Annales de pathologie (2009) 29, 36—38
CAS ANATOMOCLINIQUE
Lésion fibro-osseuse post-traumatique de la côte : une entité rare à ne pas méconnaître Post-traumatic fibro-osseous lesion of the rib Dhouha Bacha a,∗, Aïda Ayadi-Kaddour a, Adel Marghli b, Habiba Djilani b, Faouzi El Mezni a a b
Service d’anatomie pathologique, hôpital Abderrahmen Mami, 2080 Ariana, Tunisie Service de chirurgie thoracique, hôpital Abderrahmen Mami, 2080 Ariana, Tunisie
Accepté pour publication le 25 septembre 2008 Disponible sur Internet le 25 janvier 2009
MOTS CLÉS Côte ; Traumatisme ; Lésion fibro-osseuse ; Dysplasie fibreuse
KEYWORDS Rib; Trauma; Fibro-osseous lesion; Fibrous dysplasia
Résumé La lésion fibro-osseuse post-traumatique est une lésion osseuse bénigne relativement mal connue et de siège typiquement costal. Cette lésion se caractérise par une prolifération de tissu fibreux siège de travées osseuses anastomosées présentant un gradient de maturation du centre à la périphérie de la lésion, associées ou non à un contingent xanthomateux. Nous rapportons un cas de lésion fibro-osseuse post-traumatique dans sa forme mixte fibro-osseuse et xanthomateuse simulant une association lésionnelle de dysplasie fibreuse et de xanthome osseux. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Post-traumatic fibro-osseous lesion is a rare benign osseous lesion usually affecting the ribs and relatively under-recognised. Histologically, it showed a bland fibrous stroma in which resided an anastomosing network of bone trabeculae, having a zonal pattern of maturation from metaplastic woven to mature lamellar bone, with or without an associated xanthomatous component. We report a well-documented case of mixed variant post-traumatic fibro-osseous lesion of the sixth rib, which was initially misdiagnosed as particular form of fibrous dysplasia associated with a xanthoma. © 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Les lésions costales bénignes sont dominées par la dysplasie fibreuse dans sa forme monoou polyostotique [1]. D’autres lésions bénignes sont décrites au niveau des côtes notamment les lésions fibro-osseuses post-traumatiques, souvent méconnues. Elles sont réparties
∗ Auteur correspondant. Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Bacha).
0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2008.09.050
Lésion fibro-osseuse costale
37
histologiquement en trois formes : fibro-osseuse, xanthomateuse et mixte [2]. Nous rapportons un cas de forme mixte simulant une association lésionnelle de dysplasie fibreuse et de xanthome osseux.
Observation Un homme de 45 ans, sans notion de traumatisme, aux antécédents d’embolie pulmonaire, d’ulcère gastroduodénal et de rhumatisme articulaire aigu, avait consulté pour des douleurs thoraciques apparues depuis trois mois à type de piqûres irradiant à la clavicule gauche. L’examen physique et le bilan biologique étaient normaux. La radiographie du gril costal objectivait une image lacunaire de 1,5 cm de grand axe vaguement arrondie entourée par un liseré osseux dense au niveau de l’arc moyen de la sixième côte gauche (Fig. 1). Un processus tumoral osseux a été suspecté, motivant une exérèse de l’arc moyen emportant la lésion. Macroscopiquement, le segment osseux n’était pas déformé, siège à la coupe d’une lésion excentrée de 1,5 cm de diamètre, à contours irréguliers, d’aspect jaune grisâtre et friable au centre et solide blanchâtre et scléreux en périphérie. L’examen histologique montrait au niveau de la médullaire des travées osseuses anastomosées au sein d’un stroma fibreux lâche finement vascularisé et largement occupé par des nappes de cellules xanthomateuses à cytoplasme abondant clair et granuleux et munies d’un petit noyau pycnotique central (Fig. 2). Au centre de la lésion, les travées osseuses présentaient un aspect métaplasique faiblement calcifié et des contours plus ou moins irréguliers. Plus en périphérie, elles avaient un aspect lamellaire calcifié et se continuaient avec l’os trabéculaire cortical (Fig. 3). Il n’existait pas d’activité ostéoblastique de bordure. Une forme particulière de dysplasie fibreuse associée à un xanthome osseux a été initialement évoquée. Néanmoins, l’aspect et l’agencement des travées osseuses et la présence de cellules xanthomateuses intriquées à la prolifération fibro-osseuse ont fait retenir le diagnostic de lésion fibro-osseuse costale post-traumatique. Les suites opératoires étaient simples. L’évolution était favorable sans récidive avec un recul de deux ans.
Figure 2. Nappe de cellules xanthomateuses au cytoplasme abondant et granuleux (HE × 400). Aggregates of foam cells with abundant granular cytoplasm (HE × 400).
Figure 3. Les travées osseuses anastomosées présentent un gradient de maturation du centre à la périphérie de la lésion (HE × 40). Bone trabeculae with zonal maturation within a fibrous stroma (HE × 40).
Discussion
Figure 1. Radiograhie du gril costal : lacune de l’arc postérieur de la sixième côte entourée par un liseré osseux dense (flèches). Plain roentgenogram showing lesion of the sixth rib with a central radiolucency and a sclerotic border (arrows).
La lésion fibro-osseuse post-traumatique est une lésion bénigne de siège typiquement costal. Elle est mal connue et de ce fait sa prévalence est sous-estimée [3]. Depuis sa première description en 1963, moins de 40 cas ont été rapportés dans la littérature [3,4]. Différentes dénominations lui ont été attribuées comme la dysplasie post-traumatique, la lésion fibro-osseuse algique simulant un ostéome ostéoïde, la dysplasie fibro-osseuse symétrique, le xanthofibrome sclérosant et la maladie de Erdheim-Chester focale [5—9]. En 1999, Mc Dermott et al. ont attribué la dénomination de lésion fibro-osseuse post-traumatique à cette entité et ont défini trois formes histologiques : fibro-osseuse, xanthomateuse et mixte [2]. La lésion fibro-osseuse touche avec prédilection les adultes vers la cinquième décade avec des extrêmes allant de 14 à 79 ans [3—7]. La notion de traumatisme peut être méconnue comme dans notre observation. Par ailleurs, le traumatisme peut correspondre à une fracture costale ou être mineur lié au port d’objets lourds [3]. Le délai entre le traumatisme et la découverte de la lésion varie d’une semaine à 42 ans [8]. De nombreux cas sont asympto-
38 matiques, découverts à l’occasion d’un examen radiologique systématique [3]. La lésion peut également se manifester par des douleurs localisées et persistantes. La lésion fibroosseuse post-traumatique touche classiquement les côtes où elle est habituellement monoostotique, mesurant entre 0,5 et 7 cm de grand axe [3,7,8]. Les formes multifocales ou bilatérales sont rares [2]. Seuls deux cas d’atteinte scapulaire ont été rapportés [8,10]. L’imagerie, non spécifique, met en évidence des images lytiques expansives entourées par un liseré scléreux dense. La scintigraphie osseuse montre une hyperfixation costale [3]. Le diagnostic est souvent fait sur la pièce d’exérèse tumorale, rarement sur des prélèvements biopsiques. Macroscopiquement, la cavité médullaire est occupée par un tissu solide, d’aspect scléreux blanchâtre centré par des foyers jaunâtres friables [2—5]. À l’examen histologique, la lésion est plus ou moins centrale et se démarque bien par rapport à la médullaire adjacente. Elle se caractérise par l’élaboration de travées osseuses et un fond habituellement lâche et œdémateux, parcouru par de nombreux capillaires sanguins, où se développe une prolifération de fibroblastes non atypiques, ne présentant pas d’activité mitotique, et sans architecture storiforme [3]. Il existe typiquement un gradient de maturation des travées osseuses en allant du centre vers la périphérie de la lésion [2—7]. En effet, le centre de la lésion est occupé par des foyers d’ostéogenèse immature d’aspect métaplasique, de contours irréguliers et semblant émerger du tissu fibreux environnant. En périphérie, les travées osseuses sont anastomosées, de plus grande taille, se disposant de manière centrifuge et se continuant avec l’os trabéculaire cortical. Elles sont habituellement dépourvues d’un liseré ostéoblastique périphérique. Il n’existe pas de remaniement hémorragique, ni nécrose ni réaction inflammatoire. De rares adipocytes et quelques foyers de calcifications peuvent se voir. Selon Mc Dermott et al., la forme fibro-osseuse est dépourvue de cellules spumeuses alors que dans la forme xanthomateuse, ces cellules sont disposées en nappes au sein d’un stroma grêle comportant de petits faisceaux de cellules fibroblastiques [2]. Dans la forme mixte, les aspects fibro-osseux et xanthomateux sont associés en proportion comparable. Dans notre cas, le diagnostic de dysplasie fibreuse monoostotique associée à un xanthome osseux a été évoqué. La dysplasie fibreuse représente en effet le principal diagnostic différentiel de la lésion fibro-osseuse post-traumatique en particulier dans sa forme fibro-osseuse [3]. C’est la tumeur bénigne la plus fréquente des côtes qui peut simuler une lésion fibro-osseuse sur le plan radioclinique. À l’examen histologique, la dysplasie fibreuse est constituée de foyers d’ostéogenèse immature organisés en travées et en petits massifs de forme variable sans couronne ostéoblastique, au sein d’un stroma fibreux. Ces travées sont plus fines et plus irrégulières que celles observées dans la lésion fibro-osseuse post-traumatique. De plus, leur disposition est hasardeuse sans agencement anastomotique et sans gradient de maturation osseuse. Bien que dans la dysplasie fibreuse, quelques amas de cellules spumeuses peuvent être notés, ces cellules ne s’organisent jamais en nappes diffuses. La distinction entre ces deux diagnostics est primordiale car la dysplasie fibreuse nécessite une surveillance clinico-radiologique régulière et prolongée devant le risque exceptionnel de cancérisation. Le diagnostic différentiel se pose également avec un ostéome ostéoïde, bien qu’il touche rarement les côtes. À l’histologie, l’ostéome ostéoïde est plus richement vascularisé. Les courtes travées d’ostéoïde et les lamelles osseuses,
D. Bacha et al. souvent pourvues d’un liseré périphérique d’ostéoblastes, sont anarchiquement dispersées sans gradient de maturation évident [6]. Un ostéosarcome bien différencié centromédullaire peut être discuté mais il présente des critères cytonucléaires de malignité. L’histiocytome fibreux bénin riche en cellules spumeuses peut simuler la forme xanthomateuse de la lésion fibro-osseuse post-traumatique. Toutefois, il est constitué de stroma fibreux d’architecture volontiers storiforme. La forme xanthomateuse peut poser un problème de diagnostic différentiel avec certaines lésions riches en cellules spumeuses comme la maladie de Erdheim-Chester et le granulome éosinophile. Du fait de sa survenue après un traumatisme, la lésion fibro-osseuse post-traumatique est considérée par plusieurs auteurs comme un processus de réparation [5,10]. L’absence de maturation complète et totale des travées osseuses immatures du centre de la lésion, telle que dans les cals osseux de réparation, reste inexpliquée. Cela a amené certains auteurs à considérer cette cicatrisation comme dysplasique [5]. L’atteinte exclusive des os plats, côte et omoplate, impliquerait une faible surcharge pondérale et une minime sollicitation des muscles en regard du foyer de traumatisme, ce qui pourrait expliquer une cicatrisation incomplète et abortive de ce foyer [2]. Kandel et al. ont suggéré que cette cicatrisation dysplasique serait secondaire à une ischémie osseuse résultant de l’hémorragie intramédullaire post-traumatique [5]. La résection de la lésion se fait beaucoup plus pour éliminer une tumeur maligne que dans un but curatif. Mais devant le doute diagnostique, une résection partielle de la côte atteinte emportant la lésion est recommandée. Aucun cas de récidive ni de cancérisation n’a été rapporté. Pour certains auteurs, la résection de la tumeur est inutile moyennant une surveillance clinico-radiologique répétée de la lésion [6].
Références [1] Siegal G, Dal Cin P, Araujo ES. Fibrous dysplasia. In: Fletcher CDM, Unni KK, Mertens F, editors. Word Health Organization: Classification of tumors. Pathology and genetics of tumors of soft tissue and bone. Lyon: IARC Press; 2002. p. 341—2. [2] McDermott MB, Kyriakos M, Flanagan FL. Posttraumatic fibroosseous lesion of rib. Hum Pathol 1999;30:770—80. [3] Aubert S, Kerdraon O, Conti M, Buob D, Petit S, Leroy X. Posttraumatic fibro-osseous lesion of the ribs: A relatively underrecognised entity. J Clin Pathol 2006;59:635—8. [4] Reed RJ. Fibrous dysplasia of bone. A review of 25 cases. Arch Pathol 1963;75:480—95. [5] Kandel RA, Pritzker KP, Bedard YC. Symmetrical fibro-osseous dysplasia of rib-post-traumatic dysplasia ? Histopathology 1981;5:651—8. [6] McCarthy EF, Moses DC, Zibreg JW, Dorfman HD. Painless fibroosseous lesion of the rib resembling osteoid osteoma: a report of six cases. Skeletal Radiol 1985;13:263—6. [7] Gouldesbrough DR. Symmetrical fibro-osseous dysplasia of rib-evidence for a traumatic aetiology. Histopathology 1990;17:267—70. [8] Blanco M, Cabello-Inchausti B, Cura M, Fernandes L. Posttraumatic fibro-osseous lesion of the ribs and scapula (sclerosing xanthofibroma). Ann Diagn Pathol 2001;5:343—9. [9] Lantz B, Lange TA, Heiner J, Herring GF. Erdheim-Chester disease. A report of three cases. J Bone Joint Surg Am 1989;71:456—64. [10] Kessler S, Mirra JM, Gordon P. Case report 823: Fibro-osseous pseudotumor of the scapula. Skeletal Radiol 1994;23:73—7.