La définition adoptée est celle de l’OMS : « Le décès d’une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivée, mais ni accidentelle, ni fortuite ». Les causes de décès se répartissent en causes obstétricales directes et indirectes.

3. Résultats 3.1. Description On a noté dix décès maternels répondant à la définition de l’OMS. Durant la même période, 29 845 accouchements se sont déroulés au service de maternité donnant lieu à 29 652 naissances vivantes. Le taux de mortalité maternelle est de 33,72 pour 100 000 naissances vivantes. Tous les décès sont survenus après l’accouchement à différents délais du post-partum : • post-partum immédiat (< 24 heures) : six cas ; • 1 < j < 5 jours : trois cas ; • > 5 jours (15e jour du post-partum) : un cas. L’âge moyen de nos patientes (5 primipares, 4 pancipares, 1 multipare) était de 31,2 ans avec des extrêmes allant de 26 à 41 ans.

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Soixante pour cent des grossesses ont été jugées à risque, dont la moitié n’avait pas été suivie. Les antécédents des dix patientes mortes en suites de couches étaient : • deux cas d’utérus cicatriciel ; • un cas d’utérus bi-cicatriciel avec antécédents de toxémie gravidique ; • un cas de maladie aortique (prothèse valvulaire aortique) ; • un cas de valvulopathie rhumatismale (suivi anarchique). Les décès maternels sont retrouvés, en majorité, dans des populations aux conditions socio-économiques moyennes ou défavorables ; dans 6 des cas, la grossesse était mal voire non suivie. L’accouchement s’est déroulé par césarienne dans 7 des cas, par les voies naturelles dans 2 des cas et avec extraction instrumentale dans 1 des cas. Le pronostic fœtal était péjoratif en cas de décès maternel avec une mortinatalité de 300 pour mille. La prématurité a été enregistrée dans 4 des cas. L’autopsie n’a été mentionnée que dans un seul dossier médical. Dans les autres cas, elle n’a pas été réalisée. 3.2. Étiologie (Tableau 1) 3.2.1. Causes obstétricales directes Celles-ci ont concerné huit sur les dix cas de décès maternel. 3.2.1.1. L’hémorragie. Trois cas. La principale cause d’hémorragie étant l’atonie utérine avec un taux de mortalité de 10,11 pour 100 000 naissances vivantes. Le traitement était fondé sur les ocytociques avec recours à l’hystérectomie d’hémostase dans deux cas. 3.2.1.2. Les complications de la toxémie gravidique. Elles concernent deux cas de décès maternel avec un taux de mortalité maternelle de 6,74 pour 100 000 naissances vivantes. En l’occurrence, un cas d’hématome rétro-placentaire et un cas de HELLP syndrome. 3.2.1.3. Autres. Accidents anesthésiques : un cas ; stéatose hépatique aiguë gravidique : un cas ; causes infectieuses : un cas, avec un taux de mortalité de 3,37 pour 100 000 naissances vivantes. La coagulation intra-vasculaire disséminée et la défaillance cardio-respiratoire sont les causes immédiates du décès dans le cas de stéatose hépatique aiguë gravidique et de HELLP syndrome. L’accident anesthésique n’a pu être déterminé avec précision. 3.2.2. Causes obstétricales indirectes La mortalité obstétricale indirecte a concerné deux cas, avec un taux de mortalité de 6,74 pour 100 000 naissances vivantes. On a relevé : • un cas de cardiopathie ; • un cas d’accident vasculaire cérébral hémorragique.

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Tableau 1 Étiologies des décès ˆ ge A G? P? CSE Suivi de Gr. ATCD

Cas no 1 34 G3 P2 Bonnes + 4 CPN RAS

Cas no 2 27 G1 P1 Défav. + 3 CPN RAS

Cas no 3 Cas no 4 41 28 G4 P4 G2 P1 ± Bonnes ± 1 CPN + Uni-cicatricielMaladie aortique (prothèse aortique)

Cas no 5 30 G2 P1 Bonnes

Cas no 6 26 G1 P1 Défav.

Cas no 7 26 G3 P2 ±

Cas no 8 34 G4 P3 ±

? RAS

+ RAS

± RAS

? + Uni-cicatriciel Bi-cicatriciel

Déroulement RAS Diabète RAS RAS Imprécise de grossesse Terme (SA) 40 + 2 j 41 + 1 j 39 + 3 j 37 + 2 j 36 + 5 j Mode VB VH VB VH VH d’acch. Indications Stagnat. Dystocie Sauvetage C/S – + SF – démarr. maternel Décès 5h 2h < 24 h 15 jours 5 jours (post-partum) Cause du Hgie déliv. / Hgie déliv. / Hgie déliv. / Choc Accident décès I.U. I.U. I.U. septique + anesth. I.Card. Directe Directe Directe Indirecte Directe Évitabilité Oui Oui Oui Possible ? (transfert) Autopsie Non Oui Non Non Non Né Vivant Vivant Vivant Vivant Vivant

Cas no 9 34 G6 P2 Bonnes

Cas no10 32 G1 P1 Défav. Pas de suivi

RAS

RAS

- ATCD de TG Imprécise Imprécise

36 + 5 j VH

35 + 3 j VH

28 VH

HRP

E.M.E

Bi-cicatriciel Sauvetage

(BDCF+) 2 jours

3 jours

2 jours

maternel < 24 h

Rupture anévrisme cérébral Indirecte Possible

HELLP synd.

HRP CIVD

/ Cardiopat.

Directe Possible

Directe Non

Indirecte Non

Non Vivant

Non Non viable

Non MFIU

Non Vivant

S.H.A.G.

Directe Non Non Décédée (1 h)

32 VH

?

35 + 2 j VB / F

Imprécise

– < 24 h

CSE, conditions socioéconomiques ; CPN, consultation prénatale ; ATCD : antécédents ; VB : voie basse ; VH : voie haute ; F : forceps ; C/S : césarienne ; SF : souffrance fœtale ; I.U. : inertie utérine ; SHAG : stéatose hépatique aiguë gravidique ; HRP : hématome rétroplacentaire ; MFIU : mort fœtale in utéro ; CIVD : coagulation intravasculaire disséminée ; EME : état de mal éclamptique

La mortalité maternelle de la césarienne était de 1,78 pour 1000 césariennes. Le décès a été jugé comme étant évitable dans 6 des cas.

4. Discussion Chaque jour, 1600 femmes au moins meurent de complications de la grossesse ou de l’accouchement, ce qui représente plus d’un demi million de décès chaque année [1]. La majorité de ces décès — près de 90 % — survient en Asie et en Afrique sub-saharienne, environ 10 % dans d’autres régions en voie de développement et moins de 1 % dans les pays industrialisés [1,2]. Le risque maternel est dû à un certain nombre de facteurs dont le mauvais état sanitaire et nutritionnel des femmes avant la grossesse ; des soins de santé inadéquats, inaccessibles ou trop chers ; ainsi que le manque d’hygiène et de soins pendant l’accouchement. Les réalités socioéconomiques et culturelles entrent également en ligne de compte. Si des progrès semblent effectivement enregistrés en Afrique du Nord, en Asie orientale et en Amérique latine, la

mortalité maternelle est toujours 100 fois plus élevée en Afrique sub-saharienne qu’en Europe [3]. Dans un grand nombre de pays d’Afrique de l’Est, d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, la mortalité maternelle tend même à augmenter et dépasse parfois largement 1000 pour 100 000 naissances vivantes. En Tunisie, jusqu’à la mise en route de l’enquête nationale sur la mortalité maternelle (1993–1994) [4], la mortalité maternelle était estimée essentiellement à travers les statistiques hospitalières. Le taux de mortalité maternelle (TMM) est de 68,9 pour 100 000 naissances vivantes. Ce taux est variable selon les régions, allant de 40 dans la région de Tunis à 105 dans la région du nord-ouest. Ce taux, bien qu’étant l’un des plus faibles des pays en voie de développement (Tableau 2), reste tout de même élevé en comparaison avec d’autres indicateurs sanitaires. Dans notre service, le taux de mortalité maternelle enregistré est de 33,72 pour 100 000 naissances vivantes, ce qui nous place parmi les maternités ayant le plus faible taux de mortalité maternelle en Tunisie et en position intermédiaire entre les pays développés et ceux en voie de développement (Tableau 3). La comparaison entre les différents services est

S. Mahbouli et al. / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 31 (2003) 1018–1023 Tableau 2 Taux de mortalité maternelle dans certains pays [5] Pays Tunisie Algérie Iran Maroc Lybie Égypte Guinée-Bissau Guatemala

TMM / 100 000 NV (déclarée) 68,9 220 37 230 75 170 910 190

Tableau 3 Variations des taux de mortalité maternelle dans les différentes séries hospitalières tunisiennes [6–10] Maternité CHU Charles-Nicolle (Tunis) CHU Habib-Thameur (Tunis) CMNT Maternité de Sidi-Bouzid CHU Farhat-Hached (Sousse) CHU Héd-Chaker (Sfax) Notre série

Année 1982–1992 1980–1987 1986–1989 1990–1994 1987–1996 1996–2000 1990–2001

TMM / 100 000 NV 59,5 54,72 69 89,3 50,9 48,24 33,72

CHU : centre hospitalo-universitaire ; CMNT : centre de maternité et de néonatalogie de Tunis

TMM 100 000 NV

biaisée par des tranches annuelles qui ne sont pas superposables, mais elle nous permet d’avoir une idée sur l’évolution de la mortalité maternelle. Nous avons dénombré 29 845 accouchements durant la période allant du 1er janvier 1990 au 31 août 2001 parmi lesquels 29 652 naissances vivantes avec une moyenne de 2471 naissances vivantes par an (2487 accouchements/an en moyenne). En calculant le TMM sur deux périodes, 1990–1994 et 1995–2000, on constate une nette diminution de TMM durant la deuxième période (Fig. 1). Plusieurs facteurs peuvent expliquer le faible taux de mortalité maternelle que nous enregistrons : • un suivi prénatal régulier de la majorité des femmes enceintes ainsi qu’une planification familiale efficace ; • un nombre d’accouchements relativement plus faible par rapport aux autres maternités ; • la rareté des transferts de structures sanitaires périphériques, nous évitant ainsi la prise en charge secondaire lorsque la situation est, en général, assez grave ; 50 40 30 20 10 0 19901994

19952000

Année

Fig. 1

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• une collaboration étroite avec le service d’anesthésie– réanimation permettant ainsi une prise en charge adéquate et efficace des urgences obstétricales. Les hémorragies représentent dans notre série la principale cause de mortalité maternelle (4 cas/10 ; la moitié des causes obstétricales directes). Cette proportion de 50 % est à comparer au taux de 15,2 % du rapport anglais de 1994 [11]. D’après l’OMS, 25 % des décès maternels dans le monde sont secondaires à l’hémorragie. En Tunisie, la mortalité maternelle reste dominée par deux causes : les hémorragies et les complications de l’hypertension artérielle (HTA) [4]. Une analyse plus fine de ces causes permet de constater que parmi les hémorragies, celle de la délivrance est la plus fréquente. La majorité des décès par hémorragie est évitable : un retard au diagnostic, associé à la sous-estimation de la gravité de l’hémorragie, à un retard de la prise en charge des troubles de la coagulation ou à un traitement initial inadéquat amènent au décès. Face à une hémorragie obstétricale confirmée, le facteur temps est vital. Trop souvent, l’expectative, l’hésitation, le manque d’organisation et la poursuite prolongée des « petits moyens » mettent en jeu le pronostic vital de la mère. L’expérience obstétricale, la présence en salle d’accouchement sont les meilleurs garants d’une bonne efficacité. Cette prise en charge ne peut se concevoir que si une équipe complète est réunie incluant obstétriciens, anesthésistes, sages-femmes et infirmières. Les HTA gravidiques représentent la deuxième cause de mort maternelle obstétricale directe, tant en France (20/97 soit une fréquence de 16,3 %) qu’au Royaume-Uni (20/134) [12,13]. En Tunisie, l’hypertension artérielle gravidique prend la deuxième place après les hémorragies obstétricales avec un taux de 19,3 % dont 37 % par éclampsie et 63 % par toxémie gravidique [4]. Dans notre série, deux décès maternels ont pour cause principale l’hypertension artérielle et ses complications. Le taux de mortalité représente 6,74 pour 100 000 naissances vivantes et 6,70 pour 100 000 accouchements. De nombreux auteurs ont démontré que l’incidence de l’éclampsie et des autres complications de l’hypertension gravidique est faible si les visites prénatales sont nombreuses et que l’hypertension est traitée de façon adaptée. La reconnaissance précoce de l’augmentation de la tension artérielle est le premier niveau de prévention. Là encore, la communication entre les divers intervenants qui surveillent les femmes enceintes doit permettre le diagnostic précoce des HTA gravidiques. Les dossiers des pré-éclampsies sévères doivent être discutés pour décider d’un transfert ou d’une extraction instrumentale. Des protocoles de surveillance et de traitement doivent être rédigés pour éviter les improvisations et les erreurs dans les thérapeutiques [12,13]. La cause principale des décès par infection est le choc septique : fièvre persistante, frissons, altération de l’état général puis dépression myocardique, syndrome de détresse

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Tableau 4 Taux de mortalité maternelle selon les pathologies dans les séries tunisiennes Maternité

Années 1986–1989

% des morts maternelles Hémorragie Toxémies 27,6 6,9

Hôpital Rabta (Tunis)

Césarienne 30,3

Anesthésie 17,2

Sousse Sfax Notre série

1987–1996 1996–2000 1990–2001

32,5 50 40

32,5 27,3 30

15 4,5 10

respiratoire aiguë et troubles de la coagulation. Ces éléments de gravité justifient une prise en charge précoce et intensive dans une unité de soins adaptée. Dans notre étude, un seul cas de décès à j15 du post-partum à la suite d’un choc septique dont l’origine est un hématome sous-cutané (cicatrice de césarienne) survenu chez une patiente porteuse d’une valve aortique, un surdosage en héparine en postopératoire en est la cause. Dans notre série, sept césariennes ont été réalisées parmi lesquelles trois ont été jugées probablement responsables du décès maternel : • cas no 2 (hémorragie du post-partum) ; • cas no 4 (choc septique – hématome infecté au niveau de la cicatrice de césarienne) ; • cas no 5 (accident anesthésique probable). Durant la même période d’étude, 5608 césariennes ont été effectuées soit un taux d’accouchement par voie haute de 18,7 %, ce qui nous place dans la classe interventionniste. Le taux de mortalité maternelle de la césarienne est donc de 1,78/1000 césariennes, et se situe dans la moyenne par rapport aux autres séries hospitalières tunisiennes (Tableau 4). Plus qu’un rôle de responsabilité directe, l’anesthésie a souvent une responsabilité partagée dans la survenue d’un décès maternel. En Tunisie (1993-1994), elle est de 2,14 % (trois cas) [4]. Les séries tunisiennes ont rapporté des pourcentages variables d’une région à l’autre (Tableau 4). Dans notre série, l’anesthésie était générale et faite par un technicien anesthésiste. Une meilleure coopération entre obstétriciens et anesthésistes doit être le fondement d’une régression des taux de mortalité par anesthésie. Le développement de l’anesthésie locorégionale doit par ailleurs diminuer notablement le risque de décès par difficulté d’intubation qui en représente, actuellement, la première cause. Enfin, une équipe d’anesthésistes–réanimateurs en nombre suffisant dans les maternités est indispensable à la mise en œuvre de ces mesures. Est jugé évitable tout décès de femme qu’aurait pu empêcher l’application de mesures préventives adéquates telles qu’une planification familiale ou une surveillance adaptée de la grossesse, et par une prise en charge curative appropriée à tous les niveaux de la pyramide sanitaire. Cette notion d’évitabilité est constante dans toutes les publications qui font état d’environ 50 % de décès évitables. L’évitabilité des décès varie considérablement selon les pathologies. Quatre-vingt-sept pour cent des décès par hémorragie et 80 % des décès par infection sont considérés

12,5 15 20

comme évitables, de même que 65 % des décès par HTA gravidique. En revanche, les experts ont considéré inévitables tous les décès par embolie amniotique ainsi que 55 % des décès par embolie pulmonaire [14]. En Tunisie, le taux d’évitabilité des décès maternels est, malheureusement, élevé : il a été estimé par le comité d’experts tunisiens à 87 % [4]. Parmi les dix décès de notre série, neuf ont pu être analysés. Trois de ces décès ont été considérés comme évitables et trois comme peut-être évitables ; le taux d’évitabilité est donc de 66,6 %.

5. Conclusion L’évolution au fil des années a montré une diminution de la mortalité maternelle. Des progrès restent à réaliser en matière d’hémorragie obstétricale grave et de la toxémie gravidique étant donné qu’elles représentent les premières causes de décès dans notre étude et en Tunisie. Seulement grâce à une amélioration de la qualité de la prise en charge, de l’éducation sanitaire, ainsi qu’à meilleure connaissance des circonstances de décès, pourrons-nous espérer une diminution du taux de la mortalité maternelle. Enfin, quand l’issue fatale n’a pu être empêchée, une autopsie doit pouvoir être autorisée, la cause du décès restant trop souvent mal ou non élucidée.

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