Naltrexone et traitement substitutif aux opiacés

Naltrexone et traitement substitutif aux opiacés

Thérapie 2011 Novembre-Décembre; 66 (6): 549–552 DOI: 10.2515/therapie/2011072 C OMMUNICATION RAPIDE c 2011 Société Française de Pharmacologie et de...

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Thérapie 2011 Novembre-Décembre; 66 (6): 549–552 DOI: 10.2515/therapie/2011072

C OMMUNICATION RAPIDE

c 2011 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique 

Naltrexone et traitement substitutif aux opiacés Naltrexone and Opiate Substitutive Treatment Julie Dupouy1, 2 , Jean-Christophe Poutrain1 et Maryse Lapeyre-Mestre2 1 Département Universitaire de Médecine Générale, Faculté de Médecine Toulouse Rangueil, Toulouse, France 2 CEIP-Addictovigilance de Toulouse, Service de Pharmacologie Clinique, CHU de Toulouse, Faculté de Médecine, Toulouse, France Texte reçu le 29 avril 2011 ; accepté le 20 septembre 2011 Mots clés : naltrexone ; médicament de substitution aux opiacés ; interaction médicamenteuse Keywords: opiate substitutive treatment; drug-drug interaction

1. Introduction

hépatite aigüe, personne âgée (plus de 60 ans) et sujet en état de dépendance aux opiacés. La naltrexone étant un antagoniste aux opiacés, elle provoque un syndrome de sevrage chez le patient exposé à un autre opiacé que ce soit dans le cadre d’une addiction, ou dans le cadre d’une douleur traitée par opioïdes. De la même façon, elle antagonise les effets des MSO, buprénorphine et méthadone. Depuis quelques années, plusieurs observations de syndrome de sevrage sévère ont été faites chez des patients substitués par méthadone notamment. [7,8] Le programme de gestion des risques de la méthadone r gélule et sirop a mis en évidence la situation d’interAP-HP action médicamenteuse conduisant à des syndromes de sevrage sévères. [8] Il convient de préciser que la naltrexone est aussi indiquée dans le cadre de la toxicomanie aux opiacés en traitement de soutien (que ce soit après une cure de sevrage en consolidation, ou en prévention tertiaire pour éviter les rechutes) sous le nom commerr. cial Nalorex L’objectif de cette étude était d’évaluer l’existence de traitements par naltrexone et MSO pendant une même période de prescription à travers les données d’une cohorte de patients substitués, constituée à partir des données de l’Assurance-maladie.

2. Méthode

Au premier semestre 2009, près de 140 000 patients étaient traités par un médicament substitutif aux opiacés : buprénorphine ou méthadone. [1] Les patients souffrant d’une addiction aux opiacés présentent souvent des poly-addictions ; parmi celles-ci, l’addiction à l’alcool est souvent retrouvée avec une prévalence de l’ordre de 30 à 40 %. [2,3] La prise en charge de ces co-addictions est complexe et les thérapeutiques médicamenteuses peuvent inr teragir entre elles. C’est ainsi que la naltrexone (spécialité Revia ou générique), ayant une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le maintien de l’abstinence alcoolique, [4] peut antagoniser d’autres agonistes opiacés, en particulier les médicaments de substitution aux opiacés (MSO). Rappelons que la naltrexone est un antagoniste des récepteurs μ aux opiacés : [5] ce médicament bloquerait le renforcement positif de la prise d’alcool médié par les opioïdes endogènes (action présumée responsable des effets euphorisants de l’alcool). [6] Ce médicament bloquerait donc le système de récompense, avec pour conséquence une limitation de l’envie d’alcool. Malgré cette action antagoniste, le mécanisme d’action de ce médicament chez la personne souffrant d’addiction alcoolique n’est pas totalement compris à ce jour. La naltrexone est utilisée dans le cadre de la désintoxication alcoolique, après la période de sevrage, pour faciliter la prévention des rechutes. Les contre-indications sont une insuffisance hépatique grave ou

La cohorte étudiée est une cohorte historique de patients ayant initié un traitement par MSO. Elle a été extraite des bases de données de l’Assurance-maladie régime général et sections locales mutualistes à l’échelon régional Midi Pyrénées. Les données extraites concernaient la période du 01/01/2009 au 31/12/2010. Les critères d’inclusion étaient de ne pas avoir eu de remboursement de MSO du 01/01/2009 au 30/06/2009 et d’avoir eu au moins un remboursement de MSO du 01/07/2009 au 30/06/2010. Les patients avaient donc débuté un MSO entre le 01/07/2009 et le 30/06/2010 et étaient suivis de 6 à 18 mois. Les MSO ont été identifiés par les différents codes Club Inter Pharmaceutiques (CIP) de la buprénorphine et de la méthadone. La naltrexone a été identifiée à partir du code N07BB04 de la classification anatomique, thérapeutique et chimique (ATC) et pouvait ainsi correspondre aux r , Revia r ou au générique. Le maintien sous spécialités Nalorex MSO était défini par le délai entre la première et la dernière délivrance de MSO, sans interruption entre deux délivrances de plus de 35 jours pour la buprénorphine [9] et de 18 jours pour la méthadone. La date de première délivrance était alors définie comme la date de référence et la date de dernière délivrance plus 35 jours pour la buprénorphine et plus 18 jours pour la méthadone comme la date d’arrêt de traitement. Les sujets n’ayant eu qu’une délivrance de MSO étaient considérés comme maintenus 35 jours ou

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18 jours selon le MSO. Les délivrances de MSO survenant après la date d’arrêt de traitement n’étaient pas prises en compte. La répartition des délivrances de naltrexone du 01/01/2009 au 31/12/2010 a été étudiée selon que le sujet reçoive le remboursement de celleci avant la date de référence, entre la date de référence et la date d’arrêt de traitement ou après la date d’arrêt de traitement. Le traitement continu par naltrexone a été défini par la période entre la première et la dernière délivrance de naltrexone sans délai supérieur à 3 mois entre deux délivrances (délai compatible pour un médicament de la liste 1). L’arrêt de traitement a été défini comme la date de dernière délivrance plus 35 jours. La durée de traitement correspondait à la période allant de la date de première délivrance à la date d’arrêt de traitement. Les données quantitatives sont présentées en médiane et intervalle interquartile (IQ) et comparées par un test de Wilcoxon selon l’exposition à la naltrexone. Les données qualitatives sont présentées en effectifs et pourcentages et comparées selon un test de Fisher ou du χ2 selon l’exposition à la naltrexone. La significativité des tests était définie par un risque alpha à 5 %. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel SAS r (SAS Institue Inc., SAS Campus Drive, Cary, North Caro9.2 lina, USA)

3. Résultats Dans cette cohorte, 1 507 patients ont été inclus, leur médiane de maintien sous MSO était de 91 jours (J) [IQ = 35−241]. Vingtsept patients (1,8 %) ont eu au moins une délivrance de naltrexone. La durée de maintien sous MSO chez les patients ayant reçu de la naltrexone (médiane = 67 jours, IQ = 41−153) ne différait pas de celle chez ceux n’ayant pas reçu de naltrexone (médiane = 92 jours, IQ = 35−241) d’un point de vue statistique (p = 0,178). Deux patients ont reçu de la naltrexone alors qu’ils étaient sous buprénorphine prescrite par le même prescripteur. Un patient a eu une délivrance à J188 du début de traitement par buprénorphine sur 296 jours de traitement par buprénorphine (soit une durée de traitement par naltrexone de 35 jours). L’autre patient a eu trois délivrances (J5, J66 et J125) sur 430 jours de traitement par buprénorphine (soit une durée de traitement par naltrexone de 155 jours). Douze patients ont reçu de la naltrexone après arrêt du MSO (5 par le même prescripteur, 7 par un prescripteur différent) et 16 avant l’instauration du MSO (5 par le même prescripteur, 11 par un prescripteur différent). À noter que parmi l’ensemble des 27 sujets, 3 des patients ont eu une délivrance de naltrexone avant et après le MSO. Les durées de maintien sous MSO ne différaient pas selon ces trois modalités. Les prescripteurs de naltrexone étaient des médecins généralistes pour 17 patients, des psychiatres pour 6 patients, neuropsychiatres pour 1 patient et gynécologue médical pour 1 patient. Deux patients avaient des presc 2011 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique 

cripteurs différents de naltrexone : médecin généraliste / neuropsychiatre ou psychiatre / neuropsychiatre. Dix-huit des patients (67 %) ont eu une durée de traitement par naltrexone de 35 jours, 5 (18 %) de 65 jours, 2 (7 %) de 96 jours, 1 (4 %) de 155 jours et 1 (4 %) de 308 jours. Ces patients exposés à la naltrexone avaient des caractéristiques démographiques et des délivrances différentes de celles des autres patients de la cohorte : ils étaient plus âgés, plus souvent sous buprénorphine que sous méthadone et avaient plus de délivrances de médicaments psychotropes ainsi que d’autres médicaments pour le maintien de l’abstinence alcoolique (tableau I).

4. Discussion L’analyse de la base de données de l’Assurance-maladie a permis d’identifier seulement deux patients ayant reçu de la naltrexone alors qu’ils étaient sous MSO, les deux médicaments ayant été prescrits par le même médecin. Ce résultat doit être interprété avec précaution, en raison des hypothèses nécessaires pour reconstituer une exposition médicamenteuse et de la source des données. Premièrement, la base de l’Assurance-maladie est une base de remboursement, les données disponibles concernent donc le remboursement d’une prescription de médicament et non la prise réelle du médicament. De ce fait, on ne peut affirmer que les patients ont réellement pris les deux médicaments (MSO et naltrexone) de façon concomitante. Néanmoins, les données de remboursement de l’Assurance-maladie ont été étudiées et leur correspondance avec les données de consommation est bonne, notamment pour les psychotropes, même si cette information n’est pas disponible pour les médicaments utilisés pour les addictions. [10] Deuxièmement, la question se pose également de la persistance de la consommation : si on peut faire l’hypothèse d’une consommation continue entre 2 périodes de délivrances rapprochées, la question se pose après la dernière délivrance. Le nombre de 2 patients est probablement sous-estimé, en raison de la définition stricte du maintien par MSO (avec les périodes d’interruption définies plus haut). D’autre part, cette analyse ne concerne que des sujets ayant eu leur 1re délivrance de MSO entre juin 2009 et juin 2010, ce qui n’exclut pas des co-prescriptions chez des sujets sous MSO sur une plus longue période. Certains des patients ayant eu des prescriptions de naltrexone après l’arrêt du MSO, ont potentiellement reçu ce médicament en parallèle puisque des délivrances de MSO ont pu survenir après la fin du maintien par MSO sans qu’elles soient prises en compte dans cette étude. Il n’a pas été possible, dans cette étude, de distinguer la spér (et générique) de la spécialité Nalorex r ; il est donc cialité Revia imaginable que certains patients aient eu des remboursements de Thérapie 2011 Novembre-Décembre; 66 (6)

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Tableau I. Comparaison des caractéristiques démographiques et des médicaments délivrés entre les patients sous médicaments de substitution aux opiacés (MSO) n’ayant pas eu de délivrance de naltrexone et ceux sous MSO ayant eu des délivrances de naltrexone.

Caractéristiques démographiques Genre masculin n (%) Age (médiane [IQ‡ ]) en années Médicaments de substitution∗ n (%) Buprénorphine Méthadone Buprénorphine et méthadone Médicaments délivrés n (%) Antipsychotiques (N05AII ) Antidépresseurs (N06A) Anxiolytiques (N05B), hypnotiques et sédatifs (N05C) et clonazépam (N03AE) Disulfiram (N07BB01) Acamprosate (classe N07BB003)

Patients sous MSO∗ non exposés à la naltrexone n = 1 480

Patients sous MSO∗ exposés à la naltrexone n = 27

p†

1 103 (74,5 %) 31,5 [26,1-39,1]

20 (74,1 %) 38,4 [31,2-42,0]

NS§ 0,01

1 051 (71,0 %) 352 (23,8 %) 77 (5,2 %)

26 (96,3 %) 0 (0,0 %) 1 (0,7 %)

0,003

310 (20,9 %) 907 (61,3 %) 907 (61,3 %)

20 (74 ,1 %) 26 (96,3 %) 26 (96,3 %)

< 0,001 < 0,001 < 0,001

15 (1,01 %) 52 (3,5 %)

3 (11,1 %) 10 (37,0 %)

0,004 < 0,001

* MSO : buprénorphine, méthadone ou alternance des deux médicaments au cours du temps ; † p du test de χ2 ou de Fisher pour les variables qualitatives, p du test de wilcoxon pour la variable quantitative ; ‡ IQ = intervalle interquartile ; § NS = non significatif ; II Selon la classification anatomique et thérapeutique (ATC)

naltrexone non pas pour gérer une dépendance alcoolique mais dans le cadre de leur addiction aux opiacés. Ceci est une hypothèse peu probable au vu des données 2009 Médic’AM [11] de r : 734 boîtes remboursées seulement remboursement du Nalorex en France pour le régime général versus 13 8226 boîtes pour le r et 67 429 pour le générique. Dans les deux cas, l’interRevia action pharmacologique entre naltrexone et MSO peut causer des syndromes de sevrage. Globalement, la co-prescription de naltrexone dans une cohorte de patients sous médicaments de substitution représente 1,8 % dans cette étude. Même si cette fréquence est relativement peu importante, cette situation expose à un risque d’interaction médicamenteuse évitable, particulièrement délétère pour une prise en charge optimale à la fois sur le plan de la substitution aux opiacés mais également sur la gestion de la dépendance alcoolique. D’après le résumé des caractéristiques du produit (RCP), un intervalle minimal de 7 jours doit être respecté entre le début d’un traitement par naltrexone et la dernière prise de substance opiacée. Cet intervalle doit être augmenté à 10 jours pour la méthadone en raison de sa demi-vie. Une administration de naltrexone avant ce délai provoque un syndrome de sevrage. Le médecin qui prescrit ce médicament pour la première fois doit s’assurer de l’arrêt de la consommation d’opiacés par une analyse d’urine. Un ajout de la contre-indication avec les morphiniques a été ajouté au résumé des caractéristiques du produit de la naltrexone r par la commission d’AMM été 2011 [12,13] en raison des Revia c 2011 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique 

syndromes de sevrage décrits avec la méthadone (co prescription déconseillée avant). Il a été rappelé à cette occasion que la naltrexone devait être débutée après sevrage de la méthadone ou de la buprénorphine ; dans l’intermédiaire si nécessaire, un traitement par acamprosate peut être proposé ainsi que des thérapies non médicamenteuses. L’association illogique entre naltrexone et médicaments de substitution opiacés est une situation non exceptionnelle dans le cadre de la prise en charge des patients polydépendants. Il est particulièrement important de sensibiliser les prescripteurs à ce sujet. Conflits d’intérêts. Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts.

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Correspondance et offprints : Maryse Lapeyre-Mestre, CEIP-Addictovigilance, Service de Pharmacologie Clinique, Faculté de Médecine, 37 allées Jules Guesde, 31000 Toulouse, France. E-mail : [email protected]

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